L’Union sans efforts : Emmanuel Macron, vrai faux champion de l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors de son discours à la Sorbonne sur l'Europe.
Emmanuel Macron lors de son discours à la Sorbonne sur l'Europe.
©CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL / AFP

Discours de la Sorbonne

Lors de son discours à la Sorbonne ce jeudi 25 avril, Emmanuel Macron a détaillé un grand nombre de mesures pour la puissance et la prospérité de l'Union européenne. Ces annonces n'ont pas été accompagnées d'indications sur les moyens et les instruments à mettre en œuvre. Aucun effort n’est fait pour rendre ce catalogue acceptable à nos partenaires européens dont beaucoup seront sceptiques.

Jean-Luc Demarty

Jean-Luc Demarty est ancien Directeur Général du Commerce Extérieur de la Commission Européenne (2011-2019), ancien Directeur Général Adjoint et Directeur Général de l'Agriculture de la Commission Européenne (2000-2010) et ancien Conseiller au cabinet de Jacques Delors (1981-1984; 1988-1995).

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Le discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron de 2017 avait suscité un grand intérêt en Europe. Les concepts de souveraineté européenne, d’Europe puissance et d’Europe de la Défense étaient nouveaux. Ils ont fait leur chemin non sans difficultés, bien davantage sous la pression d’évènements extérieurs, le COVID et la guerre en Ukraine, que par l’enthousiasme limité des principaux partenaires de la France. Le silence assourdissant d’Angela Merckel, qui venait d’être réélue pour la quatrième fois, en est l’exemple le plus frappant.

Sept ans après, le bilan du premier discours de la Sorbonne n’est pas négligeable : le Fonds Européen de la Défense, la réaction à l’agression russe en Ukraine, l’endettement post COVID de l’UE, tabou jusque là, à hauteur de 750 milliards d’Euros, la réforme du régime des travailleurs détachés et le pacte de l’immigration et de l’asile.

En réalité le poids en Europe d’Emmanuel Macron était surtout dû à sa volonté, affichée et résolue à l’époque, de réformer structurellement la France après vingt ans de réformes nocives, comme les 35 h, de demi réformes et d’immobilisme. On sait ce qu’il en est advenu après les gilets jaunes, le quoi qu’il en coute du COVID et la réformette des retraites.

Sept ans plus tard Emmanuel Macron remet l’ouvrage sur le métier avec un nouveau grand discours sur l’Europe prononcé le 24 avril à la Sorbonne. Tout d’abord il fait part de sa satisfaction de ce que l’Europe soit la seule zone du monde à avoir décidé des modalités de sa transition écologique par son « Green Deal ». Il faudrait plutôt s’en lamenter. Une telle décision unilatérale non suffisamment réfléchie n’aura aucun effet sur le climat dans une zone qui ne représente que 7 % des émissions mondiales. Elle aboutira seulement à réduire la production agricole, en contradiction avec la souveraineté alimentaire, et à favoriser les importations de voitures électriques chinoises. D’ores et déjà l’UE a dû revenir sur les contraintes les plus pénalisantes pour ses agriculteurs.

Le cœur du discours est consacré à un long inventaire de mesures décliné en trois catégories, la puissance, la prospérité et l’humanisme. La plupart de ces mesures sont individuellement défendables à l’exception de l’agriculture et de la politique commerciale à propos desquelles Emmanuel Macron démontre une nouvelle fois qu’il n’y entend pas grand-chose. Ces mesures sont généralement des objectifs généraux, réinsdustrialisation verte, simplification, industries stratégiques, production d’énergie décarbonée, renforcement de la recherche à 3 % du PIB, extension du mandat de la BCE. On reste malheureusement au niveau de l’incantation sans aucune indication des moyens et des instruments à mettre en œuvre. Les centaines de milliards d’investissements annuels additionnels nécessaires à la transition climatique sont évoqués et financés par un doublement du budget de l’UE et une union de l’épargne et de l’investissement.

Aucun effort n’est fait pour rendre ce catalogue acceptable à nos partenaires européens dont beaucoup seront sceptiques. Cela les choquera d’autant plus que Emmanuel Macron a été incapable de réformer la France comme on l’espérait en 2017. Quelle crédibilité peut avoir un dirigeant prétendant dire la vérité à l’Europe, incapable de la dire à ses propres citoyens, de leur expliquer qu’en moyenne ils ne travaillent pas assez dans l’année et tout au long de la vie, que les dépenses publiques sont excessives et insuffisamment efficaces et en plus non financées. Comment prétendre dégager des marges de financement et simplifier au niveau européen, quand on est incapable de le faire au niveau national.

Le paroxysme est atteint sur l’agriculture et le commerce extérieur. Emmanuel Macron s’inquiète de la souveraineté alimentaire de l’Europe qui a un excédent commercial agro-alimentaire de 70 milliards d’Euros ! A cet égard il est préoccupé du déficit en protéines végétales de l’UE qui, pour lui, résulte d’un choix politique du passé. Il semble ignorer que l’UE est incapable pour des raisons climatiques de produire le soja dont elle a besoin. Ce n’est pas un problème puisqu’il vient en abondance du Brésil, d’Argentine et des Etats-Unis. Emmanuel Macron continue de propager la contre vérité que l’agriculture serait la variable d’ajustement des accords commerciaux. Les ayant négociés, je peux témoigner qu’il n’en est rien. La meilleure preuve est que l’excédent commercial agro-alimentaire de l’UE est passé de 10 à 70 milliards d’Euros en 15 ans. Les produits sensibles agricoles, la viande bovine, la volaille et le sucre font l’objet de plafonds d’importations totaux de 4 % de la consommation de l’UE pour tous les accords passés, présents et futurs.

Emmanuel Macron prétend que le CETA avec le Canada est un accord moderne tandis que le Mercosur serait un accord du passé. Or ils obéissent aux mêmes règles, avec le même chapitre développement durable ambitieux qui couvre les conventions clefs de l’OIT, tous les accords multilatéraux sur l’environnement comme l’accord de Paris sur le climat et la convention sur la biodiversité, avec les mêmes clauses miroirs pour tout ce qui touche à la santé. L’accord Mercosur ira même plus loin que le CETA avec l’accord de Paris comme clause essentielle pouvant justifier une suspension unilatérale et avec un protocole déforestation très ambitieux. Ces deux dernières conditions ne sont pas encore réglées.

La propagation de telles contre-vérités ne va pas renforcer la crédibilité en Europe du discours d’Emmanuel Macron. Il sera considéré comme un nouvel exemple de l’arrogance et du déni de réalité français. Afin d’éviter de demander les efforts nécessaires aux citoyens français, on leur fait croire qu’il y a des solutions faciles et de l’argent magique au niveau européen. Cela ne peut qu’alimenter le populisme. En effet pourquoi ne pas choisir plutôt les vrais mensonges des populistes qui racontent aux citoyens ce qu’ils ont envie d’entendre, des solutions simples et sans effort aux problèmes difficiles plutôt que les demi vérités d’Emmanuel Macron.

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