Adhérer à une théorie du complot ne relève pas de la folie (mais apporte une mauvaise réponse à un vrai défi)<!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant brandissant une pancarte contre les médias et la télévision.
Un manifestant brandissant une pancarte contre les médias et la télévision.
©WILLIAM WEST / AFP

Pouvoir d'agir

Selon une étude menée par des universitaires dans la revue Personality and Individual Difference, les personnes qui croient aux théories du complot ont plus tendance à estimer que leur vie a du sens.

Florian  Cova

Florian Cova

Florian Cova est professeur en philosophie à l’université de Genève. @CovaFlorian

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Atlantico : Dans votre étude ("Where there are villains, there will be heroes": Belief in conspiracy theories as anexistential tool to fulfill need for meaning) publiée avec Céline Schöpfer, Angela Abatista, Joffrey Fuhrer, et à paraître dans la revue Personality and Individual Differences, vous revenez sur le lien entre les croyances aux théories du complot et le sens de la vie. Quelles sont les principales conclusions de votre publication et de vos travaux ? Qu’est-ce qui pousse les gens à adhérer à une théorie du complot selon vos recherches ? Quelle a été votre méthode pour mesurer le sens de la vie et ses interactions avec la théorie du complot ?

Florian Cova : L’idée était d’explorer l’une des raisons pour lesquelles les gens adhèrent aux théories du complot. Assez peu de choses avaient été faites sur le lien entre théorie du complot et sens de la vie. Les précédentes recherches s’étaient concentrées sur la façon dont les théories du complot nous aident à « faire sens » du monde, ce qui est différent

Je travaille actuellement sur un projet sur le sens de la vie, sur ce que les gens entendent par là et sur ce qu’ils cherchent. Les recherches de mes doctorants tendaient à montrer que, pour avoir le sentiment que notre existence a un sens, il est important d’avoir l’impression que notre existence a un impact positif sur le monde et que notre vie est utile à la société en général.

Je travaillais également sur les théories du complot. En observant les discussions en ligne, j’ai vu que beaucoup de personnes qui croient à ces théories ont l’impression de lutter contre des forces maléfiques. Ils essaient de sauver la société. Nous sommes donc partis de l’hypothèse suivante : est-ce que l’une des fonctions des théories du complot et l’une des raisons pour lesquelles elles sont attractives sont qu’elles permettent à des gens de se sentir utiles et de percevoir qu’elles ont un grand impact sur le monde ? Ces personnes ont l’impression qu’elles font quelque chose de très utile et d’essentiel parce qu’elles luttent contre un complot néfaste. Cela leur donne le sentiment que leur vie a plus de sens.

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Cette hypothèse fait plusieurs prédictions que nous avons voulu tester. Dans un premier temps, nous avons tenté de voir si les gens qui ont plus besoin de ressentir que leur vie a du sens. La ont aussi plus tendance à croire aux théories du complot (parce que celles-ci leur permettraient de satisfaire ce besoin).     

Nous avons donc réalisé deux études : des questionnaires en ligne sur des populations recrutées aux Etats-Unis. Le premier résultat que nous avons trouvé dans les deux études est que les gens qui disent avoir plus besoin de trouver un sens à leur vie et les gens qui disent rechercher activement un sens à leur vie croient plus en moyenne aux théories du complot.

Comment expliquer que les théories du complot contribuent à donner du sens à nos vies ? Pourquoi les personnes qui cherchent du sens à leur vie ont plus tendance à adhérer aux théories du complot ? Comment expliquer que les gens qui croient aux théories du complot ont aussi plus tendance à estimer que leur vie a du sens ?

Il y a deux hypothèses. La première est assez ancienne et concerne la compréhension du monde et la nécessité de faire sens. D’un côté, la littérature psychologique sur le sens de la vie suggère que les gens trouvent que leur vie a plus de sens quand ils sont capables d’en faire une histoire cohérente dans un monde qu’ils comprennent. D’un autre côté, les théories du complot ont l’air d’être des outils explicatifs.

Une première hypothèse serait donc que les théories du complot nous permettent de percevoir notre vie comme ayant plus de sens parce qu’elles nous permettent de mieux expliquer le monde et comprendre où est notre place.

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La seconde hypothèse, qui est celle que nous explorons dans notre étude, se base sur des observations plus récentesqui suggèrent que les gens ont le sentiment que leur vie a du sens quand ils se sentent utiles et ont l’impression de contribuer ç quelque chose. L’idée est donc qu’adhérer aux théories du complot va vous donner l’impression de faire quelque chose d’utile (en luttant contre le complot) et donc donner du sens à votre vie.

Prenons l’exemple d’une pandémie mondiale : la plupart d’entre nous ne sommes pas chercheurs ou médecins. Nous ne pouvons pas faire grand-chose et sommes des spectateurs impuissants. Mais si vous transformez cela et considérez qu’il n’y a pas de pandémie et qu’il s’agit d’un complot mondial, alors vous pouvez prendre une part active. Vous pouvez essayer de jouer un rôle en dénonçant ce complot. Même chose pour le réchauffement climatique. Il est facile de se sentir impuissance sur le sujet. Mais si vous voyez un mensonge global dans le réchauffement climatique, alors vous pouvez vous dire que vous êtes utile et que vous contribuez à rendre le monde meilleur en dénonçant ce mensonge en ligne.

Comme dit plus haut, notre premier résultat était que les gens qui ont plus besoin de trouver du sens à leur vie croient plus aux théories du complot ? Mais est-ce que croire aux théories du complot permet vraiment de trouver plus de sens à sa vie. Nous avons regardé si le fait de croire aux théories du complot augmentait la sensation que la vie a du sens.

Il y avait bien une corrélation. Les gens qui croient aux théories du complot avaient aussi plus tendance à trouver que leur vie avait du sens, ce qui pourrait indiquer qu’il s’agit d’une solution efficace.

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Dans la première étude, nous avons utilisé une mesure très générale de la « présence » de sens dans la vie. La seconde étude comprenait une mesure plus complexe, développée par des psychologues qui travaillent sur le sens de la vie. Elle distingue trois dimensions du sentiment que la vie a un sens : le sentiment de comprendre le monde et de comprendre quelle est notre place dans le monde, le sentiment que nous avons des buts parce que des choses nous passionnent dans la vie et le sentiment que l’on compte, que l’on fait une différence.

Nos résultats montrent que la croyance aux théories du complot ne corrèle pas avec toutes ces composantes du sens de la vie mais uniquement avec le troisième : la sensation que l’on a une importance.

Ainsi, le lien entre théorie du complot et sens de la vie semble passer par le fait de se dire que ce l’on fait compte, a du sens et que l’on a un rôle important à jouer.

Pourquoi le fait d’adhérer aux théories du complot apporte une mauvaise réponse à un vrai défi (politique, scientifique ou technique) ?

Si notre hypothèse est bonne, l’adhésion aux théories du complot serait une solution possible au fait que les gens se sentent de plus en plus impuissants et ont le sentiment d’avoir de moins en moins de contrôle sur le développement économique, politique, sur l’histoire mondiale, sur ce qu’il se passe autour d’eux.

Si c’est le cas, une façon de lutter contre les théories du complot serait de réussir à donner aux citoyens l’impression qu’ils ont un impact dans les décisions de leur pays et du gouvernement, que leur voix compte.

Dans l’état actuel de la vision de beaucoup de gens (on le voit dans la désaffection de la politique, dans l’augmentation de l’abstention aux élections), il y a cette idée que tout cela ne sert à rien, que ce n’est pas par ce moyen là que l’on pourra changer le monde. L’adhésion aux théories du complot pourrait s’expliquer en partie par cela. Si cette hypothèse est bonne, il faudrait trouver des moyens de redonner aux citoyens l’impression que le fait de s’impliquer dans la politique a un impact et peut changer les choses.      

Compenser la perte  de sens, le besoin d’agentivité, etc. sont des motifs louables dans la vie. Faut-il voir dans les théories du complot le dernier recours pour répondre à ces enjeux essentiels ?

Certaines personnes, qui ont perdu espoir de pouvoir influencer les grands mouvements du monde et les grandes évolutions politiques retirent du sens de la vie du fait d’aider à petite échelle que ce soit une petite communauté ou en participant à du bénévolat. 

On peut imaginer que les gens qui sont isolés, qui n’appartiennent pas à un groupe, qui ont le sentiment d’être inutiles sont plus sensibles aux théories du complot parce que pour eux, il s’agit de la solution la plus accessible.  

Donner du sens à l’existence des citoyens et leur permettre d’agir permettraient-ils de réduire l’influence et l’emprise des théories du complot auprès de la population et de la société ? Au regard des conclusions de votre étude, quelles pourraient être les mesures à prendre pour réduire l’impact et l’influence des théories du complot ? Comment relever le défi de combler les besoins de ceux qui se tournent vers les théories du complot pour éviter qu’ils ne le fassent ?

Si notre hypothèse est correcte, un moyen de diminuer l’influence des théories du complot serait de réformer les régimes politiques de façon à donner plus de pouvoir aux décisions des citoyens via une démocratie plus participative, par exemple en donnant aux citoyens le pouvoir de voter les lois.

A une époque où les décisions politiques impliquent de nombreux pays et sont dépendants au niveau des relations internationales, il y a moins de marges de liberté et de décisions pour les pays et pour leurs citoyens. On pourrait essayer de faire en sorte que chaque citoyen contribue et participe aux décisions individuelles comme en Suisse.

Nous avions une autre manière de tester notre théorie. Nous avons constaté que les théories du complot que les gens préfèrent sont aussi celles qui leur donnent plus la possibilité d’agir.

Plus un individu trouve qu’une théorie lui laisserait la place pour agir, plus il a tendance à y croire.

Ainsi, même si les théories du complot ont l’air d’être dans l’ensemble une vision assez pessimiste du monde (selon laquelle ce qui arrive est dirigé par des forces cachées), si l’on regarde dans le détail, les gens préfèrent les théories du complot qui laissent une place à une forme d’optimisme dans lesquelles il y a un problème mais qui peut être potentiellement résolu par une action collective.

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