Migrants à la frontière polonaise : l’UE comme un lapin pris dans les phares de la voiture biélorusse<!-- --> | Atlantico.fr
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Le personnel de sécurité polonais derrière une clôture en fil de fer barbelé à la frontière biélorusse-polonaise le 9 novembre 2021
Le personnel de sécurité polonais derrière une clôture en fil de fer barbelé à la frontière biélorusse-polonaise le 9 novembre 2021
©Leonid Shcheglov / BELTA / AFP

Frontex

Depuis le mois d’octobre de nombreux migrants se massent en un point de la frontière polonaise et cherchent à passer en Union européenne. Une situation qui inquiète Bruxelles.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Depuis le mois d’octobre de nombreux migrants se massent en un point de la frontière polonaise et cherchent à passer en Union européenne. Face à cette situation le gouvernement polonais aurait même refusé l’aide de Frontex. Faut-il y voir la conséquence des mauvaises relations entre le PiS et l’Union européenne, notamment sur la question migratoire ? L’UE récolte-t-elle ce qu’elle a semé ?

Rodrigo Ballester : Ce n’est absolument pas le cas. Il faut bien comprendre l’ampleur de la situation entre la Biélorussie et la Pologne. La situation actuelle relève plus du militaire que de la gestion migratoire. Aujourd’hui, la Pologne a envoyé 13 000 gardes-frontières de plus, ce qui s’ajoute à 12 000 soldats et des soldats anti-émeutes. Il s’agit donc d’une véritable armée avec 25 000 hommes sur place. De l’autre côté, il y a aussi une armée hostile et un état voyou. Toute cette crise migratoire est instrumentalisée par le régime de Lukashenko. C’est l’armée biélorusse qui est en train de transporter des migrants en Lituanie ou à la frontière polonaise. Cela relève de la guerre hybride bien plus que de la crise migratoire. 

Si demain la Pologne devait demander de l’aide à quelqu’un ce ne serait non pas à Frontex, mais à l’OTAN ! À l’heure actuelle, Frontex dans le meilleur des cas pourrait mobiliser 1500 personnes en piochant dans les effectifs des États membres. En outre, ces ressources limitées sont déjà mobilisées dans d’autres pays, notamment en Lituanie, un petit état qui a beaucoup moins de moyens pour faire face à la menace migratoire orchestrée par Lukashenko. La Pologne qui a une tradition de garde-frontières solide est infiniment bien mieux placée que Frontex pour réagir à cette situation. Dans ces circonstances, prétendre monter en épingle le soi-disant refus de la Pologne de coopérer avec Frontex alors qu’elle maintient de très bonnes relations avec cette agence qui a son siège à Varsovie, c’est tout simplement ridicule. 

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Laurent Chalard : La Pologne se caractérise depuis un certain nombre d’années par un nationalisme extrêmement important qui a tendance à aller à contre-courant de l’Union européenne. Le droit européen s’impose dans certains domaines des états membres et ils sont sensés respecter ce droit. Or en Pologne depuis que le PiS est au pouvoir, le parti mène une politique faisant fi des injonctions de Bruxelles. Mateusz Morawiecki et Andrzej Duda, premier ministre du pays et président de la république, sont souverainistes et traditionnels. Ils agissent comme s’ils n’étaient pas dépendants d’une organisation internationale telle que l’Union européenne. On a l’impression qu’ils gèrent le pays sans être membre de l’Union et en particulier sur tout ce qui relève du régalien comme le contrôle des frontières. 

Le pays souhaite avoir la mainmise des frontières sans avoir à faire appel à Bruxelles d’autant plus que cette frontière avec la Russie est importante du point de vue géopolitique. Elle oppose le camp occidental au monde russe dominé par la Russie. Du fait de cette frontière et de l’histoire de la Pologne qui a souvent eu des invasions de la part de ses voisins de l’Est, l’État préfère contrôler sa frontière. 

Aujourd’hui, il y a des relations très tendues entre la Pologne et l’Union européenne, des menaces de sortie de l’Union sont même prononcées par la Pologne. On peut même se demander si la conjonction de tensions entre l’État d’Europe centrale et l’Union arriverait vers une sortie. SI cela se passait ce serait le chant du cygne de l’union. 

A quel point la présence des migrants à la frontière polonaise est-elle une manœuvre politique de Loukachenko et de Poutine ?

Rodrigo Ballester : C’est une évidence, personne ne remet cela en cause au sein de l’Union Européenne. Face à la Pologne, il y a une vraie armée qui organise le transport des migrants aux frontières de la manière la plus cynique qui soit, au vu et au su de toute le monde. Des incidents graves ont eu lieu, notamment des militaires biélorusses mettant en joue des gardes-frontières polonais ou des intrusions régulières de drones sur le territoire polonais depuis plusieurs mois. La manoeuvre des biélorusses est politique mais surtout militaire. Les biélorusses avec l’aide de la Russie essaient de déstabiliser l’Union européenne sur sa frontière Est. Il s’agit d’une escalade de tension sans précédents qui relèvent, je le répète, plus du militaire que de la gestion des frontières. . 

Laurent Chalard : Pour comprendre la situation, il faut comprendre ce qu’il s’est passé avec la Turquie en 2015. Dans un contexte géopolitique tendu, le président turc a utilisé l’arme des migrants pour faire pression sur l’Union européenne afin d’obtenir les résultats politiques qu’il souhaitait . En Biélorussie c’est la même chose car il y a une forte tension entre la Pologne et son voisin. En 2020, il y a eu un mouvement de contestation contre Lukachenko et il y a vu la main de la Pologne. La Biélorussie a en son sein une minorité polonaise et cela sous-entend que celle-ci est perçue comme une 5ème colonne par le dictateur Biélorussie. Lukachenko a donc des comptes à régler avec son voisin polonais et il veut renverser le rapport de force avec les migrants. 

Les russophones disent que la Pologne ne respecte pas les règles humanitaires, mais ce n’est pas la raison première… Il s’agit d’un conflit géopolitique entre la Pologne et la Biélorussie et indirectement entre les États-Unis et la Russie. Depuis la chute du communisme, les polonais ont un mauvais souvenir de la période communiste et de l’occupation russe et ils cherchent un grand protecteur. Ils considèrent que l’Europe n’est pas un allié fiable étant donné que les européens de l’ouest les ont laissé tombé à l’orée de la seconde guerre mondiale. Ils se reposent alors sur le parapluie américain. Il y a un jeu à différentes échelles et dans cette situation on se demande à quoi sert l’Union européenne car elle ne tire pas les ficelles de tout cela. 

Qu’est ce qui explique que l’Union européenne soit incapable de montrer une réponse cohérente sur la question migratoire ?

Rodrigo Ballester : Pour que l’Union ait une réponse cohérente réelle dans cette situation concrète, il faudrait que l’on constitue un corps de 25 ou 30 000 gardes-frontières immédiatement déployables, ce qui relève de la science-fiction. Au mieux en 2027, Frontex disposerait de 10 000 gardes-frontières et ne sera jamais en mesure de rivaliser avec les armées et les corps nationaux. Ce n’est pas une critique envers l’UE ou contre Frontex, au contraire, on ne peut leur demander l’impossible ni leur exiger une cohérence continentale alors que le contexte est totalement différent à chaque frontière. Il s’agit simplement de rappeler que dans une situation d’urgence comme celle que connait la Pologne, c’est aux États de réagir avec leurs capacités militaires, ils sont bien mieux placés pour faire face à ces problèmes. 

Mais en parlant de cohérence, ce qui me surprend le plus c’est d’entendre le Parlement Européen et la Commission faire pression sur Varsovie pour que Frontex intervienne alors qu’ils étaient les fers de lance d’une campagne virulente contre cette agence il y a à peines quelques mois ! J’ai l’impression que les meilleurs ennemis de Frontex se trouvent plutôt parmi les institutions bien plus que du côté du gouvernement polonais. En toile de fond, un débat récurrent sur la raison d’être de Frontex :  veut-on en faire une vraie agence de contrôle de frontières ou bien une organisation de sauvetage de migrants en détresse et de contrôle de leurs droits au non-refoulement ? Une question existentielle. 

A noter que les lignes bougent parmi les Etats membres : douze d’entre eux ont récemment demandé à la Commission de financer la protection des frontières (y compris l’érection de murs) et de mettre le droit européen au diapason de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui (incroyable, mais vrai) reconnaît le droit des états de refouler les migrants qui forcent l’entrée du territoire en dehors des points de passage prévus. 

Laurent Chalard : L’Union européenne est un assemblage d’États qui partagent une histoire commune, mais qui n’ont pas vraiment d’intérêt communs. Il y a donc une incapacité à tirer des politiques globales et européennes. Il n’y a pas de projet géopolitique européen comme il n’y a pas de politique migratoire européenne. Les États sont trop divergents. Sur la question migratoire, des États sont contre et considèrent qu’ils n’en ont pas besoin de plus comme la France ou la Pologne, mais de l’autre côté l’Allemagne est un pays d’accueil des migrants. 

Les dirigeants aimeraient se donner une image des protecteurs des droits de l’homme dans le monde alors que dans les faits ce n’est pas le cas. Aucun État ne gère des politiques selon des principes de ce type. 

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