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 Isoler une Chine communiste et impérialiste ou continuer à développer les échanges économiques avec elle pour l’amener à la démocratie ? Le nouveau secrétaire d’Etat américain face à l’héritage intellectuel de son beau-père
©POOL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

La question à 1000 milliard de dollars

Antony Blinken, le nouveau secrétaire d'Etat des Etats-Unis, va-t-il suivre la voie de Samuel Pisar, qui prônait une plus grande collaboration commerciale entre l'Occident et ses ennemis (notamment l'Union soviétique) afin de les pousser vers plus d'ouverture démocratique ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Antony Blinken est le nouveau secrétaire d'Etat des Etats-Unis. Son beau-père est le survivant de la Shoah et conseiller économique Samuel Pisar. Celui-ci prônait une plus grande collaboration commerciale entre l'Occident et ses ennemis (notamment l'Union soviétique) afin de les pousser vers plus d'ouverture démocratique. Quelle empreinte a-t-il pu laisser sur Antony Blinken ? 

Emmanuel Lincot : Pisar a même conceptualisé ce rapprochement entre les Etats-Unis et l’URSS d’un point de vue économique dans deux thèses soutenues respectivement à La Sorbonne et à Harvard dans le contexte de la guerre froide. Selon lui, l’intensification de ces échanges économiques conduirait à une libéralisation du régime soviétique. Raymond Aron a été le premier à s’inscrire en faux contre cette théorie et l’histoire récente a montré que ni la Russie ni la Chine ne se sont démocratisées malgré les investissements occidentaux. Autre époque, autre paradigme donc. Que le beau-père de Blinken lui ait laissé un souvenir durable, c’est indéniable et notamment dans ses capacités de résilience après avoir survécu en tant que jeune adolescent aux camps de la mort nazis. Il sait par cette histoire familiale que le pire peut toujours advenir. En cela, Blinken n’est pas un idéaliste. Au reste, devant les membres du Sénat, il y a trois jours seulement, et pour présenter sa politique étrangère, il s’est explicitement inscrit dans la continuité de Mike Pompeo, son prédécesseur et Secrétaire d’Etat de Donald Trump, pour faire face à la Chine. On aurait pu imaginer son adhésion à une théorie naguère défendue par Dimitri K. Simes, ancien conseiller de Richard Nixon, et selon laquelle, après s’être longtemps rapprochés de la Chine en l’aidant puissamment à son développement, les Etats-Unis joueraient la carte de la Russie en l’utilisant comme contre-poids à l’hégémonie chinoise. C’est ce que l’on appelle l’option « Nixon in reverse ». Une telle option ne tient pas compte de la nature autoritaire et viscéralement opposée à l’Occident du régime russe non plus que de la solidité de l’axe Moscou / Pékin qui depuis près de trente ans n’a jamais cessé de se consolider. Cette option est donc irréaliste. Blinken est de ce point de vue clairvoyant et comprend comme Biden que le retour des Etats-Unis dans le jeu des instances internationales est une priorité ainsi que la consolidation des liens avec leurs alliés européens pour faire face à la menace russo-chinoise.

La Chine a remplacé la Russie comme grande rivale des Etats-Unis. Est-il vain de penser que plus d'intégration économique permettra une ouverture du régime de Xi Jinping ?

Oui c’est totalement illusoire. Et le premier avertissement a commencé dès les massacres de Tiananmen, en 1989. Ces massacres ont montré que le régime communiste, sous peine de devoir disparaître, n’était pas prêt à partager le pouvoir. Malgré cet avertissement, et trois ans plus tard, Bush père et les Républicains décrétaient la levée des sanctions contre la Chine. L’aide massive au développement de la Chine finirait bien par l’aider à se démocratiser, pensait-on alors. L’effondrement de l’URSS n’était-il pas déjà la confirmation de cette hypothèse ? Quoi qu’il en soit, la politique de Washington était guidée par un business as usual. La contrepartie étant de maintenir à flot une classe moyenne américaine et son pouvoir d’achat en préservant sa consommation grâce à des produits fabriqués d’abord sous licence américaine en Chine et à bas coûts. Les transferts de technologie ont suivi et le Parti-Etat communiste s’est adapté sans jamais abandonner ses prérogatives. En un mot, son pouvoir. Un régime politique ne change donc pas de l’extérieur. Au contraire, la perversion du système qu’il a mis en place et sur lequel repose sa légitimité fait que toute influence extérieure le consolide et galvanise autour de lui la population dans le choix d’un nationalisme revanchard et outrancier.

Qu'est-ce qui fondamentalement fait que la Chine ne s'ouvre pas davantage au fur et à mesure qu'on l'intègre dans les différents circuits de coopération internationale ? 

Tout dispositif d’ouverture s’accompagne, en Chine, de sa propre clôture. En même temps. C’est un fait de culture. Pour illustrer mon propos : alors que la Chine de Deng Xiaoping semblait s’ouvrir, dans les années quatre-vingt, au reste du monde, le Parti-Etat exhortait la population à « reconstruire la Grande Muraille ». Cette dialectique des contraires est toujours à l’œuvre. A une échelle qui est celle désormais du monde. Un monde que Pékin essaie de reproduire à son image. Ce qui est évidemment impossible à tenir sur la durée. Tout simplement parce que les frottements sont nombreux, et vont être, chaque année davantage, encore plus importants. Je ne pense pas qu’il y ait d’affrontements directs avec les Américains. Tout au moins, dans un premier temps. Mais une chose est sûre, des conflits de basse intensité vont les opposer. Et tout d’abord, dans des régions situées en périphérie chinoise. A commencer par le monde musulman.

Propos recueillis par François Blanchard

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