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Crise des démocraties libérales : mais que nous réserve le monde de l’après Trump ?
©Nicholas Kamm / AFP

Toujours pas de solution en vue ?

L’entrée de Biden à la Maison Blanche marque pour beaucoup de personnes qui n’aimaient pas le président Trump la fin d’une parenthèse de l’histoire. Mais la réalité est plus complexe.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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La fin d’une parenthèse? 

L’entrée de Biden à la Maison Blanche marque pour beaucoup de personnes qui n’aimaient pas le président Trump la fin d’une parenthèse de l’histoire. Joe Biden lui-même semble vouloir donner corps à cette thèse, lorsqu’il occupe sa première journée dans le Bureau Ovale en tout et pour tout à défaire des politiques de Donald Trump (arrêt de la construction du mur frontalier avec le Mexique et du blocage de l’immigration illégale, annulation de l’interdiction d’entrée dans le pays des ressortissants de sept pays musulmans, interruption du projet d’oléoduc nord-américain Keystone en même temps que les Etats-Unis reviennent dans l’accord de Paris, retour dans l’OMS etc....). Nos médias établis ont beau penser que tout cela est le signe d’une nouvelle ère de normalité démocratique, la réalité est plus complexe. Lors de la cérémonie d’investiture de Biden, il y avait plus de « dislike » que de « like » sur les réseaux qui retransmettaient et les avis négatifs étaient si nombreux que la fonction a été désactivée sine die sur Youtube. Et dans un ultime pied de nez au système politique américain, le président Trump a fini, malgré l’épisode du Capitole, à 51% d’approbation de son action dans le sondage quotidien de Rasmussen tandis que Joe Biden y est entré le 22 janvier avec seulement 48% d’avis favorables. 

Crise de la démocratie

Il ne s’agit pas seulement de constater le climat politique pour le moins morose qui règne en ce moment à Washington. Le pays est coupé en deux. Le nouvel occupant de la Maison Blanche prêche l’unité mais son parti développe, depuis l’incursion au Capitole le 6 janvier dernier de partisans de Trump et d’agitateurs professionnels, la notion de « terrorisme intérieur ». Les GAFAM sont ivres de puissance depuis que les réseaux sociaux ont fermé les comptes de Donald Trump. Et la division du pays se traduit de plus en plus dans la géographie: la Californie et l’Etat de New York ont continué, en 2020, à perdre des habitants au profit de la Floride et du Texas. Une pétition ayant recueilli 1,2 millions de signatures demande la démission du gouverneur de Californie tandis que le Texas attaque l’Etat Fédéral pour avoir mis fin au contrôle de l’immigration illégale.
Tournons-nous vers d’autres pays et nous constaterons des crises politiques assez similaires: Boris Johnson a beau avoir mis en oeuvre le Brexit, le mécontentement gronde contre la restriction des libertés liée au Coronavirus; en Italie, le Premier ministre Giuseppe Conte vient se sauver son gouvernement de justesse après qu’un de ses prédécesseurs, Matteo Renzi, a tenté de le faire chuter. En France, à l’occasion d’une de ces crises de nerfs dont il a le secret, le président Macron a dénoncé les Français, ses électeurs potentiels en 2022, comme « soixante-six millions de procureurs ». En général maîtresse de son tempérament, Angela Merkel a elle aussi craqué, mardi 19 janvier, lors d’une réunion avec les Ministre-présidents de Länder consacrée à une crise sanitaire que l’Allemagne n’est pas plus capable de résoudre que ses voisins : la Chancelière a piqué une colère parce que ses interlocuteurs ne voulaient pas de conditions de confinement plus restrictives.  
2021 commence dans une sorte d’impasse démocratique. Aucune des forces politiques constituées n’arrive à trouver sa place dans un enchaînement de secousses politiques qui remonte à la crise financière de 2007-2009. A l’époque, instruits par l’histoire des crises précédentes, les institutions politiques et bancaires réussirent à limiter les secousses sociales. Mais cela n’en rend que plus évidente la profonde crise politique occidentale. 

Impasse à gauche

A l’époque commença une importante dérive de la gauche dite de gouvernement, qui ne cesse, depuis lors, de vouloir faire oublier sa compromission avec un système économique soudain remis en cause, le néolibéralisme des années 1990 et 2000. Ce qu’elle avait perdu en crédibilité économique mais aussi morale (son ralliement à un système financier creusant les écarts de revenus), la gauche a voulu le compenser en enfourchant la monture de la radicalisation idéologique. Dans le même temps, en effet, l’extrême gauche avait compensé la perte de prestige du marxisme consécutive à la chute de l’URSS par l’adoption d’un nouveau gauchisme protéiforme: antiracisme, genrisme, hystérisation de la notion de « justice sociale », vandalisme culturel, collapsologie climatique.  C’est ainsi que l’on voit apparaître des coalitions de gauche, qui compensent leur caractère minoritaire - sauf exception - par le fait qu’elles ont pour eux, la majorité des Etats-majors des multinationales, une grande partie des puissances financières et des médias largement imbibés de gauchisme et qu’elles peuvent compter sur l’appui de la direction des GAFAM. La puissance de feu de ces coalitions de gauche appuyée sur un establishment étatique, financier et médiatique est telle qu’elles sont capables, à défaut de rassembler une majorité sociologique, de désorganiser leurs adversaires pour les faire perdre voire disloquer des coalitions apparemment solides. C’est ainsi que le Brexit a été tenu en échec durant trois ans, entre 2016 et 2019, par un système qui n’acceptait pas le vote du peuple britannique ou qu’Emmanuel Macron a réussi à conquérir le pouvoir, en 2017, avec le soutien de tous les « Républicains » tout en ayant passé sa campagne de premier tour à parsemer ses discours de déclarations gauchistes (« No pasaran », « La colonisation est un crime contre l’humanité » etc.). Aux Etats-Unis, les meetings électoraux de Donald Trump donnaient lieu à des rassemblements gigantesques tandis que l’équipe Biden camouflait le manque de popularité de son candidat derrière les conditions sanitaires. Au bout du compte, c’est Biden qui entre à la Maison Blanche avec l’appui d’une coalition d’intérêts qui va des agitateurs gauchistes au magazine Forbes en passant par le PDG de Twitter Jack Dorsey dans le rôle du Néo-Inquisiteur et la présidente de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi plus habituée, en temps normal à déguster les cinquante nuances de glace au chocolat de son congélateur à 25 000 dollars qu’à se préoccuper du sort des ouvriers américains. 

Impasse à droite

L’arrivée de Biden à la Maison Blanche est d’abord la défaite du parti républicain. Et elle est emblématique des difficultés de la droite, depuis dix ans, à répondre à la crise politique née de la crise de 2008. Au moment décisif, quand il s’agissait d’établir ou non la régularité des résultats dans six Etats aux résultats contestés, les notables du parti républicain et du mouvement conservateur ont lâché Donald Trump: le président du Sénat a commencé à négocier un modus vivendi avec les Démocrates, le gouverneur de Géorgie s’est obstinément refusé à faire recompter les votes dans des conditions de transparence et les juges conservateurs de la Cour Suprême (dont trois avaient été nommés par le Président) se sont murés dans un silence gêné. En fait, le phénomène dépasse largement les Etats-Unis. La droite établie est prête à utiliser le populisme comme un levier pour arriver au pouvoir mais elle refuse ensuite d’appliquer la politique de la majorité de son électorat. Ce fut déjà le cas avec Nicolas Sarkozy qui, curieusement, malgré la crise financière de 2008, mit en oeuvre son programme sur tous les points sauf sur celui du contrôle de l’immigration et de la lutte contre l’insécurité, les deux sujets qui lui avaient pourtant ramené des millions d’électeurs du Front National en 2007; il ne fut pas réélu en 2012. Mais on pourrait aussi penser au cas italien, où Matteo Salvini, artisan d’une synthèse conservatrice et populiste, n’est arrivé au Ministère de l’Intérieur que grâce au soutien d’un parti populiste de gauche et a été lâché définitivement par la droite après un an de pouvoir. Aux Etats-Unis, le populiste Trump a mis en oeuvre une politique libérale classique à l’intérieure (une baisse des impôts encore plus forte que celle de Reagan), une politique conservatrice sur les moeurs (il a encore plus appuyé la droite chrétienne que Reagan ne l’avait fait), une politique de réarmement massif; le président sortant peut afficher un bilan économique flamboyant malgré la crise du COVID 19, la Bourse est au plus haut, il a fait revenir aux USA 1500 milliards de dollars d’investissements américains; eh bien cela n’a pas suffi au parti républicain pour l’adopter définitivement. 

Seul Orban a réussi à stabiliser la synthèse conservatrice populiste

Certains diront que c’est la faute de Trump, qui ne s’est pas assez « civilisé » en quatre ans de présidence. Et l’on peut à bon droit souligner que le populisme n’a pas réussi partout sa mue. Matteo Salvini a certainement indisposé ses collègues par son interventionnisme permanent dans les médias. En Allemagne, l’AfD est beaucoup trop dépendante de militants nationalistes allemands durs pour avoir une chance de s’ allier à la CDU d’après Angela Merkel. En France, Marine Le Pen n’a toujours pas changé le programme économique affiché sur le site internet du Rassemblement National, qui est resté le même depuis 2017 - le ralliement à l’euro n’étant qu’une façade. Cependant, l’auto-destruction de LR, durant la présidentielle de 2017 - Alain Juppé préférant faire élire Emmanuel Macron que se rallier au programme au fond très « trumpien » de François Fillon  - montre bien que le problème le plus important se trouve au coeur de la droite établie. Le Brexit a finalement été mis en oeuvre parce que le parti conservateur comptait dans ses rangs une poignée de défenseurs intransigeants du vote populaire; et parce que la Grande-Bretagne peut s’enorgueillir de posséder le populiste le plus remarquable du monde occidental, Nigel Farage, manoeuvrier hors pair, disposant de soutiens financiers établis et capable, au moment décisif, de retirer ses candidats pour faire gagner le parti conservateur de Boris Johnson. La chance britannique a été précisément de disposer d’une conjonction de conservateurs et de populistes intelligents. Mais l’effondrement d’un Boris Johnson, rallié au confinement total des progressistes, durant la crise du COVID 19, montre là aussi une synthèse de droite inachevée pour répondre à la crise politique. Je ne connais que Viktor Orban qui ait réussi à trouver la recette et réussi à installer durablement au pouvoir cette synthèse conservatrice populiste qui est sans doute la seule réponse viable à la crise de la démocratie libérale - à condition de pouvoir se stabiliser. Et ce n’est pas un hasard que l’ancien président Obama ait prononcé, voici quelques semaines, une diatribe virulente contre le gouvernement hongrois, tandis que Joe Biden affirme son intention de mettre sous pression les pays du groupe de Visegrad s’ils ne respectaient pas « l’état de droit » - entendez, s’ils continuaient à s’opposer au progressisme. 

Que faut-il pour sortir les élites de leur torpeur? 

Une « révolution de couleur » lors des prochaines élections hongroises n’est pas à exclure. Mais elle ne ferait que souligner la crise profonde de la démocratie. Entre des progressistes au fond très réactionnaires, qui s’accrochent au monde d’avant, celui de la « mondialisation heureuse » et sont dans le déni de réalité face au COVID 19 - confiner et poursuivre le but illusoire et suicidaire du « zéro infection », c’est refuser d’accepter qu’il y ait un prix à payer pour la libre circulation des hommes, des marchandises et des capitaux - et des conservateurs qui ne veulent pas vraiment en être, instrumentalisent les populistes et s’étonnent quand ces derniers les lâchent, la démocratie entame la décennie sans perspectives. La crise sanitaire n’est pas encore le choc externe qui réveillera l’establishment: épidémie d’intensité basse, elle a conduit nos gouvernants à « jouer à la lutte contre une peste noire » en profitant de conditions d’endettement encore très favorables. L’insoutenable légèreté des progressistes et des conservateurs ne doit pourtant pas faire illusion: le déni de réalité n’a qu’un temps. Le jour où surviendra un choc de plus grande ampleur, il faudra sortir de sa zone de confort si l’on veut sauver les institutions démocratiques. 

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