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Ce double effet de blast sans lequel Emmanuel Macron ne pourra pas apaiser la France
©BERTRAND GUAY / AFP

L’adresse à la nation

Emmanuel Macron doit s'exprimer ce lundi soir avec pour but de mettre un terme à la grogne des gilets jaunes. Mais au-delà des annonces, Emmanuel Macron doit se souvenir pourquoi il a été élu avant d'envisager une solution à la crise de société que traverse son pays.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Emmanuel Macron s’est fait élire en comprenant deux éléments fondamentaux du rapport à la politique des Français. 

D’une part, ceux-ci ne croyaient plus ni à la sincérité ni à l’efficacité potentielle des discours de la gauche ou de la droite dites de gouvernement. D’autre part, les Français ne se sentent plus ou très mal représentés. On leur pose des questions au moment des élections, ceux qui votent encore y répondent mais d’une certaine manière, ce ne sont pas vraiment les questions qui les intéressent. Et quand, par extraordinaire, on les consulte par référendum comme en 2005, si la réponse donnée déplaît, les élites passent outre. 

Attaché à la figure du Roi, Emmanuel Macron s’est forgé un caractère et sculpté une statue en réaction à ses prédécesseurs plus qu’il ne s’est intéressé aux Français. Jupiter surdoué, jeune et beau gosse, il ne voulait pas être comme les présidents « du monde d’avant » mais n’a pas cherché à véritablement intégrer les Français dans son nouveau monde. Avec 18 mois de recul, on mesure de ce point de vue à quel point « La République en marche » n’a en rien délivré les promesses qu’étaient censés porter les marcheurs. 

François Hollande faisait un peu de tout et (beaucoup) de rien et noyait dans sa propension à préférer le commentaire à l’action le reste de la puissance politique encore concentrée à Paris (par opposition à celle que nous partageons à Bruxelles ou qui nous échappe face aux marchés financiers ou aux multinationales). Nicolas Sarkozy avait sauvé la France de l’effondrement financier en 2008 mais peiné à traduire sa promesse de transformation du pays au-delà du séisme infligé aux lignes de front du politiquement correct. On sous-estime souvent le degré auquel il a su les faire bouger, libérant pour ses successeurs des marges de manœuvre intellectuelle à défaut d’avoir su les exploiter lui-même, rebelle entravé par sa quête de respectabilité. Jacques Chirac avait un grand sens du politique mais au soir de sa carrière, avait tellement -trop- intégré la manière dont on ne doit pas brusquer les Français pour durer qu’il était devenu le roi fainéant dénoncé par son successeur. Celui qui s’était illustré sur la scène internationale par sa sagesse concernant la guerre en Irak a fini son mandat « désaimé » par un peuple de droite ayant commencé à réaliser l’impact de la mondialisation et des flux de population et de capitaux sur leurs conditions de vie. 

Sur ces constats, Emmanuel Macron s’est confectionné un anti-manuel politique synthétisant les erreurs du passé. Surfant sur l’épuisement idéologique de la gauche et de la droite, le candidat en marche a eu la finesse de sortir des postures stériles dans lesquelles PS ou LR s’étaient enfermés. 

Les deux grands pôles de stabilité de la Veme République s’étaient chacun abîmés. Du côté de la gauche, le PS s’est perdu dans les sables d’un logiciel correspondant à celui du think tank Terra nova et consistant à chercher un peuple nouveau auprès des minorités ethniques, culturelles ou sexuelles faute de retenir encore l’attention du peuple original et originel. Les intuitions ou les pulsions contraires de Manuel Valls ayant contribué à brouiller encore un peu plus les lignes plutôt qu’à clarifier la situation. 

Du côté de la droite, l’UMP devenue Les Républicains s’est abandonnée -pour sa composante qui bouge encore en tous cas- à une ligne Buisson ayant compris que l’insécurité culturelle et l’identité pouvaient être de puissants moteurs électoraux mais oubliant que les racines du peuple de droite demeuraient largement libérales (au sens de la liberté d’agir en dehors de la tutelle et du poids du monstre étatique français). La détestation maurassienne de l’argent et du capital a vécu sa divine surprise 2.0 avec la grande crise de 2008 -dont on peine encore a mesurer à quel point elle a été une sorte du chute silencieuse du mur de Berlin pour le capitalisme version financière et mondialisée- mais elle n’était qu’une illusion. Les Français sont épris d’égalitarisme mais beaucoup trop gaulois et allergiques aux carcans réglementaires pour vraiment renoncer à la liberté qu’apporte l’économie de marché quand elle n’oublie pas l’humain. 

Et encore, ces inspirations « terra-novesques » à gauche et « buissonnienne » à droite ont-elles permis d’empêcher leurs camps respectifs de sombrer dans le profond coma intellectuel dans lequel les aurait entrainé le reste des troupes en présence. 

A ses deux intuitions majeures consistant à remettre la question économique et sociale au cœur des débats et entreprendre un chantier de renouvellement complet de la représentation des Français, Emmanuel Macron n’a malheureusement pas su donner un contenu compréhensible correspondant à l’état réel du pays. 

Marquée par l’incroyable feuilleton de l’affaire Fillon et par l’absence de véritables débats de fond, la campagne présidentielle 2017 lui a permis de se faire élire en promettant une différence dont le contenu était plus suggéré que détaillé. Tout étant allé tres vite, le programme du candidat Macron manquait de maturation et lui-même peut-être de maturité. N’ayant, autant qu’on puisse en juger, jamais véritablement souffert, Emmanuel Macron n’a pas perçu à quel point sa rhétorique des premiers de cordée et sa vraie fausse théorie du ruissellement heurtait des classes moyennes et populaires saisies par l’angoisse sur leur avenir et celui de leurs enfants. Que ce soit pour des raisons intellectuelles, sociales ou émotionnelles, tous les Français ne peuvent pas être les entrepreneurs de leur propre vie. Et ceux qui le peuvent ne le veulent d’ailleurs pas nécessairement. Comment être en permanence à 100% de l’utilisation de ses capacités face aux aléas et les tourments de la vie ? La culture européenne est précisément celle de la protection de l’Etat-providence et la vision macronienne de la société est de ce point de vue une erreur anthropologique et une aberration culturelle.  

Atlantico ayant été parmi les tous premiers médias à travailler il y a 7 ans déjà avec Christophe Guilly sur la thématique de la France périphérique bien avant qu’elle soit à la mode, nous pouvons d’autant mieux en mesurer les limites aujourd’hui. L’insécurité économique est majeure dans la France rurale ou péri-urbaine mais elle est aussi présente en sourdine dans la France des métropoles. Comment expliquer autrement l’incroyable proportion (70 à 80%) des Français éprouvant de la sympathie pour les Gilets jaunes ? Les cadres supérieurs aussi constatent que leurs niveaux de revenus ou de formation ne sont en rien des garanties absolues contre la dureté et les retournements du monde du capitalisme financiarisé et mondialisé. 

A ces constats, deux conclusions : 

- Emmanuel Macron a tellement brusqué les Français qu’il ne pourra faire l’économie d’un véritable effet de blast social et de pouvoir d’achat. Pour accepter de croire à la sincérité gouvernementale de rétablissement du dialogue, les Gilets jaunes n’accepteront pas un catalogue de mesures techniques et ce qu’on a pu lire ou entendre ici ou là ce dimanche sur les pistes envisagées par l’exécutif (comme l’accélération de la suppression de la taxe d’habitation ou la revalorisation du minimum vieillesse) laisse craindre, une nouvelle fois, un effet de « trop tard, trop peu ». Pourtant, et sans sombrer dans le grand n’importe quoi gauchiste refusant les contraintes de l’économie de marché, les marges de manœuvre budgétaires pourraient être beaucoup plus importantes que semble le penser le gouvernement. Idem pour les marges de manœuvre macro-économiques qui permettraient d’entamer un véritable virage de la croissance.

- les Français n’en peuvent plus de ne pas être représentés par leurs élites et d’être contraints d’arbitrer à chaque consultation électorale entre des questions et des programmes qui ne sont pas nécessairement ceux qui les intéressent le plus. Ils n’en peuvent plus non plus de la trahison de ces clercs qui n’ont plus pensé le monde actuel mais continuent à leur asséner leurs certitudes technocratiques avec morgue. À trop avoir joué avec le feu de la « censure » démocratique, les élites ayant voulu étouffer les débats qui leur font peur ne pourront plus les éviter si elles veulent retrouver une crédibilité démocratique, qu’il s’agisse de réfléchir a ce que doit être l’Europe, la gestion des flux migratoires, les règles du libre échange international ou la libre circulation de capitaux permettant les stratégies les plus égoïstes de sécession fiscale aux plus riches. Plusieurs études sociologiques et politiques menées au niveau international ont montré à quel point, les centristes et les « raisonnables » étaient devenus les moins démocrates des électeurs occidentaux. Quand leur vérité leur paraît être menacée par les élections, ils bouclent le système jusqu’à en exclure tous les déplaisants. Mais la réalité se venge toujours. Trump, Brexit et populismes en pagailles le prouvent abondamment. 

Que cela passe par des référendums, des conférences citoyennes voire des états-généraux, les tabous politiques doivent être levés et la représentation des Français enfin revitalisée. La réforme institutionnelle envisagée - si tant est qu’elle ne soit pas mort-né - n’est absolument pas à la hauteur de l’enjeu. Là aussi, les Gilets jaunes ne se contenteront pas de belles promesses et il faudra un véritable effet de blast politique pour sauver notre système représentatif des illusions de la démocratie directe. 

N’en déplaise aux vestiges d’un (très) ancien monde qui conseille au gouvernement de se tenir droit dans ses bottes pour sauver une France qui crève de ne pas s’être reformée, on ne gouverne pas un pays contre le peuple qui le constitue. Pas plus, n’en déplaise aux Gilets jaunes les plus coupeurs de têtes, qu’on ne le transforme contre ses technocrates.

Emmanuel Macron qui a su incarner une forme de populisme soft - ou chic - serait bien inspiré d’aller enfin au bout de la logique des deux intuitions qui l’ont fait élire s’il veut se donner une chance de sauver son quinquennat et de ramener la concorde dans le pays. 

« Mes chers compatriotes, 

Je me suis fais élire sur une double promesse, celle de la relance de notre économie et du refus du déclin et celle de la revitalisation de notre démocratie. 

Je suis toujours fermement décidé à les tenir. Je sais que nous avons parfois manqué d’audace ou d’écoute et pêché par abus d’optimisme et arrogance en ne prenant pas la pleine mesure de la situation économique et sociale dans laquelle un grand nombre d’entre vous se trouvent. Inutile de faire la liste de mes erreurs, j’ai bien entendu que vous la maîtrisiez mieux que ce que je pourrais faire. 

Dans le fil de mes engagements lors de la campagne présidentielle, le moment est en revanche venu de passer à la vitesse supérieure pour construire le nouveau pacte social qui nous permettra ensemble de reprendre le contrôle de nos destins afin qu’aucun des travailleurs de ce pays, en activité ou retraité, ne se trouve humilié par des conditions de rémunération indignes. Et qu’aucune catégorie de citoyens ne se sente exclue de nos grandes décisions politiques.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de… »

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