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Attaquer les terroristes au portefeuille : l’autre guerre de l’Amerique (et celle-là a été gagnée)
©APU GOMES / AFP

Victoire économique

Les États-Unis ont concentré leurs efforts sur les invasions et les insurrections. Mais une autre campagne semble avoir plus de succès.

Eric Denécé

Eric Denécé

Eric Denécé, docteur ès Science Politique, habilité à diriger des recherches, est directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).

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Atlantico : Aux Etats-Unis, le vote du Patriot Act en 2001 a imposé aux institutions financières américaines de savoir avec qui elles faisaient affaire et pour éviter les risques de financement du terrorisme. Comment les Américains ont-ils attaqué les terroristes au portefeuille ? Ont-ils obtenu des résultats probants ?

Eric Denécé : Depuis les attentats du 11 septembre 2001, la lutte contre le financement du terrorisme est un axe majeur de la lutte internationale contre cette menace. Ce sont les Etats-Unis qui l’ont propulsé au premier rang des priorités. Dès le 24 septembre 2001, le président George W. Bush a déclaré que son pays déclenchait « une attaque contre les fondations financières du réseau terroriste mondial ».Cette déclaration a été suivie par l’adoption de mesures restrictives contre les responsables des attentats de 2001, mais aussi par la mobilisation du dispositif américain de lutte contre le blanchiment de capitaux pour lutter contre le financement du terrorisme.  

Les Etats-Unis ont été immédiatement suivis par l’ONU. Son Conseil de sécurité a adopté plusieurs mesures visant l’assèchement des assises financières du terrorisme international, notamment l’inscription des opérateurs et de leurs soutiens sur des listes noires et le gel de leurs avoirs et de leurs fonds. De même, le Groupe d’action financière (GAFI) a émis une série de recommandations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive qui ont vocation à être appliquées par tous les Etats.

L’Union européenne également mis en place, à partir de septembre 2001, une stratégie de lutte globale contre le terrorisme. Son action afin d’empêcher le financement du terrorisme comprend deux volets visant, d’une part, à détecter et à prévenir les opérations financières des terroristes, et de l’autre, à s’attaquer à leur capacité de lever des fonds. Elle a procédé au renforcement du cadre juridique de sa lutte contre le financement du terrorisme en adoptant plusieurs mesures visant à saper les fondations financières des groupes et organisations violentes.

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On le voit donc, les Etats et les organisations multilatérales ont donc pris à bras-le-corps cet aspect de la lutte.

Comment des organisations terroristes comme Al-Qaïda ou l’Etat islamique fonctionnent-elles sur le plan financier ?

L’argent est une ressource essentielle pour les organisations terroristes car elles ont besoin de fonds pour couvrir les dépenses indispensables à leurs actions violentes. Au-delà du coût des attentats eux-mêmes, le financement du terrorisme comprend deux autres « postes budgétaires » bien plus importants. Le premier concerne le « financement en amont », destiné à couvrir notamment des dépenses comme les recrutements, la formation des opérateurs et la logistique. Le second est le « financement en aval » lié à la prise en charge des familles des kamikazes, ou payer des opérations de chirurgie plastique des survivants qui doivent changer d’identité et de vie. Ainsi, ce n’est pas l’acte terroriste qui représente le coût plus élevé.

Ce financement du terrorisme se fait grâce à des sources financières multiples, privée ou publiques, légales et illégales et via des circuits financiers formels et informels - la hawala et les passeurs de fonds étant les plus emblématiques - permettant aux terroristes le déplacement rapide et discret de leurs fonds. 

Les banques sont-elles devenues des outils de sécurité nationale ?

Les banques ne sont pas les seuls acteurs concernés par la lutte contre le financement du terrorisme, loin s’en faut. De nombreuses autres acteurs (appelés « professionnels assujettis ») sont concernées par le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : établissements de crédits, compagnies d’assurance, sociétés de gestion de portefeuille, mais aussi administrateurs et mandataires judiciaires, avocats, huissiers de justice, notaires, experts-comptables et commissaires aux comptes, professionnels de l’immobilier, casinos, cercles de jeux, etc.

On comprend à travers cette liste que la lutte contre le financement du terrorisme se fonde principalement sur le dispositif réglementaire mis en place pour lutter contre le blanchiment de l’argent sale., C’est donc un choix principalement politique et inadapté car ce sont deux phénomènes différents : ni leurs objectifs, ni l’origine des fonds, ni leur mode opératoire ne sont semblables. Cela explique les succès mitigés de la lutte en ce domaine.

Si le contre-terrorisme est difficile sur le terrain, s’en prendre au financement du terrorisme est-il un domaine dans lequel une victoire est possible ? 

Oui, mais il faut comprendre que ce ne peut être qu’une victoire partielle et limitée. En effet, la lutte contre le financement du terrorisme via les institutions financières a asséché l’essentiel des ressources de groupes djihadistes – et de ceux qui les financent – transitant par les institutions financières internationales. Or les terroristes disposent de nombreux autres canaux, essentiellement criminels, pour recueillir et distribuer des fonds (hawala, trafics divers, transactions en argent liquide, pierres précieuses, cryptomonnaies, etc.). Ils ne vont pas privilégier l’utilisation des circuits financiers formels, dont la surveillance est de plus en plus renforcée. Ils vont privilégier celle de circuits informels, afin d’éviter tout risque d’identification de leurs activités. 

Fondés sur la clandestinité et l’anonymat, il est quasiment impossible de détecter voire d’encadrer tous ces circuits clandestins de financement qui sont en constante mutation grâce à l’évolution des technologies de paiement. Cela constitue un défi majeur pour les enquêtes criminelles car cela exige une adaptation constante des moyens de lutte. 

Ainsi, il faut garder à l’esprit que, si elle est essentielle, la lutte contre le financement du terrorisme n’est qu’un « théâtre » du combat engagé contre les djihadistes ; et que comme elle n’a lieu quasiment que via les institutions financières, elle ne porte préjudice qu’à certains canaux de financement d’organisations telles qu’Al-Qaïda ou Daesh.

Eric Denécé

Directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R)

Vient de publier La Nouvelle guerre secrète. Unités militaires clandestines et opérations spéciales, en collaboration avec A-P Laclotte, Mareuil éditions, Paris, 2021.

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