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Un Bayraktar TB2 photographié à Chypre en décembre 2019.
Un Bayraktar TB2 photographié à Chypre en décembre 2019.
©Birol BEBEK / AFP

Arme tactique

Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement ukrainien a publié de nombreuses vidéos de drones Bayraktar TB2 de fabrication turque détruisant du matériel russe.

Pierre d'Herbès

Pierre d'Herbès

Pierre d'Herbès, diplômé de la Sorbonne Paris-IV et de l’École de Guerre Économique, est consultant en intelligence économique chez d'Herbès Conseil. Il s'intéresse aux rapports de forces internationaux et en décrypte les mécaniques d'influence. Il est spécialisé dans les questions de défense, d'énergie, d'aérospatiale et de sécurité internationale.

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Atlantico : Depuis le début de la guerre en Ukraine, le gouvernement ukrainien a publié de nombreuses vidéos de drones Bayraktar TB2 de fabrication turque détruisant du matériel russe. Quelle est l’importance de ce drone dans ce conflit ? 

Pierre d’Herbès : Il y a une tendance globale, surtout médiatique mais pas uniquement, à surestimer l’influence du drone Bayraktar TB2. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas efficace. Si l’on regarde les statistiques avérées, le TB2 a été responsable de la destruction de quelques dizaines de véhicules légers, de camions de logistique, et de quelques stations de communication et de commandement ainsi que des postes d’artillerie et des systèmes anti-aérien (Tor, Buk, etc).  

A l’échelon tactique, les drones Bayraktar produisent donc des effets indéniables. Pour une armée ukrainienne qui dispose de peu de marge de manœuvre à l’échelon opératif, il s’agit d’une capacité appréciable d’attrition des forces russes. En fait, l’usage des TB2 s’intègre parfaitement à la stratégie de «petite guerre » pour laquelle ont optés les Ukrainiens depuis le début du conflit. Ils ont en effet refusé l’idée d’un engagement blindé et mécanisé conventionnel qu’ils n’auraient pas pu tenir face à une armée russe largement supérieure.

Cette petite guerre ukrainienne s’articule entre un retranchement dans les zones urbaines, et des coups de mains et des embuscades sur les lignes logistiques russes ; ces dernières sont irrégulières et mal protégées. Elles sont alors une proie facile pour un vecteur de type drone. A noter que leur capacités ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance) constituent aussi un atout en termes de renseignement pour des commandants tactiques ukrainiens souvent contraints à l’autonomie. 

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 Il faut cependant relativiser leur impact opérationnel : sur les plus de 1100 vecteurs (Chars, VBCI, VBTT, artillerie, camions, etc) neutralisés par les Ukrainiens, seule une cinquantaine l’ont été par des drones TB2. Une empreinte certes indéniable mais qui n’a rien d’un « game changer ». La typologie des vecteurs neutralisés ou détruits par les TB2 montrent que ces drones sont presque exclusivement actifs sur les arrières russes et les voies de ravitaillement. Et non pas dans les zones de combat les plus intenses (probablement mieux protégées par la défense anti-aérienne Russe). De facto, aucun char de bataille ni aucun véhicule blindé de combat d’infanterie ou de transport n’ont été détruits par les drones de Bayraktar. 

L’aspect psychologique qu’apportent ces drones joue-t-il un rôle ?

Les Ukrainiens ont largement exploités l’imagerie, spectaculaire, des destructions causées par les drones, comme une arme informationnelle. A tel point que le drone TB2 est devenu un pilier de la propagande ukrainienne dans le cadre de la guerre. 

En fait, c’est bien sur le moral, la psychologie et les perceptions que le TB2 est le plus redoutable. Il participe à mettre en valeur le professionnalisme des soldats ukrainiens face à une armée bien plus puissante que la leur. Tout en ironisant sur une armée russe finalement moins redoutable et plus faible qu’elle ne le prétendait. Ce qui n’est d’ailleurs pas tout à fait faux. Il s’agit d’un atout puissant pour le moral des forces ukrainiennes et les civils mais aussi sur l’opinion publique occidentale, sur laquelle travaillent explicitement les Ukrainiens. 

A noter qu’il n’est pas impossible que la Turquie participe à la construction de la légende de son drone en sous-main. Le TB2 est devenu, après plusieurs déploiements (Syrie, Libye, Arménie) ces dernières années, un symbole des progrès de sa BITD (Base Industrielle et Technologique de Défense). 

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Quelles sont les principales caractéristiques et avantages des drones ? En quoi sont-ils différents des drones conventionnels ?

Comme de nombreux drones MALE (moyenne altitude, longue endurance) armés, le Bayraktar TB2 combine l’endurance (comparée à un avion de chasse) avec la capacité à produire des effets dits cinétiques (tirer). En ce sens, les drones MALE sont présent sur toute la boucle décisionnelles que l’on appelle la boucle OODA (Observation, Orientation, Décision, Action) ; en plus de bénéficier de la « permanence » au-dessus du théâtre d’opération. De ce fait ils raccourcissent la distance entre la détection et la neutralisation d’une cible, Ils accélèrent le tempo de la bataille, au détriment de l’adversaire. Dans les armées occidentales, ils s’intègrent donc parfaitement, aux systèmes C4ISTAR (Command, Control, Computer, Communication, Intelligence, Surveillance, Targeting, Asses, Reconnaissance) et aux doctrines de combat collaboratif. 

Le Bayraktar TB2 est un drone MALE léger. Il est capable d’évoluer à une altitude de 6 500 mètres pendant prés de 25 heures et d’emporter une charge utile d’environ 150 kg. Soit des capacités deux fois inférieures au MQ-9 Reaper pour l’altitude et l’endurance et dix fois inférieures pour la charge utile. Le TB-2 est plus comparable à des drones comme le MQ-1C Gray Eagle (Etats-Unis), le Heron TP (Israël) ou le Orion-E (Russie). A savoir des drones MALE, donc des drones dits « stratégiques », mais dont l’emploi et les effets sont avant-tout tactiques. Le principal atout de ce drone, outre un développement très bien maitrisé, est son faible coût unitaire (5 millions de dollars) qui le rend relativement consommable. Il ne comporte cependant pas d’innovation critique et sa charge utile est la plus basse de sa catégorie. 

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Concernant le guidage, les drones TB2 sont majoritairement guidés via des liaisons de données LOS (Line of sight) d’une portée de 180km, ce qui les rends virtuellement plus sensible au brouillage. Des éléments qui abondent dans le sens d’un emploi strictement tactique, local et non-coordonnée des TB2. Surtout compte-tenu des fortes difficultés de l’armée Ukrainienne dans le commandement et contrôle. A noter que depuis 2021, Bayraktar propose, via le groupe Ctech, des liaisons de données satellitaires (BVLOS) : les TB2S.  

Les drones sont-ils de manière générale un atout important des Ukrainiens à l’heure actuelle ?

Comme on l’a vu avant, les drones TB2 sont un atout tactique au sens militaire, et stratégique au sens informationnel ou médiatique. Mais ils agissent aussi comme un révélateur des graves failles opérationnelles russes : dans la planification, la gestion (et la protection) de la logistique voire l’encadrement ; et cela dès les débuts de l’offensive. 

Il est clair que le taux de succès et de survie de ces drones serait très faible dans les zones de combat les plus denses. Mais il n’en demeure pas moins qu’ils sont parvenus à détruire une dizaine de systèmes de défense anti-aérienne (AA) russe ; dont certains sont explicitement conçu pour la défense AA et AD (anti-drones) basse couche (Tor, Pantsir S-1).

 Pour certains analyste, il s’agirait d’une faible empreinte radar, qui rendrait le TB2 difficilement détectable. Mais pour d’autres, les vecteurs en question auraient été surtout victimes de la désorganisation totale et l’embouteillage des convois logistiques russes, qui aurait gêné le bon déploiement des systèmes AA sensés les protéger. Sans compter leur nombre insuffisant du fait de leur éparpillement sur le théâtre d’opération. 

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Les retour d’expérience (ReTex) des conflits en Libye et en Syrie ne sont pas particulièrement pertinents. Il est vrai que les TB2 sont parvenus à y détruire des systèmes Pantsir-S1 (et des blindés). Mais il est aussi fort probable que la cause soit moins les équipements que le niveau de formation des servants. Il en va de même pour la guerre du Haut-Karabagh qui oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan (2020). Erevan disposait d’une très dense défense AA multicouches (dont des systèmes Tor), pourtant celle-ci s’est fait rapidement détruire par les drones azéris (dont des TB2). Là encore, les ReTex pointent les insuffisances du commandement et de la formation seraient davantage responsables que les systèmes en tant que tel. De fait la guerre ne se réduit pas à compter les canons dans chaque camp : les paramètres à maitriser sont nombreux. 

Pour le moment les informations sont encore chaudes, et encore marquées par l’instantanéité. Il faudra attendre des mois après la fin de la guerre pour élaborer des RetEx réellement fiables. 

Pouvons-nous nous attendre à ce que de tels drones deviennent la norme lors de tout conflit armé ?

Oui très clairement. Et ils sont d’ailleurs déjà et se perfectionnent en permanence même s’ils ne sont qu’un outil parmi d’autres. Comme on l’a vu, ils ont joué des rôles importants dans de nombreux conflits ces dernières années (Syrie, Libye, Arménie). Mais ils sont aussi largement utilisés, et depuis longtemps, par les armées occidentales. L’armée française déploie par exemple plusieurs systèmes de drone Mq-9 Reaper au Sahel. Il y remplissent un nombre varié de missions de renseignement (ISR) et d’appui sol à l’armée française ou aux armées du G5 Sahel. On peut aussi citer le programme SCAF (Système de Combat Aérien du Futur), l'avenir de l’aviation de combat française, qui comporte organiquement une composante drone. 

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Les drones ont été aussi utilisés par les forces de l’OTAN lors des opérations en Serbie (1999) ou en Libye (2011). Sans compter l’Irak et l’Afghanistan. Ils étaient considérés comme essentiellement utiles lors de conflits de basse ou moyenne-intensité car trop fragiles et trop lent pour survivre à la haute intensité (AA, défense aérienne, brouillage). Or les deux derniers conflits de haute-intensité (Haut-Karabagh, Ukraine), tendent à prouver au contraire leur grande dangerosité malgré leur fragilité supposée : surtout quand ils sont déployés en nombre

Or, les armées occidentales, qui voient proliférer les drones partout dans le monde, ont perdu l’habitude de défendre la 3e dimension (le ciel). Elles sont habituées à n’y être jamais contestées, ou, à tout le moins, de n’y voir jamais surgir de menace. Or, plus que l’armée russe, voire l’armée arménienne, les occidentaux, Etats-Unis et France en tête, sont aujourd’hui particulièrement vulnérables à la menace des drones notamment micro, mini et tactiques. D’où une inflation de programmes sur la lutte anti-drone ces dernières années. A noter que cette logique vaut également pour les aéronefs classiques ou les systèmes de défense AA : les armées américaines ou française n’ont, en général, plus l’habitude d’être contestées dans la 3e dimension. 

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