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Ces réseaux sarkozystes qui ont aidé à faire élire Emmanuel Macron
©ludovic MARIN / POOL / AFP

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Dans "Le Grand Manipulateur" (Stock), Marc Endeweld dresse le portrait d'Emmanuel Macron et raconte son ascension, dans laquelle il a bénéficié de nombreux réseaux issus de "l'ancien monde".

Marc Endeweld

Marc Endeweld

Marc Endeweld est journaliste indépendant, ancien grand reporter à Marianne. Il a publié plusieurs ouvrages dont "Le grand Manipulateur" (Stock, 2019) et L'ambigu Monsieur Macron (Flammarion, 2015).

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Atlantico : Dans votre livre, Le Grand Manipulateur (Stock) vous dressez le portrait d'Emmanuel Macron et racontez son ascension, dans laquelle il a bénéficié de "réseaux strauss-kahniens" et des vieux loups. Ce portrait casse l'image "nouveau-monde" d'Emmanuel Macron pour en faire un produit porté au pouvoir par "l'ancien monde". De par son parcours et ses soutiens Emmanuel Macron n'est-il qu'une version rajeunie de ce que les Français rejetaient avant son élection ?

Marc Endeweld : Mon nouveau livre n’est pas qu’un portrait de l’homme Emmanuel Macron. C’est une enquête de plusieurs mois sur les réseaux politiques, économiques, financiers, qui lui ont apporté de l’aide à un moment ou à un autre dans son ascension fulgurante. Je me suis demandé comment un novice en politique avait pu aussi facilement prendre le contrôle de l’Etat, y compris dans les domaines de la Défense ou de la sécurité, deux sujets régaliens que Macron connaissait assez peu avant son arrivée à l’Elysée. L’idée était donc de cartographier tous les leviers que Macron utilise pour asseoir désormais son pouvoir.

Dès novembre 2015, je publiais L’Ambigu Monsieur Macron, premier ouvrage sur le futur président, dans lequel je décortiquais ses ambitions politiques, anciennes, mais aussi son parcours depuis son enfance, ses premiers pas dans le pouvoir économique parisien (notamment chez Rothschild, à la commission Attali, etc). Dans cette première enquête, j’annonçais que celui qui n’était alors que ministre de l’Economie de François Hollande envisageait de se présenter à l’élection présidentielle... dès 2017. Ce qui était alors, dans l’esprit de beaucoup, une folie, car Macron ne disposait d’aucun parti. On connaît la suite…

Vous avez raison de dire que ma nouvelle enquête va à l’encontre du storytelling du « nouveau monde » que les communicants autour de Macron avaient imaginé dès sa présence à Bercy. Car, en l’absence d’un parti politique traditionnel, je démontre, après enquête, que le futur président a utilisé de très vieux réseaux de la République pour conquérir l’Elysée. En effet, sans expérience politique, il n’a pas eu le temps de constituer ses propres réseaux. Dans un contexte un peu particulier - l’affaire Fillon et le renoncement de Hollande à concourir -, l’ensemble des réseaux transversaux - qui avaient l’habitude de travailler pour la droite comme la gauche -, ceux du grand commerce international, de la « françafrique », des industries d’armement, des sociétés de sécurité, des entreprises publiques, se sont empressés de proposer leurs services à Macron au cours de la campagne présidentielle. Comme me l’a souligné récemment un interlocuteur, suite à « l’effraction politique » de Macron, tous les réseaux de la droite comme de la gauche sont allés à Canossa ».

Sans complexe, Macron qui se présentait alors comme un homme qui s’est fait tout seul, qui ne doit rien à personne, les a tous utilisés, et sans faire le tri. C’est dans ce contexte qu’il faut replacer l’affaire Benalla. En réalité, il n’y a pas d’un côté les « méchants réseaux » de l’ancien chargé de mission de l’Elysée, et de l’autre un président du « nouveau monde » qui serait vierge de toute compromission, comme les communicants ont essayé de l’insinuer dans l’opinion publique depuis les révélations estivales du Monde. Mon livre révèle par exemple les réseaux africains de Macron, en Algérie, ou au Congo-Brazaville.

L’affaire Benalla est donc d’abord une affaire Macron, qui met en lumière des hommes de l’ombre, dans la plus pure tradition de la Vème République des cabinets noirs. De ce point de vue, les sénateurs qui ont enquêté sur l’affaire Benalla ont raison de dire que celle-ci n’est que le « haut de l’iceberg ». Cela n’est guère étonnant car, en luttant contre les technos quadras et quinquas des partis politiques traditionnels, PS comme LR, et en les contournant, Macron n’a pas uniquement utilisé de jeunes pieds nickelés, dont le manque de professionnalisme et l’amateurisme ont frappé tous les commentateurs politiques, il s’est également appuyé sur la génération précédente, issue notamment de la cohabitation Mitterand-Balladur dans les années 1990. Une génération politique dont la pratique du pouvoir, fondée sur l’opacité et la realpolitik, cadre mal effectivement avec l’image du « nouveau monde », et de la « République exemplaire ». Dans sa pratique du pouvoir, Macron est en fait un anachronisme, c’est un jeune vieux.

L'influence de ces réseaux dans l'ascension d'Emmanuel Macron peut laisser entrevoir l'image d'un homme de paille. Selon vous, le président est-il en dette auprès d'autres personnes ? Le terme caricatural "président des riches" aurait-il un fond de vérité ?

Sous la Vème République, les réseaux de l’ombre ont toujours existé. Certains analystes utilisent l’expression « l’Etat profond », que je n’emploie pas dans le livre, car renvoyant à une référence américaine. Mais dans la situation actuelle, ce qui change tout, c’est qu’en l’absence d’un véritable parti politique qui fonctionnait dans « l’ancien monde » comme un relatif contre pouvoir vis-à-vis du pouvoir élyséen, les réseaux ont pu, et peuvent toujours, avoir un accès direct à la personne d’Emmanuel Macron, qui centralise toutes les décisions, avec son secrétaire général, Alexis Kohler. Ce qui est problématique, car cela se fait sans aucun contrôle. Potentiellement, la fonction présidentielle peut être atteinte. C’est aussi pour cette raison qu’Emmanuel Macron apparaît à la fois aussi entouré et, en fait, si seul. L’Elysée est aujourd’hui une voiture sans amortisseurs sur un chemin cabossé. Dès qu’un scandale survient comme l’affaire Benalla, Macron est ébranlé.

Cette situation est d’autant plus sensible que le président est bien décidé à rester longtemps au pouvoir. Son objectif depuis qu’il s’est engagé dans la course présidentielle dès 2015, est donc toujours le même : assécher la concurrence, notamment d’un point de vue financier et logistique. Il existe donc actuellement une guerre sourde pour le contrôle effectif de l’Etat, et dont les vieux réseaux sont le théâtre.

Bien sûr, Emmanuel Macron a bénéficié de nombreux soutiens dans les sphères économiques dont il est issu avec son passage à la banque Rothschild, mais les grands patrons, pour certains propriétaires de presse, même s’ils ont largement bénéficié des décisions économiques et fiscales d’Emmanuel Macron, n’ont pas suffi à son ascension politique. Aussi parce que ces derniers sont aujourd’hui un pouvoir en soi, et qu’ils pouvaient soutenir d’une manière indifférenciée Macron comme Fillon, mais aussi parce que certains d’entre eux à l’époque soutenaient François Fillon ou sont restés fidèles à François Hollande. Ils ont néanmoins joué leur rôle, notamment Xavier Niel ou Bernard Arnault, mais aussi la famille Bolloré au moment de la campagne, tous exprimant leur soutien à ce président si « pro business ».

Du côté de la personnalité d'Emmanuel Macron, on découvre un caractère brutal, notamment via le cas de l'ancien secrétaire général de l'Elysée Jean-Pierre Jouyet, rejeté sèchement par le clan Macron. Cette "brutalité"  transparait-elle dans sa politique ? Explique-t-elle certaines postures ou déclarations, souvent jugées choquantes par les Français ? 

Lors de mon enquête, une phrase revenait constamment parmi mes nombreux interlocuteurs : « Macron séduit, utilise et jette ». Jean-Pierre Jouyet qui n’a pas cessé de le soutenir depuis son passage à l’ENA en a fait la mauvaise expérience, comme je le raconte dans mon livre. Il n’est pas le seul.

Contre François Hollande, mais aussi contre les puissants réseaux de Manuel Valls dans la défense et la sécurité,  Emmanuel Macron n’a pas hésité à utiliser tous les réseaux de la droite, et notamment une bonne partie des réseaux de la Sarkozie. Le rapprochement entre l’actuel président et l’ancien président, que l’on constate depuis quelques mois, trouve en réalité son explication dans les proximités qu’Emmanuel Macron a cultivé depuis son passage de la banque Rothschild, et par le « réseautage » qu’il a exercé avec sa femme, Brigitte Macron, dès son arrivée à l’Elysée comme collaborateur de François Hollande. Sans complexe, dans son ascension, Macron a utilisé une partie des réseaux de Nicolas Sarkozy, et de la droite. Aujourd’hui, comme durant la dernière ligne droite de la campagne, ces deux grands fauves de la politique sont en réalité « alliés objectifs ». Ils s’instrumentalisent mutuellement, mais s’entraident également, alors même que Nicolas Sarkozy fait l’objet de plusieurs mises en examen par la justice.  Résultat, après plus de dix ans « d’anti-sarkozysme » dans l’espace politique, porté notamment par les socialistes ou par François Bayrou, le discours sur la moralité politique, et la lutte contre la corruption, s’est trouvé, dans les faits, remis au placard par le « en même temps ». Par ambition politique, mais aussi par souci d’efficacité économique, Macron n’a que faire de nettoyer les vieux réseaux, et de transformer durablement les mauvaises habitudes de la pratique du pouvoir à la française, dans le cadre de notre monarchie présidentielle à bout de souffle. Un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy me confiait il y a quelques mois qu’au delà d’une crise politique, on assistait à une « crise de régime ». Dans ce contexte, l’ancien président de droite, l’homme du Fouquet’s n’a pas dit son dernier mot, et ne cesse de confier à son entourage qu’il pourrait revenir au pouvoir.

Après bientôt deux ans au pouvoir, les langues commencent à se délier, mais je suis frappé de constater la crainte, voire la peur, que suscite Macron dans son entourage à l’Elysée, ou parmi ses soutiens. Comme Mitterrand, il jongle entre des réseaux opposés, joue à les mettre en concurrence, pour mieux les neutraliser. Ce machiavélisme politique réduit à la manipulation managériale a trouvé ses limites avec la réaction des Français, et la montée de la contestation sociale à travers le mouvement des gilets jaunes. Ce qui est intéressant, voire inquiétant, c’est que son mépris, sa distance, ressentis par de nombreux français, ont été également ressentis au coeur même du pouvoir et des élites. Ils sont de plus en plus nombreux, y compris dans le patronat, à être déçus par la pratique du pouvoir totalement verticale d’Emmanuel Macron.

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