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Retraites : 49.3, retrait ou "bidouille", quel chemin de sortie de crise serait le moins dommageable pour Macron ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Casse-tête

L'exécutif pourrait recourir au 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites. S'il était utilisé, des milliers d'amendements ne seraient pas examinés en séance publique. Quelle serait la solution la moins dommageable pour le gouvernement et Emmanuel Macron ?

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico.fr : Si Edouard Philippe n'est pas favorable à l'adoption de la réforme des retraites par 49.3, Emmanuel Macron n'y serait, pour sa part, pas opposé. S'il prenait une telle décision le gouvernement n'attiserait-il pas encore davantage la colère de l'opinion publique ou au contraire serait-ce pour lui un moyen de la convaincre de sa ténacité, de son sérieux ? 

Chloé Morin : Je ne sais pas si Emmanuel Macron s’est ouvertement exprimé sur l’éventualité de l’utilisation de l’article 49.3, mais je note tout d’abord qu’en 2015, il y était farouchement hostile lorsqu’il s’agissait de l’adoption de sa fameuse loi, face à une majorité à l’époque turbulente et en partie hostile à son projet. Je rappelle qu’il s’était même façonné à cette occasion une image de réformateur ouvert, désireux de convaincre et de vaincre toutes les réticences en passant des dizaines d’heures à débattre au parlement. Il avait alors rejeté la responsabilité de l’emploi du 49.3 sur Manuel Valls - personnage déjà perçu, à l’époque, comme brutal -, et n’avait pas tu son désaccord. Ce fut là un premier « acte lourd », tant pour Manuel Valls - pour lequel il marqua le début des critiques en autoritarisme - que pour Emmanuel Macron, qui y gagna ses galons de réformateur ambitieux et soucieux de s’extraire de la discipline gouvernementale lorsqu’il le jugeait bon.

Par conséquent, l’épisode actuel fait apparaître une contradiction, ou du moins souligne le chemin parcouru par Emmanuel Macron en termes de perceptions par l’opinion depuis 2015. Ses premiers pas étaient rafraichissants de par son ouverture et son souci du dialogue, il avait même été l’un des rares hommes politiques Français à importer des Etats Unis la tradition du mea culpa suite à une erreur (il avait involontairement semblé insulter les ouvrières de Gad, « illettrées »). Aujourd’hui, une grande part de l’opinion critique au contraire un exercice du pouvoir fermé, autoritaire, excessivement vertical. A ce titre, l’usage du 49.3 pourrait - comme ce fut le cas pour Manuel Valls au printemps 2016 avec le 49.3 sur la loi travail - venir cristalliser et solidifier un ensemble de représentations et de sentiments qui sont encore aujourd’hui diffus car liés à une accumulation de petits actes présidentiels plus ou moins anecdotiques. Dans 3, 6, 8 mois, on ne se souviendra pas de ces petits exemples quotidiens qui donnent un sentiment d’autoritarisme, en revanche chacun se souviendra du 49.3 et pourra donc venir y raccrocher ses représentations négatives. 

J’entends évidemment que c’est le Premier ministre qui portera la responsabilité institutionnel de l’usage du 49.3, mais il ne faut pas s’y tromper : ce n’est aujourd’hui pas Edouard Philippe qui est visé par les critiques en autoritarisme, mais Emmanuel Macron, et cela malgré leur co-responsabilité de fait dans la conduite des affaires du pays. Il y a donc fort à parier que l’opinion sanctionnera avant tout le Président. 

Arnaud Benedetti : L’opinion publique n’était pas initialement défavorable à la réforme par points. Le retournement s’est opéré avec le début du mouvement social certes, mais surtout suite aux errements communicants de l’exécutif et de sa majorité sur le sujet. Âge pivot, valeur du point, universalisation mais dérogation accordée à certaines catégories : le discours gouvernemental a laissé apparaître des hésitations qui trahissaient une forme d’impréparation. L’avis du conseil d’Etat mettant en exergue l’insécurité juridique du texte et le caractère hypothétique du financement de la réforme a donné du grain à moudre aux opposants à la réforme. Au fur et mesure que la mobilisation sociale s’infléchissait dans la rue, l’hostilité de l’opinion paraissait croître.

C’est dans ce climat étrange que le projet de loi est arrivé en discussion au Parlement. Les oppositions les plus déterminées (communistes et insoumis notamment) à la réforme ont compris que l’usage massif du droit d’amendement permettrait de poursuivre le combat social à l’intérieur de l’hémicycle, et que c’était le moyen le plus sûr de faire vivre le débat que l’exécutif a tout intérêt à clore pour passer à autre chose et montrer qu’il est parvenu à vaincre les résistances. En passant en force, en usant du 49-3, le risque pour l’exécutif n’est pas tant de réactiver la colère sociale - l’opinion est convaincue que le pouvoir ira jusqu’au bout de sa réforme, les études le montrent - que d’accréditer cette idée qu’il refuse le dialogue, contrairement à la promesse d’un acte 2 plus enclin au dialogue et à la concertation. On voit ce qu’il y a derrière cette disposition : consolider son socle électoral pour lequel la réforme des retraites est un marqueur du volontarisme macronien, mais avec le risque néanmoins que tout ceci se paye in fine dans les urnes compte tenu de l’impopularité persistante du pouvoir. 

En passant le texte en force le gouvernement serait-il davantage encore affaibli, alors qu'il a déjà été malmené par le conflit sur la réforme des retraites ? Pour regagner la confiance de l'opinion publique ne devrait-il pas plutôt retirer le texte ou choisir un certain entre-deux (c'est-à-dire faire passer le texte mais en reculer l'application) ?

Chloé Morin : La difficulté pour le pouvoir actuel est que son socle le soutien fermement dans son entreprise. C’est même le réformisme affiché d’Emmanuel Macron qui tient lieu de principal ciment de sa base de soutien actuelle. Lâcher sur un projet dont il a lui-même fait le symbole de son volontarisme réformateur pourrait donc être sanctionné par ceux dont il a le plus besoin pour 2022, pour parvenir au second tour de l’élection. Rappelons que selon un sondage réalisé par l’institut BVA, si près des trois quarts des français déclarent désapprouver l’emploi du 49.3, les sympathisants LREM déclarent eux approuver cette stratégie dans des proportions exactement inverses…

Le gouvernement se trouve donc au milieu du gué : aller au bout aura sans doute des conséquences de long terme, polarisera davantage une opinion déjà très divisée, éloignant de lui des électeurs dont il pourrait avoir besoin dans le cadre d’un second tour de présidentielle. Mais dans le même temps, renoncer paraît impossible. Je ne crois pas qu’en l’état de dramatisation politique actuelle, une troisième option soit possible : à mon sens, elle ne contenterait pleinement aucun des deux camps, et risquerait même de mécontenter tout le monde. Ceux qui veulent le retrait, souhaitent pour la plupart un retrait total et sans conditions, et ne feront sans doute pas confiance au gouvernement pour reprendre le projet à zéro. Ceux qui soutiennent le projet sont exaspérés de ce qu’ils perçoivent comme « l’obstruction » de l’opposition, et risqueraient d’être très déçus si le gouvernement cédait. 

Arnaud Benedetti : On s’étonnera inévitablement du recours au 49-3, car celui-ci a été pensé pour contraindre une majorité rétive et non pour cibler l’opposition. François Mitterrand, lors de la loi relative à la lutte contre la concentration de la presse au début des années 80, avait laissé les débats suivre leur cours durant des semaines. Il existe par ailleurs, en dépit de leur exaspération, des parlementaires qui à l’intérieur même de la majorité sont défavorables au déclenchement du 49-3, conscients sans doute que cette arme constitutionnelle qui a mauvaise réputation surinfectera l’impopularité de l’exécutif.

Pour autant, Emmanuel Macron et Edouard Philippe n’ont pas d’autre choix que de tenir - 49-3 ou non. Reculer c’est s’encalminer et clore le quinquennat, deux ans avant l’élection présidentielle. Mais la difficulté c’est qu’au temps parlementaire se surajoute le temps social, celui de la conférence sur le financement dont on mesure qu’elle n’est pas à ce stade prête d’aboutir. Si l’âge pivot - provisoirement retiré suite à la pression des syndicats réformistes - en venait à être rétabli faute d’accord, l’exécutif , en faisant perdre la face à la CFDT et à l’UNSA, se retrouverait à nouveau seul face à l’opinion. Les corps intermédiaires à nouveau marginalisés, les parlementaires privés de débat, c’est l’image d’un pouvoir solitaire et sourd qui reviendrait en force. On a vu ce que cela a fait courir comme risque au pays à l’occasion de la crise des gilets jaunes...

Finalement, quel serait le chemin de sortie de crise le moins dommageable pour le gouvernement et Emmanuel Macron ? 

Chloé Morin : A ce stade, parce que la crise dure depuis longtemps, et qu’elle touche à quelque chose de fondamental - comme je l’avais écrit ici il y a quelques temps - je crois tous les chemins de sortie de crise comporteront des conséquences négatives pour les acteurs en présence. 

Il me semble que le Président a intégré ces coûts dans sa stratégie politique, et considère qu’il lui vaut mieux pour lui arriver en 2022 avec une réforme perçue comme « majeure », bien que clivante, pour montrer à son socle électoral qu’il a "rempli le contrat » sur sa capacité à faire bouger le pays.

A mon sens, il ne peut donc pas céder. Ceci dit, rien ne l’oblige à faire usage du 49.3 pour faire passer sa loi : étant donné qu’il dispose d’une majorité écrasante, il a tout intérêt à faire preuve d’ouverture et de laisser le débat se dérouler, même s’il prend du temps. L’urgence peut difficilement être comprise par l’opinion en la matière, d’autant plus que l’argument consistant à dire qu’il faut évacuer le sujet avant les municipales paraît extrêmement politicien - or, paraître jouer un jeu électoraliste sur une question aussi fondamental pour l’opinion que les retraites sera forcément mal vu… Par ailleurs, invoquer l'urgence nourrit forcément la suspicion, les Français peuvent se dire : qu’ont-ils à cacher? Si ce projet est si bon qu’ils le disent, pourquoi ne laissent ils pas le débat se dérouler?

Au final, il me semble donc que la meilleure voie serait d’aller au bout, mais de prendre le temps du débat.

Arnaud Benedetti : Le Président du Sénat avait ouvert la voie à une solution en proposant le report du texte après la conférence de financement. C’était là un moyen de "destresser" la séquence et de montrer que l’exécutif écoutait les territoires à travers la Haute-Assemblée. Aujourd’hui l’exécutif est prisonnier de sa stratégie et de son image, il se veut déterminé et pressé d’avancer. De deux choses l’une : où il propulse à la canonnière du 49-3 une réforme qui bouscule l’un des éléments fondateurs de la République sociale telle qu’elle s’est construite après 45 mais avec le risque de crisper encore plus l’opinion ; où il laisse le débat parlementaire se poursuivre mais avec la menace de l’enlisement mais peut-être en pouvant parier sur la lassitude de l’opinion. Une dernière issue, celle qui consiste à sortir par le haut mais porteuse du plus grand des aléas : le référendum. Ce serait là l’esprit de la Vème mais qui aujourd’hui respecte encore cet esprit ?

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