Le libre échange, grand maltraité du débat Bardella - Hayer<!-- --> | Atlantico.fr
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Jordan Bardella et Valérie Hayer ont participé à un débat sur BFMTV dans la soirée de jeudi 2 mai
Jordan Bardella et Valérie Hayer ont participé à un débat sur BFMTV dans la soirée de jeudi 2 mai
©MIGUEL MEDINA / AFP

Commerce international

Le débat qui opposait la tête de liste RN à la tête de liste Renaissance a multiplié les oublis, imprécisions, voire erreurs grossières au sujet des accords qui régissent le commerce international.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Les accords de libre échange

Comme il est malheureusement fréquent en politique française, la connaissance par les débatteurs des politiques européennes qu’ils commentent ou critiquent est, au mieux, approximative, au pire, malheureusement le plus fréquent, très faible.

Pour Jordan Bardella, les accords de libre-échange sont intrinsèquement mauvais pour la France, en particulier son agriculture. En outre, les produits importés ne respecteraient pas les normes sanitaires, sociales, environnementales de l’UE. Depuis quinze ans l’UE a développé un réseau ambitieux d’accords de libre échange qui n’est pas qu’une libéralisation des échanges, mais aussi une plus grande régulation et normalisation de ces échanges sur la base du respect des principes de l’UE. Ainsi tous ces accords comportent un chapitre ambitieux de développement durable avec le respect des conventions clés de l’OIT et des accords multilatéraux sur l’environnement, comme l’accord de Paris sur le climat et la convention sur la biodiversité. Ce chapitre est soumis à une procédure bilatérale de règlement des différends qui a permis à l’UE de contraindre la Corée à ratifier trois conventions de l’OIT en 2020. Tous les produits entrant dans l’UE doivent respecter ses normes sanitaires et phytosanitaires, l’interdiction des hormones et des antibiotiques à des fins d’engraissement des animaux, le chapitre développement durable, et, pour les produits industriels, les normes européennes CEN CENELEC dont les accords de libre-échange sont un instrument efficace de projection extérieure qui irrite les Etats-Unis et la Chine.

Les faits et les chiffres sont parlants. En 15 ans l’excédent commercial de l’UE est passé de 50 à 200 milliards d'euros, celui de l’agro-alimentaire de 10 à 70 milliards d'euros. Loin d’être négatifs, les accords de libre-échange sont au contraire un succès exemplaire. C’est grâce à eux que la France a pu maintenir son excédent commercial agro-alimentaire autour de 8 milliards d'euros malgré un déficit de 2 milliards d'euros à l’intérieur de l’UE apparu à partir de 2015, signe d’une compétitivité dégradée par rapport à ses partenaires européens.

S’agissant du CETA, Jordan Bardella est devenu un as de la manipulation en transformant les chiffres très positifs des exportations de fromages français en pourcentage de la production (0,9 %). Il fait l’inverse pour la viande bovine, en reprenant des chiffres en valeur absolue sans aucun fondement d’INTERBEV, organisme inefficace, largement responsable du maintien dans l’archaïsme de la filière bovine française. Après plus de six ans d’entrée en vigueur provisoire du CETA le bilan est déjà limpide : croissance équilibrée des importations et des exportations totales, d’un tiers pour la France, de la moitié pour l’UE. Le Canada a remplacé avantageusement la Russie comme fournisseur de matières premières critiques. Les exportations françaises de fromage se sont accrues de 60 % à près de 60 millions d'euros. Aucun des risques brandis constamment par les opposants ne s’est concrétisé. Le Canada n’a pas été en mesure d’exporter de viande bovine ou porcine sans hormones à prix compétitif. C’est même le contraire qui s’est manifesté. Cela n’empêche pas Jordan Bardella d’évoquer le risque du contingent de viande bovine qui ne représente pourtant que 0,7 % de la consommation européenne, pourcentage qu’il se garde bien de citer. Il reprend à son compte les chiffres grotesques d’INTERBEV qui évoque une menace de pertes de 50.000 emplois. Cela voudrait dire la perte d’un emploi par tonne de bœuf canadien importé, évidemment du grand n’importe quoi.

La performance de Valérie Hayer sur les accords de libre-échange est plus satisfaisante, même si ses arguments manquaient un peu de punch face à un Jordan Bardella d’un culot et d’une mauvaise foi sans limite. Elle a défendu le CETA en invoquant le triplement de l’excédent agro-alimentaire français avec le Canada. Ce chiffre est un peu exagéré. Il s’agit d’un doublement en 6 ans à 700 millions d’Euros, ce qui est déjà une performance exceptionnelle. Sa qualification du Mercosur de mauvais accord l’a empêché d’effectuer une défense globale argumentée des accords de libre-échange. Elle s’est mise sur le terrain de Jordan Bardella qui a évoqué les accords de libre-échange récents avec le Chili et la Nouvelle-Zélande, au lieu de choisir l’accord le plus important de ces dernières années avec le Japon. En évoquant l’accord avec le Chili, Valérie Hayer a choisi un accord atypique qui est la modernisation d’un accord existant de 2002 qui comportait deux faiblesses, une augmentation annuelle faible mais infinie des contingents tarifaires et l’absence de chapitre développement durable introduit seulement dans les accords de libre-échange à partir de 2009. Valérie Hayer a évoqué à juste titre la correction opérée par le nouvel accord sur ces deux points, ce qui a néanmoins donné un angle d’attaque à Jordan Bardella sur le passé. Avec le Chili, Valérie Hayer a manqué l’occasion d’utiliser trois arguments : l’existence systématique d’un chapitre développement durable et la protection des appellations d’origine dans tous les accords de libre-échange et l’accès garanti à des matières premières essentielles pour la transition énergétique comme le cuivre et le lithium. Les débats franco-français donnent souvent l’impression que les accords de libre-échange ne concernent que l’agriculture. Elle serait même une variable d’ajustement de leur négociation. En tant qu’ancien négociateur en chef de ces accords pendant 15 ans jusqu’en 2019, je confirme que ce n’est jamais le cas, malgré la propagation constante de cette légende, y compris par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne.

Revenons un instant sur le Mercosur. Contrairement aux affirmations au plus haut niveau en France, c’est un accord de nouvelle génération nullement archaïque avec un chapitre développement durable ambitieux. Il sera même le plus ambitieux de tous les accords de libre-échange sur ce point puisque l’accord de Paris sur le climat deviendra une clause essentielle. Cela signifie que si le Mercosur ne respecte pas ses engagements environnementaux en matière climatique, l’UE pourra suspendre unilatéralement tout ou partie de l’accord. En outre l’accord comprendra un protocole déforestation contraignant très ambitieux. Enfin l’agriculture européenne n’est nullement sacrifiée. Ses produits agricoles les plus sensibles, bœuf, volaille, sucre, sont protégés par des contingents tarifaires très faibles de l’ordre de 1 % de la consommation totale de l’UE. Bien entendu le respect à l’importation des normes européennes reste d’application.

En conclusion les débats politiques français sur la politique commerciale demeurent marqués par l’idéologie et l’ignorance des faits et des chiffres. La France devient de plus en plus le pays du déni de réalité, ce qui, couplée avec son incapacité à réformer son économie, contribue à affaiblir son influence en Europe.

La politique agricole

La partie du débat consacrée à l’agriculture fut plus convenue. Jordan Bardella a développé un argumentaire simple et efficace contre les excès du Green Deal et de « Farm to fork » : excès de contraintes pour les agriculteurs, absence de justification scientifique de la réduction de 50 % des pesticides en 2030, risque de décroissance de la production agricole. On aurait pu presque se dire que Jordan Bardella était devenu compétent s’il ne s’était mis à citer des chiffres complètement faux : 0,2 % au lieu de 1% pour la part des émissions de gaz à effet de serre de la France dans le monde, et un tiers au lieu de 45 % pour le total cumulé de la Chine et des Etats-Unis. Il faut y ajouter la délirante idée d’une exception agriculturelle, excluant l’agriculture des accords de libre-échange au même titre que la culture. Cela condamnerait tous les intérêts offensifs agricoles européens et français qui sont plus importants que les défensifs, fermerait la porte à toute négociation, aucun partenaire ne pouvant accepter un tel concept, et rendrait illégal un tel type d’accord de libre-échange en droit international qui doit couvrir « substantially all trade ».

La réponse de Valérie Hayer n’a guère été convaincante. Elle a évoqué les récents aménagements de la PAC adoptés le mois dernier, éliminant les contraintes les plus contestables. S’agissant des pesticides, elle a vanté l’approche française du « pas d’interdiction sans solution » en citant l’exemple du glyphosate. Cet exemple est particulièrement mal venu. En effet, tous les travaux sérieux démontrent l’innocuité du glyphosate confirmé par les agences européennes ECHA et EFSA, et même par l’agence française ANSES qui était rapporteur au niveau européen du dossier de la réautorisation du glyphosate à la fin de l’année dernière. Les excès français en matière de surréglementation et de surtransposition des règles européennes sont une des causes du déclin de la compétitivité de l’agriculture française. Les producteurs de betteraves à sucre sont une nouvelle fois confrontés cette année à une infestation de pucerons sans traitement suffisamment efficace.

Il est pénible de constater qu’un débat politique sur l’agriculture en France échappe rarement à la démagogie, l’ignorance délibérée ou non des faits et à l’idéologie. On en a vu un nouvel exemple avec ce débat.

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