Les effets désastreux du confinement dans les EHPAD<!-- --> | Atlantico.fr
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Une personne âgée et une membre du personnel soignant dans un EHPAD.
Une personne âgée et une membre du personnel soignant dans un EHPAD.
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Bonnes feuilles

Elise Richard publie « Cessons de maltraiter nos vieux ! » aux éditions du Rocher. Élise Richard est partie à la rencontre des personnes âgées, des professionnels, des familles mais aussi des politiques qui s'intéressent à l'accompagnement du grand âge. Au cours de cette vaste enquête, elle a découvert les failles de tout un système, que la crise de la Covid-19 a révélées au grand jour : pénurie de personnel, cadences infernales, embauche de soignants sans diplôme et maltraitance institutionnelle. Extrait 1/2.

Elise Richard

Elise Richard

Elise Richard est journaliste. Elle réalise depuis douze ans des reportages et des documentaires pour la plupart des grands magazines d'information comme « Zone Interdite » sur M6, « Envoyé Spécial » sur France 2 ou « Le Doc du Dimanche » sur France 5.

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« Durant le premier confinement, la qualité de l’accompagnement des résidents s’est nettement dégradée », m’affirme une déléguée du personnel d’un EHPAD du sud de la France appartenant à un grand groupe privé lucratif. Elle tient à conserver l’anonymat par peur de poursuites de la part de sa direction. « Habituellement, on travaille toujours à flux tendu, mais avec la crise, les absences se sont multipliées et elles n’ont pratiquement jamais été remplacées. Faute de personnel suffisant, les toilettes étaient souvent bâclées, d’autant que les familles ne pouvaient plus rendre visite à leurs proches. Il n’y avait donc plus aucun garde-fou. Les résidents restaient seuls dans leur chambre du matin au soir, sans quasiment aucune distraction, car l’animatrice était partie et n’avait pas été remplacée. Le soir, on leur distribuait leur repas à partir de 18h30 et les plateaux repartaient dès 19 heures. Ils avaient à peine une demi-heure pour manger et on n’avait pas toujours le temps de passer de chambre en chambre pour aider ceux qui en avaient besoin. Certaines personnes ont ainsi perdu une quinzaine de kilos en l’espace de deux mois. »

Ce défaut de prise en charge de leur proche, certaines familles le suspectent elles aussi. C’est en tout cas la conviction de Corinne, dont la mère, Marie-Louise, est décédée le 12 avril 2020 dans un EHPAD privé lucratif, à l’âge de 95 ans. Médecin à la retraite, Corinne m’accueille dans son appartement. Sa douleur et sa colère sont encore palpables. « Ma mère, me dit-elle, n’avait aucun trouble cognitif, mais elle souffrait d’une légère insuffisance cardiaque compensée, ainsi que d’une maladie de la rétine24 l’ayant rendu pratiquement aveugle. De ce fait, elle avait beaucoup de mal à s’alimenter seule. Logiquement, elle devait être aidée pour manger. Mais, bien avant la crise, j’avais déjà constaté que le personnel de l’EHPAD était débordé. Sans compter la qualité de la nourriture qui n’était pas terrible. Alors, cinq fois par semaine, j’allais voir ma mère pour lui apporter à manger et l’aider à prendre ses repas. » Lorsque la maison de retraite ferme ses portes aux familles et que le confinement est annoncé, à la mi-mars, Corinne ne peut plus rendre visite à sa mère. Comme celle-ci entend très mal, elle ne peut pas non plus lui téléphoner. Elle communique donc avec elle via une application mise en place par le groupe dont dépend l’établissement. Mais les échanges sont très épisodiques, ses messages n’étant pas toujours transmis, selon elle. À défaut de pouvoir aider sa mère pour les repas, Corinne prépare chaque jour des sacs isothermes, remplis de pruneaux, de madeleines ou de jus d’orange, qu’elle dépose à l’entrée de l’établissement afin qu’ils lui soient remis.

« Un jour, une infirmière m’appelle et me dit : “Votre maman est fatiguée. Vous pouvez venir la voir.” Je comprends alors qu’elle va bientôt mourir, raconte Corinne. Quand je suis arrivée, je n’ai pas reconnu le visage de ma mère. Elle avait une perfusion au pied et elle était plongée dans un coma profond, dans un état de déshydratation et de dénutrition évident. J’ai su tout de suite que c’était la fin. » Marie-Louise décède en effet quelques heures plus tard. « Sur sa table, j’ai remarqué des bouteilles d’eau qui n’avaient pas été ouvertes et des madeleines encore emballées, ajoute Corinne. Pour moi, il ne fait aucun doute que ma mère est morte d’abandon. Elle s’est laissée mourir, faute d’accompagnement et de stimulation. » Corinne a porté plainte contre X pour homicide involontaire, mise en danger de la vie d’autrui et non-assistance à personne en danger. Une information judiciaire a été ouverte. Mais même une condamnation n’apaisera pas la douleur. Ce que Corinne déplore surtout, c’est de ne pas avoir été prévenue plus tôt que l’état de sa mère se dégradait. Ne pas avoir pu l’accompagner, alors que celle-ci était encore consciente. « C’était mon vœu le plus cher d’être à ses côtés quand elle partirait, me confie-t-elle. Je ne m’en remettrai sans doute jamais. Cela va me poursuivre jusqu’à la fin de ma vie. »

Cette histoire n’est malheureusement pas un cas isolé. Seuls dans leur chambre durant des mois, ne pouvant voir leur famille que par écran interposé, certains résidents se sont en effet littéralement laissé mourir, refusant de se lever, de s’alimenter et même de communiquer. Un « syndrome de glissement » dont a été témoin Lucile. Elle est aide-soignante dans un EHPAD en Bretagne, qui a été totalement épargné par le virus lors de la première vague, mais pas par les morts. « Il n’y a eu aucun décès lié à la Covid-19 dans notre établissement, affirme Lucile. En revanche, le confinement a eu des effets désastreux sur certains résidents. Ceux qui étaient habitués à avoir des visites tous les jours se sont sentis abandonnés et ont glissé vers la mort. Ils ne voulaient plus manger ni se lever, ils étaient entièrement repliés sur eux-mêmes et devenaient même agressifs pour certains. Au total, en l’espace de trois mois, six personnes sont décédées des suites du confinement. »

Extrait du livre d’Elise Richard, « Cessons de maltraiter nos vieux ! », publié aux éditions du Rocher

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