L’explosion de la violence en France : Pourquoi ? et comment s’en sortir ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Un policier devant le lycée Gambetta à Arras, après une alerte à la bombe le 16 octobre 2023, trois jours après l’attaque au couteau ayant coûté la vie à Dominique Bernard, professeur de français dans l’établissement.
Un policier devant le lycée Gambetta à Arras, après une alerte à la bombe le 16 octobre 2023, trois jours après l’attaque au couteau ayant coûté la vie à Dominique Bernard, professeur de français dans l’établissement.
©DENIS CHARLET / ARCHIVES AFP

Ensauvagement et décivilisation

La liste des victimes de violences s’allonge en France et la cadence de commission d’infractions s’accélère. Les auteurs et les victimes sont souvent des jeunes, des collégiens ou lycéens.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Shanon, 13 ans, violée à Cauffry (Oise) début mars (elle décèdera trois semaines plus tard après un long coma), Samara, même âge, rouée de coups à la sortie de son collège à Montpellier (Hérault) le 2 avril, Shemseddine, 15 ans, lynché à Viry-Châtillon (Essonne) le 5 avril, un brancardier « tabassé » à l’hôpital de Challans (Vendée) le 6 avril, Zacharia, 15 ans, tué à Romans (Isère), le 9 avril, la liste des victimes de violences s’allonge et la cadence de commission d’infractions s’accélère. Certains parlent d’« ensauvagement », d’autres de « brutalisation des rapports sociaux », d’autres enfin, dont je fais partie, de « dé-civilisation ». Qu’importe les termes, la réalité est là : une extension de la violence, dont les auteurs et les victimes sont souvent, il est vrai, des jeunes, collégiens ou lycéens.

Quatre questions préalables tout d’abord.

Première question. Violence : de quoi parle-t-on au juste ? Le mot apparaît en Occident au XIIIème siècle ; il définit un rapport de force dans lequel un individu essaie d’en soumettre un autre. A présent, son acception est beaucoup plus large : la violence, ce peut être une agression brutale, un harcèlement moral, une menace, envers une personne ou un groupe.

Deuxième question. La violence est-elle innée ou acquise ? Historiens et philosophes ont d’abord chacun apporté une réponse à cette question., avant que biologistes, ethnologues, psychologues, sociologues n’apportent la leur. Une chose est sûre, qu’elle soit innée ou culturelle, la violence est au cœur de l’humanité depuis ses origines (infirmant la thèse rousseauiste de « l’homme naturellement bon ») ; elle est par ailleurs inhérente à toutes les organisations sociales et semble plutôt « l’affaire des hommes ».

Troisième question. La violence des jeunes augmente-t-elle ? C’est ici que certains experts, confondant délinquance et violence, finissent par dire des « âneries ». S’il est vrai que la délinquance des mineurs est relativement stable depuis vingt-cinq ans (voire baisse même un peu) : 175 256 jeunes mis en cause en 2000, 164 900 en 2022, la violence juvénile, elle, est en forte augmentation depuis maintenant trois-quatre décennies. On pourrait dire en quelque sorte que la délinquance est l’arbre qui cache la forêt touffue de la violence. La délinquance est comptabilisable. Elle est faite d’infractions définies dans le code pénal. La violence est, elle, un concept social. Derrière ce mot, il y a tout à la fois des perceptions, des représentations ordinaires ou savantes, des sentiments (le fameux sentiment d’insécurité), une ambiance, et, bien entendu, des faits, dont tous ne tombent pas « sous le coup de la loi », comme un crachat à terre, un mauvais regard (dès lors que celui-ci n’est pas accompagné ou suivi d’insultes ou d’injures). Et puis ces faits ne sont pas toujours enregistrés. Il faut rappeler que beaucoup de « mains courantes » déposées en gendarmerie, à la police nationale ou municipale, ne donnent lieu à aucune comptabilité, étant jugés insuffisamment graves pour donner lieu à dépôt de plaintes (ils font juste l’objet de ce que l’on appelle des « classements policiers »). Enfin quantité de faits, qui sont pourtant faits de violences, comme une bousculade, une altercation entre automobilistes (ou passants), un ton qui monte pour une cigarette refusée, un geste inapproprié dans le métro, etc, ne figurent sur aucun registre. Tous les auteurs et toutes les victimes de violences ne sont donc pas connus. La thèse consistant par conséquent à dire que la violence, surtout celle des jeunes, n’augmenterait pas, que ce ne serait qu’une impression due au caractère « sauvage » de cette violence et à leur hyper -médiatisation, n’est donc pas recevable. Enfin, l’on sait, depuis une vingtaine d’années, qu’il y a une augmentation chez les jeunes des « agressions contre les personnes », ainsi qu’un rajeunissement des auteurs de violences (la croissance de la délinquance des 13-14 ans était observée dès le début des années 2000).

Quatrième question. La violence est insupportable à nos contemporains. Tel n’a pas toujours été le cas. La violence a même longtemps été considérée – au moins dans certaines de ses formes – comme un phénomène tout à fait normal. Au Moyen-Age par exemple, elle jouait même un rôle de régulation sociale. Ce n’est qu’à partir du XVIIème siècle, avec le progrès de « la civilisation des mœurs », qu’elle a été de plus en plus criminalisée.

Alors, au fil du temps, les individus se sont désaccoutumés de toute violence commise en temps de paix. Et puis ils étaient protégés à la fois par des codes pénaux et des codes moraux ; ils réglaient leurs différends pacifiquement, laissant à la police et à la justice le soin de punir les auteurs de délits.

D’où cet étonnant paradoxe : plus les gens ont renoncé à l’usage de la violence, plus ils ont perdu les « savoir-faire » et les « savoir-dire » pour s’y opposer. Ils se sont ainsi retrouvés définitivement affaiblis dans leurs capacités de défense ». Or leurs potentiels agresseurs s’en sont rapidement rendus compte et ont profité de cette aubaine. Ainsi, en milieu scolaire par exemple, dès les années 1990, pouvait-on observer que les élèves les plus faibles, ceux que l’on jugeait incapables de se défendre, se faisaient agresser verbalement ou physiquement par les élèves les plus forts. D’où cette remarque générale de notre collègue Sébastian Roché en 2001 (cf. La Délinquance des jeunes) : « La brutalité devient un moyen plus normal d’atteindre son but ou d’écarter les gêneurs. Tout se passe comme si un droit à l’usage de la violence s’était construit aux yeux de l’agresseur ».

S’abritant derrière les relatifs « bons » chiffres de la délinquance des mineurs (qui ne représentent que 20 % de la délinquance générale), les observateurs politiques et scientifiques ont du coup longtemps minimisé l’importance des violences en France, à commencer par les violences scolaires. L’on soutenait encore, il y a peu, qu’il ne s’agissait, le plus souvent, que de violences verbales (qualifiées de mini ou micro -violences par les chercheurs eux-mêmes), imputables à quelques élèves des cités.

Ce déni de la réalité n’a pas été sans conséquence. Enquêtant sur le sujet, au milieu des années 2010, tant à Paris qu’en région, tant dans l’enseignement public que dans l’enseignement privé (catholique), je parvenais à des conclusions qui auraient dû « alarmer » les pouvoirs publics. La violence verbale s’était étendue partout, devenant banale dans la plupart des établissements enquêtés, et les violences physiques y étaient de moins en moins rares – quel que soit l’établissement (la violence demeurant malgré tout un peu moins importante dans les établissements des beaux-quartiers).

Il est aussi, plus que jamais, d’usage de mettre ces violences, à l’école ou aux abords des écoles, sur le compte des jeunes originaires du Maghreb vivant dans les cités, ou bien d’une immigration non-maîtrisée. Une fois encore, l’argument est de portée limitée. Il y a bien, répétons-le, une extension, une « élitisation » de la violence scolaire, qui touche ou peut toucher tous les élèves, y compris ceux issus des milieux les plus aisés, il y a bien également une « privatisation » de cette violence (qui s’est étendue largement aux établissements confessionnels – catholiques nous l’avons vu – mais aussi sans doute juifs et protestants).

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Tout phénomène doit être replacé dans son contexte. La thèse est la suivante : la société française est de plus en plus violente car de moins en moins morale (au sens sociologique du terme). Pour les sociologues que j’appelle « traditionnels », l’explication morale n’est pas une explication sociologique légitime : elle ne saurait avoir ce statut. La morale renverrait à leurs yeux au simple jugement (de valeur sans doute), pas à une analyse scientifique. Il faut donc redire à tous ces opposants à l’explication morale que par « morale » le sociologue désigne les mœurs d’une société (au sens défini par Norbert Elias), c’est-à-dire à un ensemble de règles, de valeurs qui régissent une société donnée à un moment donnée.

Comme une maison, une société repose sur des fondations qui sont juridiques et morales. Elle se dote de valeurs individuelles et collectives, comme le respect, la tolérance, la bienveillance, la civilité (en commençant par celle des mots), qui assurent le « vivre-ensemble ». Ces valeurs sont différentes des valeurs de l’Etat qui, pour la France, sont des valeurs républicaines : liberté, égalité, fraternité. Quand une société a perdu ses valeurs (qui lui assuraient une conscience collective), elle est en état de « faillite morale ». La porte est alors ouverte à tous les rapports de force, jusqu’à l’ultra -violence que nous connaissons aujourd’hui. Elle est ouverte, comme l’a rappelé justement le président Macron, à toutes les « dés -inhibitions ». C’est le « désarmement civique » (puisque, pour parler de « réarmement civique », il faut naturellement qu’il y ait eu préalablement « désarmement »). Au contraire du désarmement militaire qui produit la paix, le « désarmement civique » produit « la guerre de tous contre tous », partout, tout le temps. Selon une formule que j’affectionne particulièrement, quand, dans une société, l’on ne dit plus les mots : « bonjour », « au revoir », « merci », « s’il vous plaît », cette société est morte !

En trente ans, la dégradation morale est spectaculaire. A la fin des années 1990, il n’était encore question que de « fragilisation des normes collectives ». Il s’agit aujourd’hui d’une disparition pure et simple. Ont disparu les idées de bien et de mal, la distinction de la légalité et de l’illégalité. Désormais, toutes les contraintes venues de l’extérieur sont jugées a priori illégitimes. Enquêtant sur les valeurs européennes, il y a quarante ans, Jean Stoetzel notait déjà avec clairvoyance que les certitudes morales étaient en train de fondre en Europe. « A peine un quart des Européens, indiquait-il, dispose de principes sûrs pour distinguer le bien du mal. » En 2024, l’individu choisit lui-même ce qu’il estime bon ou mauvais. Les résistances morales ont complètement cédé sous le poids des habitudes. Ainsi la violence s’est-elle installée comme un droit et comme une sanction pour les victimes qui ne se laissent pas faire. Partout, l’agresseur se sent dans « son bon droit », n’accordant aucune gravité à ce qu’il fait – qui pourtant peut être « très grave ». Un acte qui n’est pas sanctionné, pour reprendre l’analyse de Roché, n’est pas grave, et un acte sans gravité peut être commis ». Dès lors, une spirale s’enclenche : le « violent » qualifie un acte de peu grave, puis il le commet parce qu’il n’est plus alors du tout répréhensible dans son esprit.

Il s’ensuit une banalisation des comportements violents. Puisque rien n’est grave, tout peut se faire chaque fois que nécessaire et d’autant plus facilement que les témoins, le plus souvent, choisissent de ne pas intervenir. Prudence, prudence ! [rappelons que l’intervention du jeune Zacharia pour séparer des individus s’affrontant lui a coûté la vie].

Ainsi l’agression physique, que plus des deux tiers des jeunes, en 2001, ne jugeaient déjà pas comme quelque chose de « très grave », l’est-elle encore moins aujourd’hui. Néanmoins, l’agresseur, surtout, il est vrai, s’il est issu d’une famille musulmane, s’estime toujours tenu de justifier son acte pour le rendre légitime – donc normal. Il va dire alors que la victime mâle, en buvant de l’alcool, le jour de l’aïd, ou la femme en ne portant pas le voile ont eu ce qu’ils méritaient en violant le code de l’honneur prescrit par la religion. Dans ce cas, les valeurs sociales absentes, l’agresseur invoque des valeurs religieuses et/ou idéologiques pour « expliquer » son geste. Il rétablit ainsi le vieux lien entre le sang et le sperme, rappelle le « protectorat » des grands frères, mâles dominants, sur les sœurs, appelés par conséquent à rejouer le rôle des femmes soumises. Mais, sortant aussitôt de la focalisation de l’analyse sur les seuls musulmans, pour indiquer que nos écoles enregistrent dans l’ensemble un retour du machisme. Assisterions-nous au retour de l’idée de « sexe faible » ? Le silence des féministes sur toutes ces questions paraît bien troublant, non ?

La violence appelle la violence. Les petites violences, comme les petits délits, peuvent devenir grandes/grands. Mais pas toujours. Une violence verbale ne génère pas nécessairement une violence physique, mais elle peut y contribuer. En revanche, plus l’on entre tôt dans le processus de violence, plus l’on a de « chances », nous disent sociologues et criminologues, de s’y inscrire durablement. Les mauvais comportements des « petits » peuvent devenir les mauvais comportements des « grands »

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Reste la question épineuse de la réponse ou des réponses à la violence (question que l’on se posait déjà dans les années 1970). Des bonnes réponses évidemment.

Une bonne réponse n’est pas une réponse « d’autorité », posée idéologiquement – quelle que soit la couleur de l’idéologie. Une bonne réponse est celle qui produit l’efficacité sociale, celle qui assure le changement voulu. Une réponse argumentée, donc validée par la science.

En grossière simplification, l’idéologie de droite soutient la répression, par le renforcement de la présence policière, une justice plus sévère, davantage d’incarcérations. L’idéologie de gauche soutient au contraire la prévention, les peines alternatives à l’emprisonnement, la médiation. De nombreux travaux scientifiques tant français qu’américains ont montré toutes les limites de la politique de l’ordre répressif (l’on a longtemps pensé par exemple que la délinquance des jeunes des cités n’était le fait que d’une minorité (5%), qu’il suffisait donc d’éliminer les « meneurs » pour rétablir l’ordre. On sait ce qu’il est advenu de cette « théorie » avec le développement des trafics de stupéfiants notamment) [une exception récente notable : la répression policière et sanglante du mouvement des Gilets jaunes qui a conduit les manifestants à se retirer prudemment de la scène publique pour échapper aux brutalités des forces de l’ordre]

Quant à la politique de la prévention, elle semble aujourd’hui insuffisante à réparer une dégradation qui n’a plus aucune frontière géographique ou sociale, mais, nous le verrons, elle se doit d’être réactivée.

Alors que faire ? Bien entendu, quand une infraction est commise et les auteurs appréhendés, la justice passe et sanctionne les individus comme elle doit le faire. Mais, comme le dit à nouveau le « président-sociologue » Emmanuel Macron, il ne faut pas qu’il n’y ait qu’une réponse punitive même si elle est nécessaire. Il faut aussi continuer à mettre en cause la responsabilité des plateformes sur le net. Beaucoup de violences, à commencer par le harcèlement, passe aujourd’hui par les écrans et les réseaux sociaux.

Quelles autres réponses ? Les réponses sociologiques classiques, qui sont la lutte à la fois contre chômage, les ruptures familiales, les échecs scolaires, par la rééducation, ont « du plomb dans l’aile ». Quantité d’individus, jeunes ou pas, sont bien insérés, à l’école, sur leur lieu de travail, et pourtant ils commettent de plus en plus des violences verbales, quelquefois des agressions physiques.

Le dommage étant moral, la réparation doit être de même nature, et à grande échelle. Quelle est la situation ? Une conscience collective effacée et des consciences individuelles qui n’ont pas pris le relais. Les conduites sociales en effet ne sont plus raisonnées, mais instinctives, elles n’obéissent plus qu’au bon plaisir du moment. Puisque toutes les opinions se valent (nous incluons dedans les savoirs qui n’ont plus le statut privilégié d’antan), tous les actes se valent aussi. Du coup, il n’y a plus de place pour les valeurs et normes collectives – des normes qui n’ont plus en tout cas ce pouvoir prescriptif indifférencié et général qu’on leur reconnaissait auparavant.

D’où cette idée de « purification civique » que j’ai lancée récemment sur un plateau télé (BFMTV). Ecartons immédiatement l’idée que tout le mal actuel viendrait d’un défaut d’autorité de l’Etat et donc qu’en rétablissant cette autorité, le mal serait réparé. Mais l’on ne voit pas très bien la méthode envisagée : l’établissement d’une dictature, l’arrêt de l’immigration, l’expulsion des étrangers, l’incarcération au premier délit commis, etc…

C’est ici qu’il faut lever une confusion entre ces deux mots : « autorité » et « pouvoir », et revenir quelques années en arrière. Les Français ont toujours confondu les deux notions. Il y a un demi-siècle, disparaissait, au moins des grandes institutions : famille et école, le pouvoir autoritaire, vertical, appelé à tort « autorité ». La démocratie libérale, prenant appui sur l’individualisme de masse, s’installait à sa place. Alexis de Tocqueville, explorant l’Amérique, dans les années 1830 avait déjà noté que l’individualisme se manifestait par une révolte des individus contre la hiérarchie au nom de l’égalité, et par une dénonciation des traditions au nom de la liberté.

C’est le pouvoir qui autrefois conférait l’autorité, et pas l’inverse. Le « maître » du temps de Jules Ferry n’avait pas plus d’autorité que l’enseignant d’aujourd’hui : il avait plus de pouvoir, celui que lui donnait un statut et lui assurait la légitimité et l’« autorité morale ».

Si l’on comprend parfaitement ce qu’est le pouvoir, l’on comprend toujours aussi mal ce que désigne l’autorité. Du latin auctoritas (qui a donné auteur et accroître), l’autorité est très exactement le contraire du pouvoir. L’autorité est une liberté, une autorisation de faire : elle n’est pas une imposition de règles. Elle « autorise » un individu à mobiliser ses capacités pour l’action.

Il n’y a donc pas aujourd’hui une « crise d’autorité de l’Etat », mais une crise du pouvoir d’Etat (ce dont tous les politologues s’accordent), une crise des institutions majeures, comme la famille et l’école, désormais submergées par la mentalité démocratique.

Que faire donc de cette crise de pouvoir et pas d’autorité ?

Rétablir le pouvoir de l’ancien temps ? Mais c’est comme vouloir rétablir la voiture à cheval pour éviter la pollution des voitures à moteur ? Les estrades et les uniformes en classe, le pouvoir du pater familias sont in-ressuscitables !

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Considérant qu’une réponse répressive ne déboucherait probablement sur aucun résultat significatif – compte tenu de l’ampleur de la réparation morale à effectuer, nous préconiserions volontiers d’explorer la piste du DIALOGUE.

Autant dire, que la réponse à la violence actuelle n’est, d’après notre expertise scientifique, pas plus de répression, mais plus de démocratie.

A l’école, plus de libertés pédagogiques reconnues aux enseignants (en les délivrant du carcan du programme), plus d’autonomie pour les élèves en leur confiant des responsabilités accrues au sein des établissements : l’éducation civique et sociale se pratique autant qu’elle s’enseigne !, plus de médiateurs, plus d’HUMAIN de manière générale : nos écoles manquent d’assistants d’éducation, d’infirmières, d’assistantes sociales, de médecins scolaires. Le milieu scolaire doit être quadrillé de femmes et d’hommes bienveillants. Enfin, posons-nous une dernière question : pourquoi dégaine-t-on aussi vite les poings aujourd’hui ? Parce qu’on ne peut plus dégainer les mots que l’on n’a plus en tête. La pauvreté du vocabulaire des jeunes (tous milieux sociaux confondus) est impressionnante. Il faut donc faire réapprendre aux élèves, vocabulaire, grammaire. C’est avec les mots que l’on forme les idées qui permettent le dialogue pacifique entre les individus.

Côté famille, le président a donné son sentiment : un accompagnement et une responsabilisation des parents, un soutien, dit-il, aux « mamans solo » souvent en grandes difficultés avec leurs enfants. N’ayant pas évoqué la piste de la suspension ou de la privation des allocations familiales, l’on peut penser que M. Macron a compris, à partir de son exemple familial judicieusement choisi, qu’une privation de revenus ne ferait qu’accentuer les difficultés de gestion familiale, rien d’autre. Imaginons donc plutôt des « cours du soir » ou des « stages de soins parentaux » pour aider les familles à mieux remplir leur rôle éducatif.

Une société doit préserver la santé physique mais aussi mentale de ses membres. On sait combien le confinement lié à la crise du Covid-19 a entraîné de désordres et troubles psychologiques chez les enfants, les adolescents, les jeunes, chez beaucoup d’adultes aussi.

Avec le retour du dialogue partout, c’est la prévention qu’il faut aussi à nouveau favoriser. La France est un pays faible en cette matière. Prévention médicale, prévention des catastrophes climatiques (voir les inondations à répétition dans le Pas-de-Calais non-maîtrisées), prévention du désordre, toutes ces préventions sont et restent modestes.

Considérons la prévention du désordre. Pourquoi tant de quartiers sensibles sont-ils devenus des « zones de non-droit » ? Parce que les policiers s’en sont retirés au quotidien pour n’y mener que des opérations « coups de poing » ou « place nette ». La suppression de la police de proximité a été une erreur politique. De l’avis même des policiers, de ceux regroupés dans le syndicat UNITE-FO par exemple, il faut la rétablir. Non, je le répète, pour des raisons idéologiques mais pour des raisons d’efficacité sociale (la seule raison qui doive guider la décision politique). La police de proximité, supprimée par Nicolas Sarkozy, n’est pas une police de complaisance avec les délinquants comme il se dit parfois, mais une police qui, immergée sur un territoire, se veut d’abord d’écoute et de conseil, de contacts et d’échanges, qui cherche à prévenir les désordres, à mettre fin aux disputes quand elles se produisent. Un policier de proximité a pour mission de créer et d’entretenir la communication, d’identifier les problèmes pour mieux les résoudre, d’appréhender bien sûr aussi les auteurs de crimes et délits commis. La main tendue reste une main ferme.

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Beaucoup de choses pourraient encore être dites. Une chose est sûre, les « murs quotidiens de lamentations », les indignations répétées des pouvoirs publics ne suffiront pas à terrasser les violences actuelles. N’est-il donc pas temps de réfléchir tous ensemble ?

D’où la suggestion que j’adresse au gouvernement d’organiser, avant la fin de l’année, des ETATS GENERAUX DE LA RENOVATION INTELLECTUELLE ET MORALE de France, réunissant tous les acteurs de la classe politique, des membres de la société civiles, des responsables des familles, de l’Education nationale, de police et de la gendarmerie, de la justice, etc. Des états généraux conclusifs, avec recommandations en vue de décisions rapides pour ramener la discipline morale nécessaire au fonctionnement de notre société.

Michel Fize, sociologue, politologue

Auteur de « La Crise morale de la France et des Français », Mimésis, 2017

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