Vague après vague : mais qu’est ce qui explique les mystérieux cycles de deux mois dans la pandémie Covid ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un soignant au centre hospitalier de Polynésie française.
Un soignant au centre hospitalier de Polynésie française.
©Suliane FAVENNEC / AFP

Cyclique

Et quelles conclusions concrètes pourrions-nous en tirer ?

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : La dynamique du Covid-19 continue d’interroger. Plusieurs vagues successives sont suivies de baisses importantes que l’on n’arrive pas nécessairement à corréler avec les mesures de lutte contre l’épidémie. Est-ce le signe qu’il y a encore des variables que nous ignorons ?

Pr Antoine Flahault : Il y a bien longtemps que les scientifiques se posent la question de la dynamique d’une épidémie de maladie infectieuse. Après la pandémie de grippe espagnole, vers le milieu des années 1920, deux mathématiciens britanniques, Kermack et McKendrick s’étaient penchés sur une question voisine. A l’époque point de vaccins contre la grippe, et la pandémie avait fini par cesser de déferler d’elle-même sans que toute l’humanité soit atteinte. Le slogan que l’on a entendu un peu en boucle ces derniers mois « vous serez ou bien vaccinés, ou bien tous infectés par le variant Delta » n’est donc probablement pas totalement exact. Autrefois on parlait du « génie épidémique » des virus pour évoquer leur comportement propre, complexe, et difficile à prédire. Cette pandémie s’est illustrée par son imprédictibilité et plusieurs chercheurs se sont brûlés les ailes à croire pouvoir prédire l’évolution à long et même à moyen termes de cette pandémie. A l’université de Genève, avec les écoles polytechniques de Lausanne et de Zürich, nous produisons aussi, tous les soirs, des prévisions épidémiologiques pour les 209 pays et territoires du globe, mais nous avons souhaité les borner à 7 jours, un peu comme les sites météorologiques. Car nous pensons que nous ne savons pas encore prédire au-delà cette pandémie, et pour être honnête, même à 7 jours, nous trouvons que nous nous trompons encore beaucoup.

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Quelles sont les hypothèses permettant d’expliquer ces cycles ?

Cette question est particulièrement intéressante. Avant toute chose, il faudrait commencer par valider l’idée que cette pandémie obéirait à des phénomènes cycliques ou périodiques immuables partout dans le monde. En s’appuyant sur plusieurs exemples, David Leonhardt, journaliste au New York Times, dans un fil Twitter, a jeté les bases d’une théorie que cette pandémie obéirait à des cycles de deux mois. Il faudrait une analyse plus systématique, plus rigoureuse, plus exhaustive aussi pour voir si sa théorie tient la route, si les observations qu’il fait sont reproductibles. Ensuite, le journaliste propose plusieurs hypothèses intéressantes pour tenter d’expliquer ces allers et retour des vagues épidémiques sur deux mois. Il évoque le rôle propre du virus : un sous-groupe de la population serait particulièrement sensible à un variant, puis une fois le groupe suffisamment exposé et infecté par le virus, la vague reculerait spontanément jusqu’à l’arrivée d’un nouveau variant. Il évoque aussi le rôle des comportements humains. Nous vivons au sein de groupes sociaux qui limiteraient spontanément la circulation du virus, puis lorsque ces groupes se fragmentent, par exemple à l’occasion de vacances, alors cela créerait les conditions propice à l’éclosion d’une vague. Il évoque aussi une hypothèse plus classique, le fait que les comportements des personnes vis-à-vis de la pandémie seraient liés à leur niveau de préoccupation, mais aussi à leur lassitude, voire leur fatigue, et ces déterminants suivraient des cycles de deux mois. Il conviendrait de conduire davantage de recherches sur ces questions, en faisant appel à peut-être à des disciplines plus éloignées de l’épidémiologie. Trouve-t-on ce type de phénomène cyclique ailleurs dans la nature ? Les théories du signal pourraient-elles nous éclairer ?

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Si le Covid possède une logique interne cyclique, cela peut-il expliquer que certaines mesures barrières prises tardivement n'aient pas eu l’effet escompté ? La dimension cyclique du Covid doit-elle nous amener à appréhender différemment les mesures de restriction ?

Les insectes sociaux, comme les abeilles, par exemple, construisent des nids aux formes géométriques, qui outre leur esthétisme répondent à des cycles sans qu’ils soient organisés ou conçus par une intelligence autre que collective. Qu’il y ait une composante de ce type dans les comportements humains n’est pas à exclure. En revanche, je vois un danger à penser qu’un seul déterminisme piloterait cette pandémie. Cela signifierait que quoi que l’on fasse, quelle que soient les mesures que l’on prenne, l’épidémie monterait jusqu’à un niveau déterminé puis redescendrait inéluctablement. D’une part, parce que si la mécanique pandémique était si bien huilée, elle serait beaucoup plus facilement prédictible. Il existe une famille de modèles, appelés déterministes, qui devraient alors reproduire les tendances épidémiques observées et qui seraient très performants pour en prédire une évolution qui suit des cycles immuables. D’autre part, il y a un grand nombre de contre-exemples qui montrent  l’impact majeur de certaines interventions dans l’évolution de la pandémie. Je pense en particulier aux pays qui ont appliqué avec succès la stratégie zéro Covid, avant même qu’il y ait des vaccins. On ne peut pas laisser dire que les vagues dans ces pays ont déferlé avec la même ampleur et selon le même schéma que dans les autres pays. Lorsque l’on regarde les courbes épidémiques de Nouvelle-Zélande, de Taïwan, Singapour, d’Islande ou de Chine, on ne voit pas ces phénomènes cycliques de deux mois évoqués. Au Vietnam, en Thailande ou en Austalie qui se débattent aujourd’hui avec les assauts du variants Delta, une fatigue est possiblement en train d’opérer, mais jusqu’à récemment ils avaient réussi aussi à contrer la pandémie avec de grands succès, sans laisser place à des vagues aux cycles réguliers, sans stop&go répétés. Plus près de nous, la vague estivale a frappé les pays européens dès le mois de juillet. L’usage étendu du passe sanitaire en France, en Italie, au Danemark, en Espagne semble avoir permis de casser la courbe exponentielle de l’épidémie dans ces pays vers le milieu du mois d’août (un peu plus tôt en Espagne), alors que l’Allemagne, la Norvège, la Suède, l’Autriche, restent dans une dynamique de croissance exponentielle non contrôlée. La dynamique russe est encore différente, avec un plateau qui semble s’éterniser en longueur depuis le milieu de l’été.

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J’ai une autre hypothèse pour tenter d’expliquer l’observation de cycle de deux mois rapporté par David Leonhardt dans des pays qui ont choisi les stratégies de mitigation, c’est-à-dire de « vivre avec », et ne réagir que lorsque l’on est proche de la saturation du système hospitalier. Eh bien deux mois de croissance ininterrompue de contaminations par le SARS-CoV-2, avec un taux de reproduction largement au-dessus de 1, serait à peu près le laps de temps qu’il faut pour arriver au risque de saturation de nos systèmes de santé. En Inde, au Brésil, en Afrique du Sud, cela surviendrait un peu plus tôt que dans des pays aux infrastructures sanitaires plus solides, mais cela suivrait une logique très voisine. Pour prendre un exemple qui illustre cette hypothèse, celui du Royaume-Uni, lors de l’émergence du variant Alpha. Il avait fallu un mois avec un taux de reproduction qui n’était pas redescendu sous 1,20, en décembre 2020 au Royaume-Uni, pour que le NHS, l’organisation en charge des hôpitaux publiques britanniques, déclare fin décembre que le pays était à trois semaines de la saturation. Boris Johnson a décrèté, le 4 janvier un confinement généralisé et quinze jours plus tard, la décrue était largement amorcée.

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