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Iran : ces discrètes failles qui apparaissent derrière la répression sauvage déployée par le régime
©Ozan Kose / AFP

Mahsa Amini

La mort de Masha Amini, arrêtée pour un voile « mal porté », a déclenché un véritable embrasement en Iran. En proie à des manifestations extrêmement violentes, le régime montre des signes d'essoufflement, voire des failles importantes

Emmanuel Razavi

D’origine iranienne, Emmanuel Razavi est grand reporter. Il a enquêté sur les filières jihadistes ainsi que sur le corps des Gardiens de la Révolution. Ses reportages et enquêtes ont été publiées dans Paris Match, Franc-Tireur, Valeurs Actuelles, Politique internationale. Il est auteur de plusieurs documentaires sur le Moyen-Orient diffusés sur Arte et la chaine Planète. Son dernier livre, « La face cachée des Mollahs » (Cerf), révèle le visage mafieux et terroriste de la République islamique d’Iran.

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Atlantico : Quelle est la situation actuelle de la répression par le régime des manifestants iraniens ?

Emmanuel Razavi : La situation est dramatique. On parle de 416 morts à l’heure où nous échangeons. Mais ce sont sans doute des chiffres sous-évalués, tant la répression est féroce. D’après l’organisation non gouvernementale Iran Human Right, 72 personnes ont été tuées depuis une semaine. Parmi elles, 56 ont été abattues au Kurdistan. Les arrestations arbitraires se multiplient. Dans les prisons iraniennes, les prisonniers sont quasi-systématiquement battus et torturés. Les Mollahs et leur bras armé, les pasdarans, ne savent pas réagir autrement que par la violence et le meurtre. Ils s’accrochent au pouvoir en utilisant la répression violente comme seule réponse aux demandes de la population. 

Le WSJ rapporte que le régime a tenté, sans y parvenir, d'obtenir le soutien des familles Rafsanjani et Khomeini. En quoi ce soutien serait-il important ? Dans quelle mesure cela témoigne-t-il de failles dans le régime ? 

Le chef de la sécurité nationale iranienne aurait demandé à des personnalités du camp dit « modéré » d’appeler à la fin des manifestations. Il voulait peut-être montrer que le régime était prêt à faire des concessions en contrepartie de l’arrêt du mouvement de contestation. De mon point de vue, cela montre que le régime s’inquiète car il voit bien qu’il ne parvient pas à endiguer ce mouvement qui vire à la révolution. Il cherche donc à s’appuyer sur des forces plus ouvertes aux réformes, qui pourraient faire le lien avec les manifestants. Mais je pense que c’est un leurre. En effet, alors qu’il lance ce genre d’appels, il continue de tuer des femmes et des enfants. Cela n'a aucun sens.  Il faut cesser de croire que les Mollahs sont des gens avec lesquels on peut discuter. Ils ont démontré par le passé qu’on ne pouvait pas les croire, y compris sur le dossier de l’uranium. 


Quelles sont les scissions internes au sein de la classe dirigeante ?

Elles sont de plusieurs types. Il y a bien sûr des dissensions entre les tenants d’une ligne dure et ceux qui pensent qu’il faut faire des concessions. Au milieu de tout cela, il y a les pragmatiques pour qui seuls le pouvoir et l’argent comptent et qui, pour les conserver, sont prêts à tout.  Enfin, on peut commencer à voir se dessiner une toute petite ligne de fracture entre les plus jeunes et « les vieux turbans », y compris au sein des gardiens de la Révolution. Mais je ne crois pas qu’il faille compter sur ces divergences pour voir le régime évoluer fondamentalement. Ce n’est de toutes façons plus le sujet, puisque majoritairement, les Iraniens ne veulent plus des Mollahs, qu’ils soient conservateurs ou réformateurs.  Les Iraniens veulent la fin du régime théocratique, patriarcal et corrompu qui a conduit l’Iran à une crise sans précédent. Il faut que les diplomaties occidentales l’entendent : l’immense majorité des Iraniens veut en finir avec les Mollahs.


Ces failles pourraient-elles donner une chance au mouvement de contestation d’aboutir à une réelle déstabilisation du régime ?

Comme je vous le disais, je crois juste que ces failles sont révélatrices d’un régime théocratique en fin de vie. Les Iraniens n’en peuvent plus de la corruption, de la violence, de la crise économique. Le fait qu’ils se révoltent accélère évidemment la mise au grand jour des faiblesses du régime, bien qu’au fond, ce ne soit pas nouveau. A dire vrai, pendant que l’on se pose des questions en Occident sur ce qui se passe en Iran, je crois que les Iraniens qui se révoltent sont déjà dans l’étape d’après. En clair, ils considèrent déjà que le régime va s’effondrer. Ils n’ont donc aucune raison de vouloir discuter avec lui. Ils attendent maintenant un positionnement plus clair et plus ferme de la communauté internationale, notamment de la France et des États-Unis, pour que les choses s’accélèrent. 


La répression brutale et sans pitié des manifestants a-t-elle été une erreur stratégique pour le régime ? 

Ce régime est brutal depuis 43 ans. Ce n’est pas la première fois qu’il réprime des manifestations dans le sang. Donc oui, c’est évidemment une erreur d’agir ainsi, car cela contrevient aux droits les plus fondamentaux. Cependant, son erreur manifeste est de ne pas avoir su montrer des signes d’apaisement en faisant des concessions. Il n’a pas su non plus répondre à la crise économique, alors qu’elle est dramatique. Il n’a pas davantage appréhendé les problématiques environnementales qui ont eu des conséquences dramatiques en Iran. Maintenant, il est trop tard pour revenir en arrière.

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