Bruxelles, indigne capitale de l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Zemmour prononce un discours lors de la conférence nationale sur le conservatisme « NatCon » rassemblant des politiciens européens à Bruxelles, le 17 avril 2024.
Eric Zemmour prononce un discours lors de la conférence nationale sur le conservatisme « NatCon » rassemblant des politiciens européens à Bruxelles, le 17 avril 2024.
©SIMON WOHLFAHRT / AFP

Liberté d'expression

La « National Conservatism Conference » organisée à Bruxelles le 16 avril avec Nigel Farage, Viktor Orban ou encore Éric Zemmour, avait été initialement annulée par le bourgmestre de la commune bruxelloise de Saint-Josse pour « garantir la sécurité publique ». Le Conseil d'État a finalement tranché différemment.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Bourgmestres recadrés par des chefs de gouvernements, cinglant camouflet judiciaire et polémique internationale sur fond de sectarisme bon teint, la tentative aussi maladroite qu’autoritaire de censurer NatCon, une conférence accueillant à Bruxelles des ténors intellectuels et politiques de la droite conservatrice et souverainiste, a été un fiasco retentissant qui en dit long sur les dérives de certains caciques locaux piétinant les droits constitutionnels les plus élémentaires et à s’en vanter benoitement ainsi que sur la capacité de Bruxelles d’être une capitale européenne digne de ce nom.

Retour sur les faits. Cette conférence prévue de longue date accueillait cette année, campagne électorale oblige, plusieurs élus du Parlement Européen et même le Premier Ministre hongrois. Quelques jours avant sa tenue, le propriétaire du Concert Noble, la salle qui avait pourtant accueilli la première édition de NatCon en 2022 dans une totale indifférence, annule le contrat sous la pression de Philippe Close, bourgmestre socialiste de Bruxelles qui invoque un possible trouble à l’ordre public. Les organisateurs s’empressent donc de trouver une alternative et signent un contrat avec le Sofitel, autre lieu habituel des milliers d’évènements organisés chaque année dans la bulle européenne. Mais, retournement de situation, la direction de l’hôtel se dédit le lendemain sous la pression de l’indéboulonnable bourgmestre d’Etterbeek, le libéral Vincent de Wolf. Ce-dernier brandit également la menace fumeuse des troubles à l’ordre public qu’il ne saurait contenir pour museler les conservateurs et ne se prive pas d’admettre publiquement les raisons autrement plus idéologiques de sa démarche.

Stupéfaction parmi les organisateurs devant cette censure orchestrée mais qu’à cela ne tienne, ils trouvent la veille de l’évènement une autre salle, le Claridge, dans la commune de Saint-Josse. Et rebelotte, le maire socialiste Emir Kir, expulsé de son parti à cause de ses sympathies pour les très nationalistes Loups Gris turques, intimide à son tour le propriétaire de la salle et autres prestataires de services sur la même rengaine. Sauf que cette fois-ci, le propriétaire n’obtempère pas et la conférence ouvre ses portes. Mais coup de théâtre, la police municipale débarque sur ordre du bourgmestre et somme les participants de quitter les lieux. Devant leur refus, les policiers forment un cordon devant l’entrée, empêchant l’accès et n’autorisant les personnes enfermées qu’à partir sans pouvoir y retourner. Interdiction également au traiteur de livrer les repas. En somme, un siège municipal pour faire plier ces récalcitrants pour un délit d’opinion.

Car en effet, il s’agissait bien d’un délit d’opinion, dixit Emir Kir qui dans son zèle censeur, l’écrivit noir sur blanc dans un arrêté de police : une vision non seulement « éthiquement conservatrice » mais également une « attitude eurosceptique », défendue par des « traditionnalistes » contraires « aux droits de l’homme ». Suffisant pour faire des menaces des antifas l’excuse idéale pour invoquer l’ordre public.Sauf que le Conseil d’État belge n’était pas du même avis et, saisi en référé, autorise la conférence dans la nuit du 16 avril. Georgia Meloni, Rishi Sunak et Alexandre de Croo, Premier Ministre belge, non plus et l’ont fait savoir haut et fort. Scandale majeur, cinglant désaveu infligé aux bourgmestres-censeurs, polémique internationale et un sérieux coup porté à la réputation de Bruxelles en tant que capitale européenne.

Car ce sinistre épisode n’est pas seulement la preuve du sectarisme de ces élus, de leur comportement de petites frappes de quartier, de leur connivence à peine voilée avec des « antifas » habitués à faire taire impunément au nom de la défense de la démocratie. Cette tentative de censure n’est pas seulement un abus de droit commis par des autorités publiques habituées à galvauder la notion d’ordre publique à des fins politiques. C’est également une énorme déconvenue pour l’image de Bruxelles en tant que capitale de l’Union Européenne et un déni de démocratie au cœur même d’une machine qui est aussi une zone d’influence.

Nul besoin de rappeler que les institutions européennes sont ouvertes aux quatre vents des jeux d’influence, aux lobbies, activistes, société civile et autres intérêts nationaux. En somme, une agora dont la caisse de résonnance définit le cadre idéologique et termine par avoir un impact concret sur les propositions législatives, amendements et décisions et sur le débat. Une bulle qui devrait être ouverte et refléter au plus près la diversité politique du continent. Sauf que justement, la diversité (un slogan pourtant omniprésent) y brille par son absence dans sa dimension politique. Résultat, certains sujets y sont perçus comme des dogmes alors que d’autres sont vus comme des anathèmes même s’ils sont largement représentés dans l’opinion publique européenne. S’en suit un décalage entre l’Europe d’en haut et celle d’en bas, un déficit démocratique, qui pourrait à long terme lui être fatal.

Certes, la censure d’ambiance si présente à Bruxelles n’explique pas à elle seule l’homogénéité idéologique de l’UE, loin s’en faut. Il n’empêche que le cartel des bourgmestres censeurs est intolérable à bien des égards et qu’il y a fort à parier que sans la ténacité des organisateurs et la notoriété des invités, cette conférence aurait été annulée dans l’indifférence et l’impunité, probablement comme tant d’autres. Capitale de l’Europe oblige, Bruxelles a l’obligation de garantir la liberté d’expression et doit s’abstenir de fausser le débat public à travers des comportements totalement anti-démocratiques. Malheureusement, cette affaire n’est probablement que le sommet d’un iceberg de sectarisme qui a eu les coudées très franches jusqu’à ce qu’il pousse son zèle censeur jusqu’à prétendremuseler des élus et un Premier Ministre à quelques semaines des élections européennes.

L’UE n’y est pour rien dans cette affaire, mais elle ne peut plus ignorer que les dés démocratiques sont pipés et que cet état de droit auquel elle semble si attachée, est vertement foulé au pied en plein cœur du quartier européen.Il est désormais urgent que ces institutions réagissent, demandent des explications et des mesures concrètes aux autorités bruxelloises pour que cet épisode aussi ridicule que choquant ne se reproduise plus. Ce qu’elles n’ont pas fait pour l’instant, à ma connaissance.

Les citoyens et institutions européennes méritent bien plus que la médiocrité de ces caciques locaux pétris d’impunité. Et Bruxelles mérite mieux que cette pitoyable image d’un cordon de policiers encerclant une paisible conférence dans une rue semi-déserte, sans aucun trouble à l’ordre public. L’affligeante image de l’arrogance décomplexée de trois bourgmestres pris à leur propre jeu et d’un mépris pour la liberté d’expression qui, malheureusement, est monnaie courante en Belgique francophone.

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