Raphaël Glucksmann : le quadruple démenti à l’ADN du macronisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Raphael Glucksmann lors d'un meeting de campagne à Saint-Herblain, près de Nantes, le 13 avril 2024.
Raphael Glucksmann lors d'un meeting de campagne à Saint-Herblain, près de Nantes, le 13 avril 2024.
©SEBASTIEN SALOM-GOMIS / AFP

Enracinement

À deux mois des européennes, Raphaël Glucksmann creuse l’écart avec le reste de la gauche. En s’installant solidement au-dessus de la barre des 10 % d'intentions de vote, il peut même espérer rattraper la macroniste Valérie Hayer.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : La percée de Raphaël Glucksmann dans les sondages en vue des élections européennes est significative. Sa candidature peut-elle représenter l’alternative plausible au macronisme pour une gauche pro-européenne ? 

Christophe Bouillaud : Bien sûr, c’est la grande force du positionnement de la liste menée par Raphaël Glucksmann : elle est à la fois dans l’opposition à Emmanuel Macron, se revendiquant clairement de la gauche modérée, et radicalement pro-européenne. Si l’aile gauche du macronisme existait encore un tant soit peu, et disposait de personnalités crédibles, la liste Gluksmann serait moins seule sur ce segment de la gauche modérée pro-européenne, qui correspond à la ligne du Parti socialiste depuis les années Mitterrand-Delors. Depuis la loi Darmanin sur l’immigration et la réforme Dussopt des retraites, je crois qu’on peut considérer que la gauche macroniste n’a plus aucune crédibilité pour l’électeur de gauche traditionnel, même le plus modéré qui soit.  Par ailleurs, Gluksmann a la chance d’avoir comme concurrent direct parmi les partis d’opposition, la liste des Ecologistes, menée par Marie Toussaint. La médiocrité de cette tête de liste, et ses choix pour le moins folkloriques de communication autour du thème de la « douceur », permettent au candidat Place publique investi par le PS d’occuper cet espace politique. On aurait sans doute une autre configuration si les Ecologistes étaient menés par une personnalité plus charismatique. 

Le macronisme est né du social-libéralisme et du territoire politique qui était celui des strauss-kahniens. Dans quelle mesure le macronisme a-t-il déçu la gauche et en quoi Raphaël Glucksmann se différencie-t-il du macronisme, notamment sur le social, l’environnement ou encore l’agriculture ?

En fait, la déception des électeurs de gauche – et la satisfaction de certains électeurs de droite – se voit dès les résultats des européennes de 2019. Le relativement bon score de la majorité présidentielle a tenu alors à un double mouvement : une diaspora d’électeurs de gauche de 2017, et une arrivée massive d’électeurs de droite de 2017. La suite de l’histoire électorale a largement confirmé ce mouvement : les anciens électeurs de LR passent massivement à la « macronie » et sauvent ce camp de sa débâcle de plus en plus marquée sur sa gauche. 

Sur le social, il est bien évident que, loin de présenter un équilibre entre les aspirations de gauche à la protection sociale et les aspirations de droite à la liberté, la fameuse « flexi-sécurité » à la danoise tant vantée il y a quelques années, les choix macronistes en matière économique et sociale n’ont cessé de dériver vers une vision libérale-punitive des individus en difficulté. Il n’est que d’aller voir les réformes successives de l’assurance-chômage, de plus en plus fondées sur une défiance absolue envers les chômeurs, supposés par définition fainéants et profiteurs. Pourquoi diable ne traversent-ils pas la rue sinon par flemme ou bêtise ? On pourrait parler aussi des évolutions imposées à la hussarde au monde de l’éducation ou au sous-financement chronique de l’enseignement supérieur et de la recherche. 

Sur l’environnement et l’agriculture, rappelons que l’on est passé entre 2017 et 2023 d’un Emmanuel Macron se voulant le champion de l’écologie à l’échelle mondiale (« Make our planet great again », disait-il pour se moquer de Donald Trump), promettant de sortir des pesticides,  à un simple serviteur des lubies de la FNSEA, syndicat majoritaire et fort bien organisé qui, visiblement, ne veut rien changer du tout à ses pratiques, quitte à emmener tout le monde dans le mur, santé humaine et biodiversité en particulier. De même, en 2017, Macron ne se présentait pas comme un fanatique du développement de  l’énergie nucléaire, ce qu’il est clairement devenu en 2023, en dépit d’ailleurs des difficultés de la dite filière à remonter en puissance. 

D’ailleurs, au niveau européen, entre la version macroniste de 2019 où Pascal Canfin, ex-EELV, est candidat Renaissance, et celle de 2023 où les eurodéputés macronistes ont plutôt bien mérité de l’agro-industrie, avec une tête de liste, Valérie Hayer, fille d’agriculteur si je ne me trompe, qui incarne cette alliance, le changement de pied est là aussi notable. 

Avec la candidature Glucksmann, n’y a-t-il pas aussi une manière de faire face à la radicalité des anti-systèmes, qu’ils soient de gauche LFI ou de droite nationale ?

Bien sûr, avec son style clair et somme toute traditionnel, Gluksmann représente bien l’aile modérée de la gauche, une vision social-démocrate de la société et de l’Union européenne. Il faut toutefois rappeler que Glucksmann est lui-même un « disrupteur ». En 2019, Place publique représente surtout un groupe de gens en colère qui ne supportent plus l’inertie du PS d’alors, encore sous le choc de sa défaite de 2017. Le PS est alors tellement faible qu’il cède la tête de liste à Glucksmann et ses amis. Il se trouve qu’ensuite au Parlement européen, le dit Glucksmann arrive à avoir une activité notable, vu sa spécialisation en affaires internationales, et il se rend du coup incontournable en 2024. 

Après, la vraie question est de savoir s’il existe encore beaucoup d’électeurs en France qui ne soient pas très exaspérés. Le succès du RN d’un côté et de LFI de l’autre tient d’abord à cet état d’esprit des électeurs : une opposition modérée a-t-elle encore une place ? 

La négation du clivage gauche/droite prônée par Emmanuel Macron est-elle un échec ? Comment Raphaël Glucksmann compte-t-il en profiter ?

En tout cas, les années Macron n’auront pas été une grande démonstration de la pertinence de nier ce clivage gauche/droite. Cependant, on ne saura jamais s’il s’agit un défaut structurel de cette formule d’alliance au centre, ou bien simplement un échec dans l’exécution de la manœuvre. Il n’était pas si évident en 2017, même pour un critique des premières heures du macronisme comme moi-même, que cela tournerait à ce point vers la droite, ou plutôt vers un électoralisme à courte vue ne visant plus que les vieux électeurs aisés. Probablement, le fait qu’Emmanuel Macron réagisse par bien des côtés comme un vieil homme de droite de plus de 70 ans sur tous les sujets ne pouvait sans  doute pas faciliter une alliance intelligente des énergies de gauche et de droite. A la fin, comme je l’ai dit, seuls les électeurs anciennement de droite LR et largement satisfaits de leur vie actuelle, soutiennent le macronisme. La droite fâchée, la plus populaire, est  elle partie au RN, ou bien à Reconquête. La gauche fâchée se replie sur la FI, et peut-être enfin de nouveau sur une nouvelle version du socialisme français. 

De fait, dans ce cadre, Gluksmann peut constituer le début d’une reconstitution d’une gauche modérée, voire même d’un centre. En effet, on notera pour finir que le Modem semble avoir abandonné à ce stade toute velléité de se présenter seul à l’élection européenne. Glucksmann peut aussi récupérer quelques autres déçus du macronisme de ce côté-là. Cependant, les dirigeants du PS, que ce soient ceux de la majorité ou de la minorité, seraient bien avisés de considérer un bon score de Glucksmann plus comme une défaite du macronisme par auto-cornérisation de ce dernier, qu’un blanc-seing à l’une ou l’autre vision de l’avenir du socialisme français. La reconstitution d’une belle symétrie droite/gauche n’est pas pour tout de suite. 

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