L’énergie selon les (étranges) calculs de Yannick Jadot<!-- --> | Atlantico.fr
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Le leader écologiste Yannick Jadot a asséné quelques contre-vérités concernant le nucléaire lors d'une émission sur France 2.
Le leader écologiste Yannick Jadot a asséné quelques contre-vérités concernant le nucléaire lors d'une émission sur France 2.
©Eric PIERMONT / AFP

Arithmétique verte

Yannick Jadot a affirmé sur France 2 que "90% des investissements énergétiques dans le monde sont dans les énergies renouvelables". On en est pourtant très loin.

Valérie Faudon

Valérie Faudon

Valérie FAUDON est Déléguée Générale de la Société Française d’Energie Nucléaire (SFEN) et Vice-Présidente de l’European Nuclear Society (ENS).  Elle est enseignante à Sciences-Po dans le cadre de la Public School of International Affairs. Elle a été Directrice Marketing d’AREVA de 2009 à 2012, après avoir occupé différentes fonctions de direction chez HP puis Alcatel-Lucent, aux Etats-Unis et en France. Valérie est diplômée de l’Ecole Polytechnique, de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, et de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Elle est aussi titulaire d’un Master of Science de l’Université de Stanford en Californie.

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Atlantico : Dans l'émission Vous avez la parole sur France 2, Yannick Jadot a affirmé que "90% des investissements énergétiques dans le monde sont dans les énergies renouvelables". Cette déclaration est-elle juste ?

Valérie Faudon : Les investissements dans les énergies renouvelables progressent heureusement, mais les investissements énergétiques dans le monde restent encore en 2020 dominées par les énergies fossiles.  L’Agence Internationale de l’Energie de l’OCDE, l’organisation gouvernementale de référence sur ces sujets, estime que les dépenses d’investissement dans les renouvelables étaient de l’ordre de 300 milliards de dollars en 2020, soient environ de l’ordre de 20% seulement des dépenses totales, estimées à 1500 milliards de dollars.  Par comparaison les dépenses d’investissement dans le  pétrole, le gaz et le charbon, que ce soit pour la recherche, l’extraction, le transport et aussi leur utilisation dans les centrales thermiques représentaient encore plus de 600 milliards de dollars, donc le double des investissements dans les renouvelables. L’affirmation de Yannick Jadot est non seulement erronée : elle est représentative d’un vrai problème dans le débat énergétique en France, qui est d’opposer systématiquement énergie nucléaire et énergies renouvelables, alors qu’elles sont toutes peu émettrices de CO2, et donc toutes bonnes pour le climat. Le vrai enjeu de la lutte contre le changement climatique, c’est de diminuer notre consommation de pétrole, de gaz, de charbon, qui dominent encore notre consommation d’énergies et sont justement fortement émettrices de CO2.  Opposer les solutions entre elles, c’est se tromper d’objectif, et perdre du temps.

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Dans quelles circonstances devrions-nous nous trouver pour que le chiffre de 90% avancé par Yannick Jadot puisse être vrai ? Est-on encore loin de ce scénario ?

Oui on est loin de ce scénario, comme on l’a vu sur les chiffres : nous sommes encore très dépendants du pétrole, du gaz et du charbon. En France, plus de 90% de l’énergie utilisée dans les transports est le pétrole. En Europe, le charbon et le gaz représentent encore plus de 35% de la production d’électricité.  De nombreuses institutions travaillent aujourd’hui sur des scénarios de « neutralité carbone » à l’horizon 2050, c’est à dire des scénarios où l’on arrive à réduire de manière drastique nos émissions de CO2, de telle manière que la concentration dans l’atmosphère n’augmente plus. Toutes s’accordent toutes pour dire que nous sommes en situation d’urgence, et que pour diminuer notre dépendance aux énergies fossiles on aura besoin absolument toutes les solutions, l’éolien, le solaire, l’hydroélectrique, le nucléaire, et aussi de toute une liste d’autres solutions, certaines restant encore à développer. Les scénarios tablent sur une très forte croissance des énergies renouvelables, mais pas seulement : ainsi le scénario de référence de l’AIE table sur un doublement de la production nucléaire mondiale d’ici 2050. De nombreux pays affichent une stratégie qui combine énergies renouvelables et nucléaire : c’est le cas de la Chine, qui vient encore d’annoncer cette semaine la construction de cinq nouveaux réacteurs nucléaires, mais prévoit de devenir, d’ici 2030, le premier exploitant mondial. Mais aussi, plus proche de nous, un pays comme la Pologne, très dépendante du charbon, prévoit de construire six réacteurs nucléaires, en complément d’investissements dans l’éolien en mer.  L’énergie nucléaire, aux côtés des renouvelables, est un outil très efficace pour remplacer le charbon, car il produit de l’électricité de manière massive, 24h/24, de manière décarbonée. De plus de en plus d’écologistes ou de mouvements politiques, qui étaient historiquement opposés au nucléaire, sont en train d’évoluer : c’est le cas en particulier du parti démocrate aux Etats-Unis qui, pour la première fois, avec Joe Biden, a mis le nucléaire dans son programme. L’opposition au nucléaire peut avoir des conséquences graves pour le climat : ainsi en Belgique, le gouvernement, qui a une ministre issue du parti écologiste, prévoit de fermer ses centrales nucléaires en 2025, et de les remplacer par des centrales à gaz, fortement émettrices de CO2.

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Il a également soutenu "le nucléaire est aujourd’hui plus cher que l’éolien ou le photovoltaïque et crée moins d’emplois". Là encore, que disent vraiment les chiffres ?

L’éolien et le solaire ont connu ces dernières années de forts gains de compétitivité et c’est très bien, car maintenant ils sont compétitifs par rapport aux énergies fossiles.  Mais le solaire et l’éolien ne produisent pas tout le temps, et nous avons besoin de sources de production dites pilotables, c’est-à-dire qui produisent à la demande, 24 heures sur 24, pour assurer notre sécurité d’approvisionnement électrique.  Ce qui comptera, ce n’est pas le coût du solaire et de l’éolien, mais le coût du système total. L’hydroélectricité et le nucléaire sont les seuls moyens qui soient à la fois bas-carbone et pilotables, en attendant de pouvoir disposer de moyens de stockage de l’électricité, dont on ne sait encore si on pourra les déployer à grande échelle.  Du côté du nucléaire, la France dispose avec son parc nucléaire actuel d’une des électricités les moins chères d’Europe : un Allemand paye son électricité 70% plus cher qu’un Français. Les retards de l’EPR de Flamanville, largement dus au fait que la France n’avait pas construit de nouveaux réacteurs pendant 15 ans,  ont donné l’impression que le nucléaire était devenu cher, mais il ne faut pas confondre le coût d’un prototype avec un coût de production en série, dans le cadre d’un programme industriel. Les Chinois et les Russes construisent aujourd’hui des réacteurs nucléaires de manière efficace et à des coûts très compétitifs. C’est pourquoi, dans le programme de renouvellement de notre parc nucléaire à l’étude, il s’agit de lancer un véritable programme de six réacteurs, qui permettre à notre filière industrielle de s’organiser pour construire de manière efficace.  Ce programme pourra contribuer de manière forte au plan de relance de l’économie française après la pandémie :  le nucléaire est la troisième filière industrielle française, avec 220,000 employés, très qualifiés, dans 3000 entreprises, sur tout le territoire. La filière embauche et accueille des apprentis qu’elle forme en particulier dans les métiers techniques. Un euro dépensé dans le nucléaire génère 2,5 euros dans le reste de l’économie, car la filière n’a jamais délocalisé ses usines.

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