Délinquance des mineurs : un projet de loi Dupond-Moretti à la sévérité en trompe-l’oeil<!-- --> | Atlantico.fr
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Éric Dupond-Moretti souhaite "restaurer la parentalité".
Éric Dupond-Moretti souhaite "restaurer la parentalité".
©BERTRAND GUAY / AFP

Illusions

Éric Dupond-Moretti souhaite "restaurer la parentalité". Il porte un projet de loi qui prévoit notamment 3 ans de prison et 45.000 euros d'amende pour les parents dont les enfants mineurs auraient commis plusieurs crimes ou délits.

Georges Fenech

Georges Fenech

Georges Fenech, ancien juge d'instruction, a présidé la commission d'enquête parlementaire consacrée aux attentats du 13 novembre 2015 et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Son dernier livre est intitulé "L'ensauvagement de la France : la responsabilité des juges et des politiques" (2023) aux éditions du Rocher.

Il a déjà publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gare aux gourous (2020), mais aussi "Face aux sectes : Politique, Justice, Etat" (1999) et "Criminels récidivistes : Peut-on les laisser sortir ?" (2007).

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Atlantico : Que pensez-vous de la proposition du ministre de la Justice de renforcer la responsabilité des parents des mineurs délinquants ?

Georges Fenech : C'est un vœu pieux qui a déjà démontré son inefficacité puisque la responsabilisation des parents est en fait déjà prévue dans la loi. L'article 227.17 du code de la justice pénale des mineurs prévoit des peines pouvant aller jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende lorsque la carence éducative est reconnue comme à l'origine des délits commis par des mineurs. Cependant, les parquets n'ont jamais requis de telles peines et les tribunaux correctionnels semblent ignorer ce texte.

Les juges refusent donc de l'appliquer, c'est donc un fait évident : la responsabilité parentale reste un sujet récurrent mais stérile. Bien sûr, il est nécessaire de responsabiliser les parents, mais nous ne devons pas nous leurrer avec des illusions.

Une sanction financière imposée aux parents, qui sont souvent défavorisés, tout comme leurs enfants, ne résoudra pas le problème. Après les émeutes de l'an dernier, on a beaucoup parlé de faire payer les parents pour les dégâts, évalués à plus d'un milliard d'euros, y compris les dommages aux écoles et aux bâtiments publics. Mais ce sont les impôts des contribuables qui ont en fin de compte couvert les réparations, pas les parents.

Tout cela n'est que de la poudre aux yeux, clairement et simplement. Maintenant, dans ce nouveau projet de loi, on nous propose des travaux d'intérêt général.

Il reste à voir si les tribunaux auront la volonté de prononcer de telles peines, car cela nécessite le consentement de la personne concernée. Si elle refuse, elle ne sera pas contrainte à ces travaux. Une fois de plus, cela semble être une solution superficielle. Nous ne pouvons pas affronter de front le fléau de notre société actuelle, qui voit jusqu'à 20 % de la délinquance attribuable à des mineurs, et une criminalité de plus en plus grave.

Nous assistons à des trafics de drogue massifs, des règlements de comptes armés, des meurtres au couteau, des réalités qui étaient impensables il y a quelques années. Tout cela découle en partie de l'aveuglement du ministère de la Justice, qui a mis en œuvre la réforme du code pénal des mineurs en 2021 sans aucun débat parlementaire, une erreur historique.

Plutôt que de renforcer les procédures et de rendre la répression plus efficace contre les mineurs dangereux, cette réforme a affaibli les sanctions pénales en introduisant une mesure extraordinaire : la césure du procès pénal pour les mineurs, qui peuvent être renvoyés pour déterminer leur peine ultérieurement, après un certain délai, une situation qui ne fait qu'accentuer l'impunité des mineurs délinquants.

Il est urgent de revoir complètement notre politique pénale à l'égard des mineurs. Des mesures efficaces incluraient des comparutions immédiates et des sanctions immédiates adaptées aux mineurs, ainsi que la réduction de l'âge de la responsabilité pénale à 15 ans. Il est nécessaire de reconsidérer le système actuel qui tend à favoriser les mineurs délinquants au détriment de la protection de la société.

Nous devons également construire rapidement, au moins un centre éducatif fermé par département. Il est temps de mettre fin à cette vision idéaliste qui prévalait en 1945, lorsqu'il s'agissait de protéger les enfants orphelins après la guerre, une réalité bien éloignée de celle de 2024.

La chancellerie a trop longtemps privilégié l'aspect éducatif au détriment de la répression. Une politique pénale pour les mineurs doit reposer sur ces deux piliers : la prévention et la répression.

Cependant, le projet de loi actuel semble une fois de plus timide. On parle encore de responsabiliser les parents sans réelle action concrète. Obliger les parents à verser une contribution de 200 € à une association semble peu efficace, surtout dans les quartiers où la délinquance est prévalente.

La seule sanction que les mineurs récidivistes et dangereux comprennent est la privation de liberté. Malheureusement, ce projet de loi semble manquer de mesures qui favoriseraient véritablement la sanction pénale.

Quel est, selon vous, le bilan d'Éric Dupond-Moretti depuis son entrée en fonction place Vendôme en termes de délinquance des mineurs ? 

Ce bilan est sans précédent, avec une augmentation alarmante de la délinquance et de la criminalité chez des mineurs de plus en plus jeunes. C'est un constat indéniable.

Bien que certains politiciens puissent adopter une posture ferme et des discours percutants du genre "maintenant ça suffit", il est irréaliste de demander à un homme politique comme Eric Dupond-Moretti de renier ses convictions acquises depuis ses années en tant qu'avocat. Il a toujours soutenu que la criminalité découlait largement des inégalités sociales et ethniques. Cette perspective s'inscrit dans une lignée qui remonte à des figures telles que Robert Badinter, Christiane Taubira, Nicole Belloubet et Élisabeth Guigou. L'accent a toujours été mis sur la protection judiciaire des mineurs délinquants plutôt que sur une approche purement punitive.

Pour ce qui est des mineurs, il est impératif d'adopter une politique de tolérance zéro. Les mineurs ne comprennent que lorsqu'ils sont confrontés à des sanctions. Si aucune sanction n'est appliquée et qu'on leur dit simplement de rentrer chez eux en attendant une éventuelle condamnation dans un an, cela ne fait que les encourager dans leurs comportements délinquants, car ils se sentent en totale impunité.

Personnellement, je suis non seulement critique mais profondément indigné de constater qu'en 2024, nous ne parvenons toujours pas à appréhender la gravité de la situation en matière de délinquance juvénile.

Trois ans se sont écoulés depuis l'adoption du Code de la justice pénale des mineurs. Quel bilan pouvons-nous dresser aujourd'hui ?

C'est une véritable catastrophe, je vous assure. Cette situation rend les audiences encore plus complexes, car désormais, il faut deux audiences pour juger un mineur. Une pour déclarer sa culpabilité, puis une autre un an plus tard pour déterminer une éventuelle sanction. Cela surcharge encore davantage les tribunaux pour enfants qui étaient déjà débordés.

De plus, cela renforce le sentiment d'impunité. Lorsqu'un ministre de la Justice refuse d'utiliser les termes couramment employés aujourd'hui, comme "ensauvagement de la société" ou "mineurs devenant criminels", cela suggère une fois de plus que l'on considère le mineur comme non responsable de ses actes. On soutient l'idée que la société, dans son ensemble, est responsable.

Pourtant, c'est le mineur lui-même qui est responsable. Il possède un libre arbitre et c'est à lui de choisir entre s'enfoncer dans la délinquance ou poursuivre des études pour s'en sortir. C'est une réalité indéniable, et cela ne changera pas, quoi qu'on en dise.

Quel bilan pouvons-nous tirer de l'action du gouvernement depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron aux affaires ?

Essentiellement, la responsabilité incombe au ministère de la Justice, car en ce qui concerne la police, il n'y a pas grand-chose à redire. La police fait son travail.

Le véritable enjeu réside dans la coordination entre la police et la justice. Vous vous souvenez sûrement du cri lancé par les forces de l'ordre : le problème entre la police et la justice réside souvent dans l'absence d'un suivi réellement efficace. De plus, il y a le problème de la construction des centres éducatifs fermés (CEF), des centres d'observation et de rééducation (COR), et des établissements pour mineurs.

Ces questions relèvent non seulement du ministère de la Justice mais aussi du ministère du Budget. Il est impératif de mettre plus de moyens à disposition.

De plus, il y a un autre gros problème, comme je le souligne dans mon dernier ouvrage intitulé "L'ensauvagement de la France : La responsabilité des juges et des politiques". Il y a une responsabilité majeure d'un courant idéologique qui a imprégné la magistrature. Les postes, souvent pourvus par des membres du syndicat de la magistrature depuis leur jeunesse, refusent catégoriquement toute forme de sanctions fermes par pure idéologie. Ils prônent toujours la culture de l'excuse et une approche exclusivement préventive et éducative. C'est une dimension qu'il ne faut pas négliger.

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