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Yamina Saheb, experte du GIEC, vient de lancer le Laboratoire mondial de la sobriété.
Yamina Saheb, experte du GIEC, vient de lancer le Laboratoire mondial de la sobriété.
©Guido Kirchner / dpa / AFP

Transition écologique et décroissance

Yamina Saheb, experte du GIEC, vient de créer un Laboratoire mondial de la sobriété. Quelle est la position de la communauté scientifique sur la question de la sobriété ?

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon

François-Marie Bréon est chercheur physicien au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement. Il a participé à la rédaction du 5ème rapport du GIEC. Il est spécialiste de l'utilisation des données satellitaires pour comprendre le climat de la Terre. Membre du conseil scientifique de l'Association française pour l'information scientifique (Afis).

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Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : La chercheuse Yamina Saheb lance un Laboratoire mondial de la sobriété. Sa méthode est-elle critiquable ?

François-Marie Bréon : Je n’affirmerais pas que la méthode est critiquable car j’ai bien trop peu d’information au sujet de ce laboratoire.  Je suis bien persuadé, moi aussi, qu’une part de sobriété est nécessaire dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.  Par exemple, j’ai souvent eu l’occasion de dire que le transport aérien de masse que nous avons aujourd’hui n’est pas compatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.  Il me parait donc parfaitement justifié d’orienter des recherches sur la question de la sobriété.  Ma seule inquiétude sur ce sujet porte sur le mot « idéologique » revendiqué par Mme Saheb sur l’orientation de son laboratoire.  La recherche ne doit pas être idéologique, d’autant plus que si ce terme continue à être revendiqué lors de la création de ce laboratoire, tout résultat qui en sortira apparaitra suspect.

Philippe Charlez : Je ne connais pas Madame Saheb ni le contenu du laboratoire mondial de la sobriété qu’elle vient de créer. Je ne me permettrai donc pas de critiquer cette initiative sans en avoir regardé en détails les tenants et les aboutissants. Je me contenterai de discuter le concept de « sobriété » en me focalisant sur l’énergie qui est mon domaine d’expertise. Tout d’abord, la sobriété sous-entend dans le Larousse « tempérance, austérité ou frugalité ». Il ne peut y avoir apriori de sobriété heureuse. Toutefois on peut l’envisager de deux façons très différentes. 

D’une part la sobriété choisie consiste à optimiser un certain nombre de nos comportements que nous jugeons aberrants ou exagérés. Ainsi en termes de consommation d’énergie, on peut pointer dans notre société de nombreuses possibilités d’amélioration dans notre quotidien. Mais ces améliorations ne doivent en aucun cas toucher au développement humain que nous avons chèrement acquis (notamment, même si nous les détestons grâce aux énergies fossiles) depuis deux cents ans. On sait qu’en termes de consommation d’énergie, le développement humain est borné par un socle de pierre de 30 MWh/an (le GIEC considère 28 MWh) en dessous duquel on tombe rapidement dans le sous-développement (baisse de l’espérance de vie et accroissement de la mortalité infantile) et un plafond de verre autour de 40 MWh/hab au-dessus duquel les bénéfices en termes de développement deviennent marginaux. L’Union Européenne (37 MWh) a déjà largement optimisé sa consommation alors que les Etats-Unis ou l’Australie (80 MWh) ont en revanche d’énormes efforts de sobriété à faire. Les pays émergent (16 MWh) qui aspirent légitimement au développement augmenteront significativement leur consommation au cours des prochaines décennies. 

D’autre part la sobriété imposée par une réduction autoritaire (i.e. par la loi) de la production et de la consommation avec en filigrane un changement radical de société. Reproduire en quelque sorte ad vitam aeternam la période que nous avons vécue durant le premier confinement mais…sans subventions. Une société décrite en détails dans l’effrayant ouvrage « Ralentir ou Périr » de l’économiste Thimotée Parrique. Il y décrit en deux phases clé comment « décroitre » pour ensuite « atterrir » dans une économie dite de « post-croissance » : « réduire drastiquement la production et la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et de bien-être pour aboutir à une société nouvelle en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les (maigres) richesses sont équitablement partagées afin de prospérer sans croissance ». 

A lire la prose de Madame Saheb, mais aussi à considérer son appartenance au Think Tank Negawatt (décroissantiste et proche de La France Insoumise) elle ne nous laisse que peu de doutes quant à sa sympathie pour le décroissantisme. Ses 4 piliers (sobriété résultant de politiques publiques, évitement de l’utilisation des ressources naturelles, équité se traduisant dans l’accès au bien-être pour tous et respect des limites planétaires) semblent en parfaite adéquation avec la société Pariquienne. Son dessein est clairement un changement de société via une « révolution scientifique et culturelle » une « métamorphose impliquant…un changement radical ».

En quoi cette méthode ne fait pas avancer la question écologique ?

François-Marie Bréon : Pour lutter contre le changement climatique, et donc contre les émissions de gaz à effet de serre, la sobriété est un des outils.  C’est un outil important mais ce n’est pas non plus le seul.  Le risque que je perçois est donc de vouloir afficher la sobriété comme le seul, ou en tout cas le principal, levier d’action.  Je crains donc que ce genre d’approche conduise à un rejet de l’opinion face à la lutte contre le changement climatique.  Je n’ai aucun problème, bien au contraire, à rappeler la nécessité d’une certaine sobriété dans les actions individuelles et les politiques publiques mise en place pour les permettre.  Mais attention à la position du curseur pour ne pas braquer les populations entrainant un rejet de toute action en faveur du climat.

Philippe Charlez : Selon la chercheuse de l’Université de Bordeaux Nathalie Blanc-Noël, la décroissance sobriétiste repose sur trois piliers : l’écologisme, le marxisme et l’anarchisme.

Elle part d’une hypothèse -non vérifiable- l’écologisme collapsologique : si l’humanité n’arrête pas de produire et de consommer elle court à sa perte. En parlant de « la (non) continuité de la vie sur Terre » ou en signant un article de Reporterre titré « quand on n’aura plus à manger, la sobriété s’imposera à nous » Madame Saheb adhère implicitement à cette pensée collapsologique. 

Bien que jugeant très sévèrement la pensée productiviste du marxisme canal historique [1], le décroissantisme y emprunte ses valeurs traditionnelles de lutte des classes, de rejet de la propriété, de redistribution, de solidarité et surtout d’égalité. Pour éviter de construire de nouveaux logements jugés non écologiques Madame Saheb est prête à confisquer les logements vacants. Elle remet donc en cause l’inviolabilité de la propriété mentionné dans le premier article de la Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen. L’une des bases du marxisme canal historique. 

Enfin le décroissantisme puise ses bases politiques dans l’anarchisme en prônant la décentralisation à outrance : communautés économiquement autonomes allant de pair avec une démocratie directe faite d’assemblées participatives répartissant de façon homogène mais parcimonieuse les faible ressourcess. Selon Parrique, ces communautés vernaculaires vivraient en parfaite harmonie. C’est ignorer la genèse d’un nouvel esprit tribal qui ne manquera pas d’opposer les communautés entre elles pour assurer leur survie. Les « tables de quartier » de Parrique ne sont pas sans rappeler les terribles « comités de quartier » foisonnant dans les villes chinoises depuis la sinistre Révolution Culturelle

Contrairement à ce que pense Madame Saheb, brader notre société de croissance et son démon capitaliste contre une décroissance mortifère ne se fera pas « dans l’accès au bien-être pour tous ». Sa société imposant la sobriété par la politique publique ne peut reposer que sur un pouvoir autoritaire non démocratique. Sa société ne fera pas « beaucoup plus de gagnants que de perdants » mais uniquement des perdants. Le marxisme historique nous promettait l’égalité dans l’abondance, le décroissantisme sobriétiste nous propose l’égalité…dans la pauvreté absolue. 

Le démocrate libéral que je suis reste pour sa part convaincu que c’est en continuant à produire des richesses que nous nous défendrons le mieux contre le réchauffement climatique. La preuve en est que les pays aujourd’hui les plus exposés sont le plus pauvres. Que Madame Saheb le veuille ou non la croissance économique reste notre meilleur atout. C’est en construisant des digues, des réseaux électriques performants ou encore des canadairs qu’on se défend le mieux contre le réchauffement.

Quelle est la position de la communauté scientifique sur la question de la sobriété ?

François-Marie Bréon : La communauté scientifique reconnaît la contribution de la sobriété pour limiter le changement climatique.  Elle insiste aussi sur la nécessité de mesures équitables.  Il n’y a pas de position unanime sur où mettre le curseur entre les mesures de sobriété, le développement de technologies permettant de réduire les émissions pour un même usage (comme les renouvelables ou le nucléaire contre les énergies fossiles), l’adaptation à un changement climatique que on accepterait, voire même la mise en place de techniques de géo-ingéniérie.

Philippe Charlez : Ce n’est pas un hasard si Madame Saheb « n’a pas trouvé de références à la sobriété dans la littérature scientifique ». La sobriété n’est pas à proprement parler un concept scientifique. La réduction de la consommation d’énergie peut certes résulter d’avancements technologiques (par exemple des voitures consommant moins de carburant ou des ampoules comme les LEDs beaucoup moins gourmandes en électricité). Mais dans ce cas on parle d’efficacité énergétique voire d’optimisation énergétique. La sobriété est un concept sociétal qui comme je l’ai indiqué résulte soit de choix individuels responsables soit de choix politiques autoritaires.

Modéliser la sobriété dans les modèles du GIEC ne servira à rien sinon de prouver (ce que nous savons déjà) qu’arrêter de produire et de consommer réduira mécaniquement les GES et donc le réchauffement. La difficulté est de conjuguer lutte contre le réchauffement et développement humain. Madame Saheb semble vouloir trouver à tout prix un argument scientifique pour sacrifier le second au nom du premier. 

Une question de fond subsiste toutefois quant à sa motivation première : son agenda est-il direct (l’effondrement climatique justifie sa nouvelle société) ou inversé (elle instrumentalise le catastrophisme climatique pour justifier ce changement de société). Ce mariage suspect entre objectifs climatiques et valeurs gauchistes (marxisme et anarchisme) m’a conduit à requalifier les climato-catastrophistes décroissantistes et sobriétistes de « climato-gauchistes ». Connaissant leur obsession égalitaire, leur haine des riches et leur détestation de ce qui s’y corrèle (sélection, compétition, réussite sociale), la question de leur motivation première est légitime.

Comme l’écrit très justement François-Marie Bréon : « Le rôle du GIEC est de faire une synthèse des connaissances, largement basée sur la littérature scientifique ». En mélangeant science, militantisme et idéologie, certains membres du GIEC sèment le doute et donnent à juste titre du grain à moudre aux courants climatosceptiques représentant selon la dernière enquête de l’INSEE 37% des Français. Le GIEC aurait tout intérêt pour sa crédibilité à purger de ses forces vives les personnes (et il y en a plusieurs !) touchant de près ou de loin à l’idéologie et à la politique.


[1] Serge Latouche (2009) « Oublier Marx », Revue du MAUSS, n° 2, 2009

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