L’incroyable odyssée ayant permis à la Banque de France de sauver son or des Nazis pendant la Seconde Guerre mondiale<!-- --> | Atlantico.fr
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L'entrevue de Montoire, la rencontre du 24 octobre 1940 entre le maréchal Pétain et Adolf Hitler dans la gare de Montoire-sur-le-Loir.
L'entrevue de Montoire, la rencontre du 24 octobre 1940 entre le maréchal Pétain et Adolf Hitler dans la gare de Montoire-sur-le-Loir.
©Paul J. RICHARDS / AFP

Casa de Papel le prequel (en vrai)

Au printemps 1940, après la percée des armées allemandes, l'évacuation des 1.777 tonnes d'or de la Banque de France se prépare afin que cette réserve ne tombe pas entre les mains du régime nazi.

Jean  Ronarc'h

Jean Ronarc'h

Jean Ronarc'h relate l'histoire militaire et navale dont il est un fin connaisseur.

 

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15 juin 1940, alors que l’armée allemande est entrée dans Paris la veille, des officiers allemands se présentent à la Banque de France pour faire main basse sur la deuxième plus grande réserve d’or du monde.

Mais ils arrivent trop tard, l'or a disparu. 

Alors que les tensions européennes montent dans les années 30, la Banque de France sécurise l’or vers les côtes selon un plan classique. Déjà en 1870, lors de la guerre contre la Prusse, l’or fut expédié à Brest, prêt à être convoyé en Angleterre. Pendant la Première Guerre Mondiale, il est mis à l'abri dans des caches du Massif central.

Une partie est envoyée aux Etats-Unis pour acheter des armes dans le cadre du programme Cash and Carry (Loi permettant de contourner la neutralité américaine).

A l’été 1939, l’or est réparti dans les ports français, Brest, Lorient, Toulon, le Verdon (Bordeaux)... 

La France dispose sur son territoire d’environ 1700 tonnes d'or, plus 230 tonnes d'or belge et polonais. 800 tonnes sont déjà aux Etats-Unis, à la réserve fédérale de New-York.

L’or Polonais a déjà fait un sacré périple! Evacué en train de Varsovie en septembre 1939 vers le port de Constanza, Roumanie, d'où un petit pétrolier anglais les emmène en Turquie. De là, train pour Beyrouth, d'où la flotte française les convoie jusqu'à Toulon, puis Nevers.

Entre Septembre 39 et avril 40, la Marine Nationale convoie en 4 fois, 400 tonnes vers New-York via Halifax, au Canada. Pour sécuriser l’acheminement et diminuer les risques en cas d’attaque de sous-marins allemands, 11 navires sont mobilisés, dont les fameux croiseurs rapides de 7500 tonnes. 

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Début Mai 40, alors que les armées alliées s’écroulent après la percée de Sedan, Lucien Lamoureux, ministre des Finances, propose l’évacuation de l’or de France. Devant l’opposition générale du gouvernement, le président du conseil Paul Reynaud refuse. Mais Lamoureux, désobéissant, ordonne tout de même l’évacuation de l’or. Cette initiative sauva l'or de France.

Le 19 mai, le Porte-Avions Béarn part de Toulon avec 195t d’or rejoint dans l’Atlantique par les croiseurs Emile Bertin et Jeanne d’Arc avec 210t. Ils atteignent Halifax le 1er juin. L'Emile Bertin, croiseur le plus rapide du monde (40nds, vitesse très élevée encore de nos jours), repart seul vers la France le 3 juin, les nouvelles du front sont catastrophiques.

Alors que les armées nazies déferlent sur la France, la course contre la montre pour évacuer les centaines de tonnes d’or restantes a commencé. Des paquebots sont réquisitionnés par la Marine, sous la supervision d’employés de la Banque de France.

Scène improbable, au Verdon le 28 mai, des douaniers essaient d’empêcher l’embarquement de l’or sur le paquebot "Ville d'Oran" car les documents ne sont pas totalement en règle. Ils seront neutralisés par des marins et 200t sont embarqués pour Casablanca.

L’Emile Bertin, arrive à Brest le 9 juin (6 jours pour franchir l’Atlantique!) et appareille le 11 pour Halifax après avoir embarqué 250 tonnes d'or, plus grosse cargaison sur un seul navire. 

Le 12 juin, il reste 750t d’or à Brest, 16200 caisses et sacoches, qu’il faut évacuer en toute urgence. L’essentiel est encore au fort du Portzic, à une dizaine de kilomètres des navires du port de Brest.

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Sous la supervision de deux employés de la Banque de France, et d'un officier, 300 marins vont assurer le transfert du fort vers les navires. Il faut charger les caisses sur chariots, charger sur camion, conduire, décharger sur le quai, charger à bord des navires… Et les Allemands arrivent. 

16 juin. Alors que la Luftwaffe bombarde déjà la rade de Brest, il n’y a que 6 camions pour effectuer le transfert, mais l’on trouve des camions anglais abandonnés pour aider, et des marins à demi saouls sont sortis de la prison de Pontaniou pour aider à la corvée. L’amiral Brohan, major général du port de Brest, met à disposition 5 paquebots pour accélérer l’embarquement de l’or.

17 juin midi. Coup de tonnerre. Le Maréchal Pétain, remplaçant Paul Reynaud depuis la veille, annonce la demande d’armistice française à la radio. Mais immédiatement l’Amiral Darlan, chef d’Etat Major de la Marine, conteste et annonce par radio à la Marine que la guerre se poursuit à outrance. Le transfert se poursuit donc, les marins ne respectant pas l'ordre de Pétain.

Entre les bombardements et les alertes aériennes, le dernier chargement sur les camions se termine le 18 juin à 4h du matin au Portzic. Dans la base navale, la tension est extrême. 75 navires doivent quitter Brest avant l'arrivée de l'armée allemande, tout le monde court partout, à la recherche de vivres, matériel, mazout.

La sortie de la rade n’étant pas possible de nuit en raison des mines et des filets, l’amirauté prévient que tout navire qui n’a pas appareillé de Brest à 18h sera sabordé, or chargé ou non. Il reste 7h pour terminer le chargement sur les cargos.

18h30. Depuis 14h, la flotte quitte le port de Brest, le dernier cargo, le El Mansour, appareille à la toute dernière minute, l’or de la Banque de France à son bord. Au même moment, l’or polonais et belge quittent le port de Lorient. L'immense flotte se dirige vers Dakar.

L’or est à l’abri des nazis, mais un autre problème se pose désormais. A qui appartient-il? La France Libre? Vichy? Le cas de l’Emile Bertin est révélateur de la confusion des jours qui suivirent la demande d’armistice. Parti de Brest le 11juin, il arrive à Halifax le 18 avec ses 250t d'or.

Refusant de débarquer l’or en l’absence d’ordre précis, la situation est tendue avec les Britanniques qui menacent le croiseur Français. Le 21, l’Amirauté lui ordonne d’appareiller pour la Martinique. Mais trois croiseurs lourds Anglais l’attendent à la sortie pour l’escorter.

Profitant de sa vitesse le français sème les Anglais dans la nuit et fonce vers la Martinique. On ne sait pas encore à ce jour si les Anglais avait ordre de tirer comme ils le firent à Mers El Kebir (3 juillet) et Dakar (8 juillet). L'Emile Bertin arrive le 24 à Fort de France. Il y rejoint notamment le Porte-Avions Bearn, qui avait été dérouté en pleine débâcle des armées françaises.

L’or de la Martinique est débarqué et gardé pendant le reste du conflit par l’armée de Terre au fort Desaix, et par l’employé de la Banque de France Edouard de Katow. L'Emile Bertin, à l’instar de la Martinique, resta sous blocus américain, entre deux ordres de sabordage, jusqu’en aout 43 où il rejoint les Alliés.

En juillet 40, l’or est donc réparti entre New York (environ 1200t), Fort de France (250t) et Dakar (1300t dont l’or belge et polonais). Suite à l’attaque de Mers El Kébir le 3 juillet, l’or de Dakar est sécurisé 70km dans les terres. L’opération est terminée le 7 juillet, la veille d'une attaque anglaise destinée à neutraliser la flotte française de Dakar.

De Gaulle voulant gagner en crédibilité et en moyens, persuade Churchill de s'emparer de la région de Dakar pour récupérer, entre autres, de l’or. Mais l’assaut (23-25 septembre) est un échec et la réputation de de Gaulle en souffrira.

La conséquence de cette attaque fut le transfert de l’or vers le village de Kayes (Mali actuel), à 900km des côtes de Dakar. L’accès est compliqué : il n’y a que 3 trains par semaines qui nécessitent 18h de voyage, pas de téléphone et les routes sont impraticables lors de la saison des pluies. 

Très vite, Hitler exigea que Vichy lui remette l’or belge et polonais. Alternant menaces et négociations avec la Banque de France (institution privée n’étant pas aux ordres politiques), l’or belge est finalement sacrifié et remis aux nazis. L’or ne parvient en Allemagne qu’en mai 42 après moult obstructions françaises. Tous les lingots d’or belge furent ensuite refondus en Prusse Orientale. Afin de lever tout soupçon sur la provenance de l’or, les nazis l’estampillèrent aux années 1936 et 1937.

La Banque nationale de Belgique, intenta un procès à New-York contre la Banque de France en février 1941, dans le but de réclamer une partie de l’or français. Après une longue bataille de procédures, la BdF dut rembourser intégralement la Banque Belge en octobre 44.

La situation restera globalement inchangée jusqu’à la libération. L’or de Martinique ne revient dans l’Hexagone qu’en 1946. En tout, environ 395kg manqueront à l’appel, probablement perdus ou volés entre Dakar et Kayes, ou Kayes et Alger. Ce qui est très peu. 

Très peu d’informations sont disponibles sur l’or manquant. Une caisse de 50kg venant de la succursale de Laval est arrivée au port de Dakar « remplie de boulons et de morceaux de fer au lieu des lingots attendus ».

Les fantasmes sur l’or de France disparu entrainent le drame de l’affaire Troadec, dans laquelle quatre membres de la famille Troadec sont assassinés le 17 fevrier 2017 par Hubert Caouissin, persuadés que ceux-ci ont possèdent une caisse d’or prétendument tombées dans la rade de Brest lors de l’embarquement de juin 40. 

Loïc Guermeur 
Source : "Sauvez l'or de la Banque de France" - Tristan Gaston Breton - 2002 - Ed Broché
"Le croiseur Emile Bertin" Paul Carré 2002
"Les Cahiers anecdotiques de la banque de France" Didier Bruneel

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