Environnement
20 ans pour gagner ou perdre la bataille du climat : et après quoi ?
Le contrôle de nos émissions carbone dans les années à venir est essentiel mais il est absurde de considérer comme Yannick Jadot qu’il y aurait une sorte de fin de l’histoire de la planète corrélée à l’agenda politique d’EELV.
Samuel Furfari
Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.
Jean-Paul Oury
Docteur en histoire des sciences et technologies, Jean-Paul Oury est consultant et éditeur en chef du site Europeanscientist. com. Il est l'auteur de Greta a ressuscité Einstein (VA Editions, 2022), La querelle des OGM (PUF, 2006), Manifester des Alter-Libéraux (Michalon, 2007), OGM Moi non plus, (Business Editions, 2009) et Greta a tué Einstein: La science sacrifiée sur l’autel de l'écologisme (VA Editions, 2020).
Atlantico : Lors d’une interview, Yannick Jadot, candidat EELV pour les élections présidentielles prévoit une sortie d’ici 20 ans de l’énergie nucléaire en France et qu’il n’y a aucun intérêt à construire de petits réacteurs disponibles dans 20 ans lorsque l’on aura gagné ou perdu la bataille du climat. Y-a-t-il quelque chose d’absurde à corréler fin de l’histoire de la planète et agenda politique ?
Samuel Furfari : Il y a deux considérations fondamentales qui induisent à des décisions erronées en matière de politique énergétique. La première est de croire que l’électricité est l’énergie la plus importante. Elle est essentielle pour nos vies modernes, mais elle est loin d’être la plus importante en volume. C’est exactement le contraire : en moyenne elle n’est que de 22% dans l’UE. Et donc ne penser qu’en termes de centrales électriques limite fortement les solutions à mettre en place. La seconde est de penser que la France est le centre du monde. Même l’UE n’est plus le centre du monde ! Et le monde n’a pas du tout les préoccupations climatiques des écologistes français. Eux ont besoin de plus d’énergie, de beaucoup plus d’énergie à la fois pour répondre à la croissance démographique et aussi pour le rattrapage économique éthiquement indispensable. Donc les réacteurs SMR vont se développer que M. Jadot le veuille ou pas. Que va faire la France ? Continuer à se contenter d’acheter des éoliennes et des panneaux solaires photovoltaïques en Chine, à qui elle va également vendre des SMR?
Jean-Paul Oury : Sur les SMR et le nucléaire en général, il faut espérer qu’un jour monsieur Jadot suivra le chemin de Zion Lights, ancienne porte-parole d’Extinction Rébellion qui vient de lancer le site Emergency Reactor. Elle aussi a le sens de l’urgence : « WE CAN’T CONTINUE TO WASTE TIME. WE NEED TO REACT NOW. » peut-on lire en accroche sur le site et un petit tableau qui est pour le moins instructif :
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Même le président Macron à qui on doit la fermeture de Fessenheim et l’enterrement d’Astrid, vient de rappeler dans son plan la primeur et la nécessité de réinvestir dans la filière nucléaire qu’il tient pour essentielle pour l’avenir de notre pays. Il a cautionné notamment les Small Modular Reactors en Anglais dans le texte. Son dernier discours qui est pro nucléaire, pro biotech , smart agriculture et IA s’aligne totalement sur la quatrième partie de "Greta a tué Einstein". Quel revirement par rapport à la publicité du gouvernement qui nous invite à ré-utiliser notre vieille cafetière et notre vieux canapé.
Et sinon pour répondre à votre point « Y-a-t-il quelque chose d’absurde à corréler fin de l’histoire de la planète et agenda politique » je dirais qu’introduire un seuil dans le temps pour annoncer une catastrophe et insister sur une phase de non-retour est une stratégie typique de l’écologisme (définit comme idéologie politique). Une quantité de "prophéties scientifiques"’erronées ont été émises depuis les années 1970. On nous a prédit toute une série de catastrophes : Maurice Strong en 1972, à l’époque directeur du programme environnement des Nations Unies, a déjà annoncé qu’il nous restait 10 ans pour arrêter la catastrophe…. Depuis-lors on a eu le droit à un festival de prophéties : de terribles famines (1975), un nouvel âge glaciaire, des pluies acides détruisant les lacs, l’assèchement des mers et des océans (1980), la fonte des glaces polaires d’ici 2014, l’engloutissement de la ville de New York d’ici 2019, l’engloutissement des Maldives d’ici 2018, plus d’ouragans… N’oublions pas la prédiction d’Al Gore, selon lequel nous n’avions plus que 12 ans pour changer radicalement avant d’atteindre un point de non retour. Plus ces prédictions se veulent précises, plus elles sont fausses. Michael Shellenberger, un écologiste converti à la cause de la civilisation du progrès technologique a intitulé son dernier ouvrage Apocalypse Never... Ce titre est un pied de nez aux catastrophistes et autres prophètes de malheur qui ont fait profession d’annoncer la fin du monde… La collapsologie, par exemple, se veut une science qui étudie et prévoie l’effondrement… on voit les difficultés à laquelle elle se trouve confrontée... On sera d’autant plus suspicieux à son égard que la fin du monde en soit est une singularité et en tant que telle, elle échappe à tout discours scientifique.
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Si nous décidions de ne pas agir plus intensivement concernant le climat sur les 20 prochaines années, dans quelle situation serions-nous ? La bataille du climat serait-elle véritablement “perdue” comme le dit Yannick Jadot ?
Jean-Paul Oury: Il semble curieux d’annoncer par avance une défaite concernant la bataille du climat sans se donner le seul moyen crédible de la gagner, c’est à dire l’énergie nucléaire. Un peu comme prédire la perte d’une bataille en envoyant des lanciers à cheval contre une armée de blindés… L’histoire récente nous a montré ce que cela donnait. Cette volonté de créer un sentiment d’urgence à l’égard du climat est héritée des stratégies de communications des ONG écologistes. Comme je le montre dans "Greta a tué Einstein", il s’agit de créer le sentiment d’un danger imminent là où il y a un risque potentiel. Il y a un côté de mise en scène du danger indéniable. Ici la stratégie de certains idéologues écologistes consiste en plus à nous laisser croire qu’il n’y a pas d’alternative possible. Comme le rappelle dans False Alarm le converti Bjorn Lomborg - ancien militant écolo - quand on lit qu’il nous reste que quelques années pour agir, ce n’est pas ce que nous dit la science, mais ce que nous dit la politique. Ce genre d’affirmation vient du fait que des politiciens ont sollicité les scientifiques en leur demandant ce qu’il faut faire pour atteindre une cible quasiment impossible. Le statisticien développe une analogie saisissante : si on demandait aux scientifiques quelle action mettre en place pour qu’il y ait 0 mort d’accidents de voiture, la réponse pourrait être de limiter la vitesse à 5 Km/h. Le fait est que la science ne nous dit pas que nous devons rouler à cette vitesse, mais que si nous ne voulons pas avoir de morts dans des accidents de voiture, il faut limiter la vitesse à 5 Km/h.
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Mais ce que l’on retiendra surtout du dernier ouvrage de l’auteur du sceptique résolu, c’est que contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, il existe des alternatives en matière de politique climatique. Le problème qu’il identifie est que nos politiques s’échinent à choisir les solutions les plus chères sachant que celles-ci auront un résultat imperceptible. Ainsi un think tank néozélandais a calculé ce que cela coûterait à la Nouvelle-Zélande si elle faisait ce qu’il fallait pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Si ce pays veut atteindre seulement 50% de cet objectif, cela lui coûtera 19 milliards de dollars chaque année. Sur l’ensemble du siècle, le coût serait équivalent à 12800 $ par an et par Néo-Zélandais dans le meilleur cas. Et cela pour quel résultat ? Si en 2050, la Nouvelle-Zélande parvient à son objectif de neutralité carbone et s’y maintient jusqu’à la fin du siècle, elle contribuera à une limitation du réchauffement climatique pour sa part égale à 0,0022 °C….
Le GIEC lui-même évoque cinq scénarios possibles, rappelle Lomborg qui s’appuie sur les travaux du prix Nobel d’économie Peter Nordhaus : chacune de ces pistes estime que chaque individu sera plus riche en 2100 qu’aujourd’hui. Par exemple, dans la solution “verte” l’individu moyen sera six fois plus riche en 2100, comparé à 2020 (le revenu moyen étant de 106.000$). Avec la solution énergie fossile, ce revenu moyen est porté à 182.000$ par an (soit 10,4 fois plus riche qu’aujourd’hui). La solution verte nous conduit à une augmentation, de 3,22°C – soit un coût annuel de 3000$ ; la solution énergie fossile, une augmentation de 4,83°C – soit un coût annuel de 11000$. Une fois ces coûts déduits, on arrive donc à un revenu annuel de 103.000 $ pour la solution verte, et de 172.000$ pour la solution énergies fossiles. Lomborg en conclut que la meilleure solution consiste à privilégier la prospérité, car c’est ce qui nous garantie la possibilité de nous adapter face aux écueils du changement climatique.
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Samuel Furfari : Les annonces catastrophistes se répandent rapidement. Il y a en a toujours des nouvelles. Cela a commencé avec le Club de Rome au début des années 1970. Ils ont tellement endoctriné le monde entier (leur livre « Halte à la croissance » a été vendu à 30 millions d’exemplaires et traduit en plus de 30 langues). Ils prédisaient la fin du pétrole en 2000. Non seulement il a été ridicule, mais il a donné de mauvaises idées au colonel Kadhafi qui a dû se dire que « puisqu’ils pensent qu’il n’y a plus de pétrole, je vais leur faire payer cher ». On a eu les crises du pétrole à cause des prévisions farfelues du Club de Rome. Hélas on va devoir attendre 20 ans pour montrer combien les idées catastrophiques sont aussi dangereuses que celle d’il y a 50 ans. Pour quelle raison ? Pourquoi le Club de Rome avait-il tort ? Parce qu’il ne pouvait pas imaginer l’impressionnant progrès qu’il y a eu dans la prospection et l’exploitation des hydrocarbures et sans imaginer qu’on irait produire dans ce qu’on appelait des « nouvelles frontières ». Jadot procède de la même pensée négative. Avec l’impressionnant bagage de savoir que l’on a acquis, avoir peur c’est une offense à tous les scientifiques qui nous ont précédés. C’est aussi donner raison au pasteur Thomas Malthus – comme je le montre dans mon livre « Écologisme. Assaut contre la société occidentale » - qui prétendait au 18e siècle qu’il ne fallait plus donner « de remèdes » (comme on appelait alors les médicaments) aux pauvres pour qu’il meurent afin que les riches ne meurent pas de faim.
En climatologie existe-t-il réellement une logique d’effet de seuil comme les écologistes l’affirment depuis des dizaines d’années ? Est-ce si évident de déterminer un effet de seuil sur 20 ans ou une autre date ? Que sait-on vraiment des points de non retour climatiques ?
Samuel Furfari : Tout cela ne repose sur aucune justification scientifique. La science est expérimentale et ce point de basculement n’est nullement scientifique. Il sert à faire peur comme aussi le jour du dépassement qui indique un jour à partir duquel « on vit à crédit » sans dire quelle est la banque qui accorde ce prétendu crédit.
Quant aux modèles climatiques au moment de l’attribution de la moitié d’un prix Nobel de Physique à deux modélisateurs du climat, pour ne pas que le public ne se méprenne pas il est souhaitable de bien s’informer sur la signification de cette décision pour des travaux qui date de 30 ans.
Un point de bifurcation n'est pas un point de non retour; il signifie simplement qu'en le franchissant on change de régime mais il est toujours possible de "faire marche arrière", à un détail près: sans y pomper des ressources à basse entropie, le système évoluera immanquablement vers le désordre (l'instabilité climatique dans le cas qui nous occupe). C'est le deuxième Principe de la Thermodynamique qui nous le dit.
La science du climat ne perd-t-elle pas en légitimé et rigueur scientifique à force d’être brandie à tout bout de champ par divers courants politiques ?
Jean-Paul Oury : Les politiques, et même certains scientifiques, qui s’appuient sur des expressions telles que la « science a parlé » en Anglais « the science is settled » ne lui rendent pas vraiment service, bien au contraire. D’après le philosophe Karl Popper, on sait que le propre d’une hypothèse scientifique c’est sa réfutabilité… tout le contraire donc d’un discours irréfutable. Il parait alors difficile de dire que des modèles - car en plus il s’agit de modèle et non de lois - auraient une valeur de vérité absolue et impossible à falsifier. Et comme le montre Marc Rameaux, il y a une instrumentation idéologique de la modélisation numérique.
Récemment Steven E. Koonin, a justement publié un ouvrage intitulé « Unsettled » (indéterminé) pour dénoncer les déviances de certains à l’égard de la « science climatique » et dire ce que dit la science du climat, ce qu’elle ne dit pas et pourquoi c’est important. Cet ancien conseiller scientifique d’Obama a mis le doigt là-où ça fait mal en démontrant qu’il était totalement impossible de déterminer la part de responsabilité humaine dans le réchauffement climatique, ce qui dérange certains, car il ne nie pas l’existence d’une transformation climatique, il définit simplement ce qu’il est possible de dire et de ne pas dire. Koonin, par exemple dénonce le fait que beaucoup de politiques, mais aussi de médias et même certains scientifiques - eux en connaissance de cause - confondent science du climat et bulletin météo. Il rappelle également le peu de fiabilité des modèles climatiques des organismes qui travaillent pour le GIEC. Il montre qu’il n’y a aucune raison de penser que les catastrophes climatiques se sont accélérées récemment... Je trouve que cette honnêteté intellectuelle tranche avec le catastrophisme ambiant et on peut lui en être reconnaissant. D’autant plus que dans la deuxième partie de son ouvrage il appelle à l’action.
En fait le vrai problème n’est pas entre le fait de savoir s’il faut agir ou ne pas agir dans vingt ans. Le vrai problème est de savoir quelle politique scientifique est la mieux adaptée et si on peut encore confier le problème à des ingénieurs qui s’appuieront sur des solutions que leur apportera la science prométhéenne ou si on doit laisser faire les idéologues qui eux s’appuieront sur une science - qu’ils considèrent non comme un outil pour agir sur notre avenir, mais comme une parole révélée pour prédire celui-ci - afin de créer des lois et des nouvelles formes de déterminismes. Pour plagier Sandrine Rousseau, candidate malheureuse de la primaire écolo, il est bien évident qu’il faut préférer les ingénieurs des EPR etdes SMR à la carrière du sorcier vert Jadot.
Samuel Furfari : Le développement durable n’est pas une science, mais une vision politique de la société. Il serait bien prétentieux de prétendre qu’en 1972 lors d’une conférence des Nations Unies à Stockholm, on a découvert une nouvelle science. Il n’en est rien. Les climatologues sont des scientifiques. J’ai des amis climatologues qui sont de grandS scientifiqueS. Mais le GIEC n’est pas un organe scientifique. Drieu Godefridi a même écrit un livre ( Le GIEC est mort : Vive la science !) montrant que c’est un organe politique au sens strict du terme. Les gens sont hélas induits en erreurs par les politiques qui ont intérêt à faire croire que le GIEC est scientifique. Le i de GIEC signifie intergouvernemental et non pas interscientifique. J’ai participé durant ma vie professionnelle à des réunions intergouvernementales du GIEC et des COP. J’affirme que c’est de la politique écrite par des fonctionnaires des Etats-parties. Cela ne signifie pas qu’il faille dénigrer les authentiques chercheurs qui font de la science climatique, mais cela est autre chose. Le GIEC qui montre la voie en matière de lutte contre le changement climatique n’est pas un scientifique.
Mais la meilleure démonstration que la politique climatique n’est pas scientifique, mais politique, est le refus obstiné de s’opposer à la seule énergie qui ne produit pas d’émission de CO2 et qui soit abondante et bon marché : l’électricité nucléaire. Pour ceux qui ne l’ont pas encore compris, si l’UE a adopté 2 directives (2009 et 2018) et en prépare une troisième pour obliger la production d’énergies renouvelables c’est bien parce qu’elles ne sont pas rentables ; si elles l’étaient il ne serait pas nécessaire de développer un arsenal législatif de près de 100 pages pour obliger la production de quelque chose de rentable.
Il est choquant d’observer que l’Allemagne et la Belgique qui vont abandonner dans quelques années l’énergie nucléaire vont la remplacer par du gaz naturel émetteur de CO2. Et leurs gouvernements prétendent sans rire qu’ils vont diminuer de 55 % leurs émissions de CO2 tout en abandonnant le nucléaire. C’est le surréalisme à la Belge.
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