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Boualem Sansal : « Il vous arrive avec les islamistes ce que nous avons connu en Algérie lors de la décennie noire »
©ANWAR AMRO / AFP

Avant-goût

L'écrivain Boualem Sansal dresse un parallèle entre les attentats qui se multiplient en France et la guerre civile algérienne, lorsque les islamistes se sont déchaînés contre la population arguant de leur loi : "qui n’est pas avec nous est contre nous et donc contre l’islam". Il dénonce la complaisance des élites en France envers les pays ou organisations qui permettent à cet islamisme de prospérer.

Boualem Sansal

Boualem Sansal

Boualem Sansal est un écrivain et essayiste algérien. Il est notamment l'auteur de 2084 : la fin du monde, Le Train d'Erlingen ou la Métamorphose de Dieu et Abraham ou La Cinquième alliance. Très critique du pouvoir algérien, il est censuré dans son pays.

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Ulysse Manhes

Ulysse Manhes

Ulysse Manhes est journaliste.

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Ulysse Manhes : Il y a deux semaines, le 16 octobre 2020, le professeur Samuel Patty a été décapité pour avoir montré à ses élèves des caricatures et exposé les bienfaits démocratiques de la liberté d’expression ; jeudi, à la Basilique de Nice, un attentat islamiste a encore fait trois morts sous les cris du « Allah Akbar ». Il y a quelques mois à peine, c’était la stupéfaction qui l’emportait : chaque attentat était vécu comme un choc terrible, un imprévisible drame. Aujourd’hui, l’étonnement semble avoir déserté : aurions-nous intégré l’hypothèse des attentats comme nous sommes en train d’intégrer le port du masque ?

Boualem Sansal : Il vous arrive ce que nous avons connu en Algérie, lors de la décennie noire (1990-2000), quand les islamistes se sont déchaînés contre la population arguant de leur loi : qui n’est pas avec nous est contre nous et donc contre l’islam. Les premiers mois, une victime nous plongeait dans des émotions folles. Les plus émotifs ont aussitôt bradé leurs biens et fui à l’étranger. Au fil des attentats, nous avons perdu cette émotion, dix, cent victimes par jour nous laissaient froids, nous ne réagissions plus qu’aux massacres de grande ampleur, comme celui de Bentelha, un village près d’Alger, que des hordes islamistes ont nuitamment décimé. Plus de mille morts et autant de blessés. J’espère que ceci n’arrivera jamais en France, ni nulle part ailleurs. Les attentats du 13 novembre 2015 auraient pu vous faire entrer dans la grande horreur si l’attentat du stade de France avait réussi. Les terroristes, comme les tortionnaires, savent que, passé un certain seuil, la douleur disparaît, de même que la conscience. La victime est prête à tout accepter. Regardez ce qui se passe avec la pandémie : après six mois d’angoisse, la population a cédé et accepte tout : le masque, le confinement, la ruine économique, le dézingage absurde de praticiens qui soignaient avec succès leurs malades et éclairaient le débat public, tel les professeurs Raoult, Toussaint, Péronne, l’interdiction de vendre et de prescrire la chloroquine, et pis, le fait que les responsables qui ont menti et failli sont toujours en poste. Comme on apprend à vivre avec le terrorisme et ses complices, on apprend à vivre avec le virus, et avec l’incompétence et les magouilles des dirigeants. En Algérie nous avons accepté d’être gouvernés par un mort-vivant six longues années, le sieur Bouteflika, pendant que sa fratrie et leurs amis pillaient le pays sous nos yeux.

Une fois encore, le concept de « grand remplacement », longtemps controversé et récupéré par l’extrême droite, revient sur la scène de nos débats et apparaît hélas de plus en plus pertinent. Les preuves d’une islamisation de la France que vous dénoncez depuis des décennies fourmillent dans notre actualité. Les aveugles sont-ils en train de retrouver la vue ?

L’expression « grand remplacement » ne convient pas, elle cache l’essentiel, elle ne dit pas ce que les « remplacés » deviendront. Le but des islamistes est, rappelons-le, d’appliquer la charia, rien que la charia, toute la charia. Pour les idolâtres, les athées, les homosexuels, c’est la mort, la plus cruelle qui soit. Les chrétiens et les juifs qui sont des « Gens du Livre », ainsi sont-ils désignés dans le Coran, jouissent d’un traitement de faveur : ils ont le choix entre embrasser l’islam ou se voir placés sous le statut de dhimmi qui leur permet, moyennant un impôt de capitation, la jizya, de conserver leur foi, qu’ils devront cependant pratiquer en cachette dans leur ghetto pour ne pas offenser les musulmans. S’ils refusent de se convertir et de se soumettre à la capitation, les hommes sont tués, et les femmes et les enfants offerts en butin à la communauté.

C’est une perspective irréalisable bien sûr, mais les islamistes y croient et ils s’y emploient de toutes les manières possibles : l’occupation du terrain, l’agit-prop, la prédication, la politique, l’entrisme, l’économie à travers le commerce halal, la finance islamique et les trafics en tout genre, et enfin le terrorisme, dont le terrorisme judiciaire, pour imposer le silence et briser les volontés, etc. Ils ne manquent pas d’idées, ils en inventent dix par jour.

Est-ce que les aveugles commencent à voir, demandez-vous. A mon avis non. En fait, ce sont de faux aveugles, ils préfèrent voir autre chose, les marchés et les financements que leur apporte leur amitié intéressée avec les pays en pointe dans la promotion et le financement de l’islamisme. Certains ont tout simplement peur d’affronter ces grandes puissances tutélaires que sont l’Arabie saoudite, le Qatar, l’Iran, la Turquie. Ces aveugles de complaisance sont en vérité le vrai problème en France, c’est grâce à eux que l’islamisme avance et gagne.

Lorsque certains intellectuels dénoncent le danger islamique, on leur brandit immédiatement, et sans doute à juste titre, la banderole « pas d’amalgame ». Nous sommes en effet guettés par deux extrémités : celle du déni (de plus en plus intenable) et celle de la globalisation (ou essentialisation) qui est une simplification fatale. Soit l’euphémisme, soit l’apocalypse : comment sortir de ce dualisme et préserver l’esprit de nuance ?

Il en va ainsi : ceux qui appellent au feu sont souvent accusés de l’avoir provoqué, mais il est aussi des lanceurs d’alertes qui sont des pyromanes. Rien que de très tristement banal. Moi je fais un autre diagnostic : les intellectuels français ne sont plus ce qu’ils étaient, libres, courageux, possédant à fond leurs sujets. Ceux qui prescrivent le pasdamalgame ne connaissent rien de l’islam, rien de l’islamisme, rien des musulmans, rien des émigrés, ils prêchent pour leurs chapelles, de gauche et d’extrême-gauche, qui ont besoin de se reconstituer une petite base sociale pour continuer d’exister. Ceux qui essentialisent font pareil, ils font du rabattage pour des chapelles de droite et d’extrême-droite. Entre intellectuels compétents, autonomes et courageux, on peut parfaitement parler de l’islam et le critiquer comme leurs aînés avaient critiqué la religion catholique et fait accoucher la république de la laïcité. Ces débats se faisaient dans la rue et au sein de l’Assemblée. De pareils débats sur l’islam pourraient fortement l’aider à se réformer, à inventer sa laïcité et ses Lumières et se démarquer de son jumeau, l’islamisme. Ce n’est pas en empêchant le débat, en l’enfermant dans un cadre étriqué et des jugements à l’emporte-pièce que l’on trouvera la recette du vivre-ensemble.

Comme le dit la formule, l’islamisme n’est peut-être qu’un arbre dans la forêt de l’islam, mais quel est l’état de cette forêt pour qu’un tel arbre y pousse ? Distinguer l’islam et l’islamisme, est-ce une manière de noyer le poisson ou faut-il maintenir coûte que coûte la distinction, au risque peut-être de déresponsabiliser l’islam ?

Il faut sortir de ces sophismes ridicules, l’islam et l’islamisme sont inséparables comme les deux faces d’une pièce. Cela dit, cette distinction est purement occidentale, elle n’existe pas chez les musulmans. Ce vocable n’existe tout simplement pas dans leur vocabulaire. Les musulmans se distinguent en bons et mauvais musulmans, chacun accusant l’autre de mal pratiquer l’islam et d’y mêler des considérations vulgaires, inspirées par d’autres cultures et qui menacent de pervertir la culture musulmane ou de la contaminer par des références islamiques qui ne sont pas celles du sunnisme mais du chiisme, ou d’autre courants dissidents. Pour les uns, porter des tenues occidentales, écouter de la musique sont des péchés ; pour d’autres le voile est une atteinte à liberté des femmes, il n’est pas une prescription canonique, le Coran n’en parle pas ou vaguement, et ainsi de suite à propos de tout et de rien.

La seule véritable divergence entre musulmans et islamistes (salafistes, modérés et autres…), c’est la charia : pour le musulman, elle est une source d’inspiration pour construire le système de gouvernement de la cité, pour l’islamiste elle est tout le système de gouvernement. Les islamistes dits « modérés » (autre invention française) acceptent cependant (par tactique ?) de voir la charia s’accommoder de certaines dispositions tirées de la loi moderne (ex : le divorce au lieu de la répudiation, le droit pour la femme de travailler, de voyager librement ou après autorisation de ses tuteurs légaux…). Le point d’accord fondamental entre musulmans et islamistes de toutes obédiences est celui-ci : pour eux tous, l’islam est la seule vraie religion, Mahomet est le sceau des prophètes, le Coran est la parole vivante d’Allah, l’islam a vocation universelle, le blasphème est un crime punissable par la mort pour les islamistes, par la prison, des amendes ou des remontrances publiques pour les musulmans.

La question des caricatures ne pose-t-elle pas une autre question plus fondamentale, celle de la compatibilité de l’islam avec la civilisation européenne ? En effet l’islam, qui porte un message de conquête universelle (l’éradication des mécréants) est-il compatible avec la culture européenne judéo-chrétienne qui, nous le savons, a accepté la suprématie de la loi républicaine ? Ce que ne semble pas avoir fait l’islam même modéré qui privilégie la loi religieuse…

Pour les musulmans, l’islam est la loi de Dieu : il est inconcevable pour eux que la loi des hommes le régente. L’incompatibilité est là, d’autant plus forte que la loi des Hommes postule de nouveaux droits que l’islam rejette avec force : l’égalité homme-femme, l’homosexualité, l’avortement, le mariage pour tous… Plus on cherche à contraindre l’islam à s’accommoder de ces évolutions, plus il se crispe, se radicalise et verse dans la violence. La question est celle-ci : faut-il contraindre l’islam à se soumettre à la loi des hommes ou laisser les musulmans faire à leur rythme leur cheminement vers la cité des hommes, par la réforme de leur religion ? Le problème est que l’islam est transnational et n’est « gouverné » par aucune structure suprême. Ceci est vrai pour le sunnisme qui compte 85% des musulmans dans le monde, il ne l’est pas pour le chiisme, qui est doté d’une puissante structure hiérarchique qui contrôle totalement le dogme et la communauté. Il revient à chaque musulman de France de décider pour lui ce qu’il prend de la loi des hommes et ce qu’il laisse de la loi de Dieu. L’immense majorité d’entre eux a fait le choix d’inscrire la pratique de sa religion dans la sphère privée et semble fort bien s’en porter. Les radicaux devraient les suivre mais comme souvent la minorité se condamne par son radicalisme à s’isoler et à diriger ses ressentiments contre la société.

Propos recueillis par Ulysse Manhes

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