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Descente aux enfers : alors que la canicule s’abat sur la France, la culture démocratique s’évapore
©Fabrice COFFRINI / AFP

"climato-scepticisme" et "racisme"

La venue de Greta Thunberg à l'Assemblée nationale a provoqué une polémique et plusieurs députés se sont opposés à sa venue, une posture critiquée par d'autres parlementaires qui n'hésitent pas à pointer du doigt un "climato-scepticisme". En parallèle les critiques de Nadine Morano envers la tenue et les propos de Sibeth Ndiaye ont été qualifiée par cette dernière de "racistes".

Yves Michaud

Yves Michaud

Yves Michaud est philosophe. Reconnu pour ses travaux sur la philosophie politique (il est spécialiste de Hume et de Locke) et sur l’art (il a signé de nombreux ouvrages d’esthétique et a dirigé l’École des beaux-arts), il donne des conférences dans le monde entier… quand il n’est pas à Ibiza. Depuis trente ans, il passe en effet plusieurs mois par an sur cette île où il a écrit la totalité de ses livres. Il est l'auteur de La violence, PUF, coll. Que sais-je. La 8ème édition mise à jour vient tout juste de sortir.

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Maxime  Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est un haut fonctionnaire français, qui a été conseiller de Nicolas Sarkozy sur les questions relatives à l'immigration, l'intégration des populations d'origine étrangère, ainsi que les sujets relatifs au ministère de l'intérieur.

Il commente l'actualité sur son blog  personnel

 

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Atlantico : Le débat public, scientifique ou encore économique semble de plus en plus envahi par cette tendance à l'anathème de l'opposant, plutôt que le dialogue avec ses contradicteurs. En quoi cette attitude endommage-t-elle la culture démocratique ?

Yves Michaud : Les crispations sont revenues comme aux plus beaux jours du sarkozysme. Je parlerai même de « brutalisation de la vie politique ». La politique a certes besoin de polarisation pour que les différences de position soient claires mais quand cela tourne au clivage, tout se bloque. Ces clivages sont d’autant plus bizarres que Macron s’est fait élire sur des thèmes plutôt rassembleurs. 

Que s’est-il passé ? Il a lui-même fait preuve d’un incroyable arrogance et de beaucoup d’agressivité dans ses expressions et son style – d’une manière différente des rodomontades de Sarkozy mais dans un style proche. Macron est aussi arrivé au pouvoir avec une bande rapprochée de soutiens qui n’est ni très sympathique ni très ouverte – les comportements de ses proches sont entre revanchards (Griveaux, Castaner) et prédateurs (Benalla, Rugy). Lui-même a très peur de partager le pouvoir. Il y a chez lui des côtés brutaux et prétentieux qui relèvent du défaut de personnalité grave.

Maintenant il y a d’autres facteurs en jeu : la brutalité des échanges dans les médias et nouveaux médias, l’hyperréactivité via les tweets, l’absence aussi de relais des revendications et protestations aussi bien par des syndicats désormais hors jeu que par les partis traditionnels presque tous explosés, la bizarre situation française hypermajoritaire. La crise des gilets jaunes que personne n’a vu venir, qui n’a pas été traitée et qui reste comme une plaie ouverte est à la fois un symptôme de cette situation et son effet.

Maxime Tandonnet : En effet, la démocratie est la grande perdante de ce schéma. Il existe une vérité, scientifique, morale, politique, qui ne souffre pas de contestation. Ceux qui refusent de s’y soumettre ne sont pas des opposants politiques avec lesquels il faut discuter et débattre, mais des ennemis de l’intérieur à combattre, toujours par l’insulte ou la mise à l’index. Dans le monde moderne médiatisé qui ne supporte pas la couleur du sang ni de la souffrance physique, l’arme fatale destinée à faire peur et à faire taire est l’humiliation, le lynchage médiatique, la honte. On ne frappe pas mais on crache. Dès lors qu’il existe une vérité révélée, le jeu de la majorité et de la minorité n’a pas d’importance. Même infiniment minoritaire dans l’opinion, les détenteurs de la vérité ont par définition raison et leur message, leur leçon s’impose obligatoirement. Quant à la majorité, qui ne suit pas, elle est diabolisée, traitée de populiste et disqualifiée par tous les moyens. La démocratie n’est hélas plus qu’un mot sans rapport avec le monde des réalités. Vous avez raison de dire que la culture démocratique est malade.

En quoi cette pratique de la mise à l'index systématique, sans argumentaire fondé, semble systématique ces derniers jours ? Quelles sont les positions dans lesquelles elle s'exprime le plus ? 

Maxime Tandonnet : La situation et les deux cas concrets que vous évoquez sont particulièrement symptomatiques de la nouvelle politique, ou du « nouveau monde » dans lequel nous sommes entrés. Il n’est plus question ici de débat d’idées sur des sujets concrets relatifs au bien commun. On ne parle pas de la ratification du CETA, de la réforme des retraites, de la lutte contre les passeurs esclavagistes en Méditerranée, de la violence et de la criminalité qui sévissent dans nos rues, ni même de la dette publique ayant atteint les 100% du PIB. Quand on parle de la posture vestimentaire du porte-parole du gouvernement ou d’un discours à l’Assemble nationale de Greta Thunberg, nous ne sommes plus du tout dans le monde de la raison, du débat rationnel, mais dans celui de l’émotionnel, de l’emblématique, du sacré. Il n’est donc plus question d’échanger des arguments ou de livrer une bataille des idées. La question n’est plus celle du débat rationnel.  Il faut croire, adhérer, se soumettre ou disparaître, un peu comme dans une logique totalitaire. L’adversaire, celui qui garde ses distances avec la nouvelle foi ne doit pas être convaincu :il doit être combattu, par l’invective, l’insulte, l’opprobre et détruit par l’humiliation et la honte. Twitter est bel et bien l’outil de cette nouvelle inquisition. Tous les secteurs sont concernés dès lors qu’ils touchent à cette idéologie post nationale et post Etat : une économie start up, l’écologisme planétaire avec ses excès (rejet de l’avion, véganisme), le libre arbitre individuel sans contrainte. 

Cette montée du dogme ou de l'appartenance, sans rationalité, est-elle dangereuse pour la démocratie ?

Yves Michaud : Bien sûr que c’est dangereux, mais pas seulement pour la démocratie. Je dirais plus encore pour la sociabilité et la fraternité, pour tout ce qui fait le lien social. Et comme la société française (comme la plupart des sociétés européennes d’ailleurs) est parcourue de fractures diverses, ça n’arrange rien. J’ai été très frappé par la manière dont le 14 juillet s’est déroulé : la parade, les incidents dus aux Gilets jaunes puis le soir ceux causés par les binationaux algériens célébrant la victoire de leur équipe de football. Une journée, trois mondes. Et pour couronner le tout, l’absence de discours du Président à la nation le jour de la Fête nationale. Preuve à mon sens claire qu’il ne peut même plus s’adresser à son pays en tant que rassemblement de citoyens...

Cette posture semble caractéristique de la vie politique moderne, dans laquelle les idéologies ont disparu. Le fait que cela s'accentue depuis 2017 semble-t-il lié selon vous au vide idéologique caractéristique du positionnement politique de LREM ?

Maxime Tandonnet : En effet, le parti LREM est particulièrement représentatif de ce nouveau monde politique. C’est un composite de personnalités venues d’horizons idéologiques divers, avec, il faut quand même le souligner, une forte dominante de socialistes reconvertis. En tout cas, LREM se veut ni gauche ni droite. Son identité tient tout entière dans le culte de la personne du président de la République dont il émane à 100%. Je ne parlerais pas de « vide idéologique », mais au contraire, d’une nouvelle idéologie.  Pendant les deux premières années du mandat, l’idéologie de LREM tenait, à l’image de la campagne présidentielle, un mélange de proclamation d’exemplarité et de libéralisme économique ou sociétal. L’exemplarité a fait long feu avec la multiplication des polémiques et des scandales. Le libéralisme économique ne peut plus être sérieusement revendiqué notamment depuis les Gilets Jaunes et l’aggravation brutale des déficits publics qui en a résulté. LREM, en échec face au monde des réalités, est désormais entraîné dans une spirale idéologique au centre de laquelle se trouve le dépassement de l’Etat-nation, de ses codes et de ses valeurs, et l’écologisme radical à travers par exemple l’hommage rendu à Greta Thunberg. 

Alors que LREM entendait sortir de "l'entre-soi" et s'ouvrir à la société civile, le renouvellement de des postes-clés de LREM le 23 juillet – où peu de changement est prévu- ainsi que les dîners de De Rugy avec une certaine élite de la société civile semblent montrer que le parti présidentiel ne s'ouvre pas à l'entièreté de cette société. Ce comportement, ainsi que l'arrivée de Greta Thunberg – qui est une sorte de lobbyiste du climat – montrent-ils également une sorte de régression de la culture démocratique ?

Yves Michaud : LREM et Macron n’ont rien changé et sont profondément dans l’entre-soi, avec, ce qui est pire, l’idée que les autres sont des ennemis. Alors on se nomme entre soi, se promeut entre soi (les nominations de Macron sont d’une partialité exemplaire), dialogue « entre soi ». 

Macron n’est pas seul coupable car depuis...1995 il est question de raccommoder la fracture sociale qui est devenue entre temps « les fractures sociales ». Sauf que Macron non seulement ne fait rien mais accentue cette fermeture. En fait c’est un homme de réseau et le reste ne lui importe pas. Il est un excellent manœuvrier, calculateur et mesquin à souhait, pas un homme d’État. L’affaire de Rugy a été exemplaire : on y apprend que la tâche professionnelle légitime d’un haut personnage de l’État – et de sa femme – consiste à recevoir le beau monde des médias et des people pour promouvoir son image. C’est au demeurant ce que Macron a lui-même fait quand il préparait sa candidature. Je me fiche complètement que Lucchini, Houellebecq et Minc trouvent Macron intelligent. Je préférerais que ce denier eût un peu d’envergure personnelle - et plus encore d’envergure de vision. Quand la vision vient d’une agitée comme la petite Thunberg ou d’un affairiste comme Bono, c’est qu’il n’y a plus de vision. Ou alors au sens de Bernadette Soubirou.

Maxime Tandonnet : La question de la démocratie n’est pas centrale dans la nouvelle politique incarnée par LREM. Que reste-t-il du « pouvoir du peuple » ? Un mot vidé de sa signification, évidemment. Officiellement, la démocratie demeure le pilier de la vie publique, son principe fondamental. Dans les faits, il n’en est rien. Le peuple est devenu une valeur plutôt négative qui s’exprime dans le recours permanent à l’insulte de « populiste ». Pour la politique moderne, le peuple n’a pas à être écouté, mais instruit, éduqué ou rééduqué. Il pense « mal » sur tous les sujets : la mondialisation, l’Europe, l’immigration, l’écologie, l’économie, la sécurité, l’Etat. Dans ce « nouveau monde », il existe une vérité post nationale, portée par une infime minorité de sachants, d’experts, d’idéologues, qui doit s’imposer par tous les moyens. LREM est parti à l’avant-garde de la post démocratie. Son soutien dans l’opinion, tel qu’il s’est exprimé lors des élections européennes dépasse à peine les 10% du corps électoral. Mais cette infime minorité tient tous les leviers du pouvoir central : Elysée, Matignon, gouvernement, majorité à l’Assemblée nationale.  En effet, LREM incarne aussi la maladie de la culture démocratique française. Faire revivre cette démocratie française est cependant l’enjeu crucial de l’avenir. 

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