La Cour des comptes s’alarme de notre aveuglement face à la menace du réchauffement climatique sur les côtes françaises. Concrètement, que faire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L'impréparation est telle que "de nombreux territoires fortement affectés par l'érosion côtière ne sont toujours pas couverts par un plan de prévention des risques littoraux".
L'impréparation est telle que "de nombreux territoires fortement affectés par l'érosion côtière ne sont toujours pas couverts par un plan de prévention des risques littoraux".
©Anne-Christine POUJOULAT / AFP

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Dans un rapport, la Cour des comptes alerte sur une connaissance imparfaite mais déjà préoccupante de l’érosion du littoral français.

Isabelle Thomas

Isabelle Thomas

Isabelle Thomas est professeure titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture du paysage de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. Vice-doyenne à la recherche et directrice de l’équipe de recherche ARIaction (Notre équipe | Ariaction)

 

Ses réalisations s’arriment à la recherche centrée sur l’urbanisme durable, sur la planification environnementale ainsi que sur les enjeux de vulnérabilité, de gestion de risques et d’adaptation aux changements climatiques pour construire des communautés résilientes face aux risques naturels et anthropiques.

Depuis son arrivée en 2007 à l’université de Montréal, Mme Thomas a été associée à de nombreux projets de recherche où elle a agi en tant que chercheuse principale ou co-chercheure, en particulier avec la collaboration du Ministère de la sécurité Publique et Ouranos. Ses contributions les plus importantes concernent l’élaboration d’une méthode d’analyse de la vulnérabilité sociale et territoriale aux inondations en milieu urbain. Elle s’investit également dans les stratégies concernant la construction innovante de quartiers résilients. Ses résultats se situent au carrefour de la recherche-action et de la recherche fondamentale. Le dernier livre qu’elle a codirigé : La ville résiliente : comment la construire? (PUM) explique les conditions fondamentales pour établir des collectivités résilientes. Elle a créé en 2020 l’équipe de recherche ARIACTION (ARIACTION.com) qui permet de constituer un réseau d’experts locaux et internationaux visant en particulier à un partage de connaissances des meilleures pratiques en termes d’aménagement résilient du territoire.

Ses derniers livres : 

Vers une architecture pour la santé du vivant - Les presses de l'Université de Montréal (umontreal.ca)

Ville résiliente (La) - Les presses de l'Université de Montréal (umontreal.ca)

Voir la bio »

Atlantico : Dans un rapport, la Cour des comptes alerte sur une connaissance imparfaite mais déjà préoccupante de l’érosion du littoral français. Cette dernière s’inquiète sur l’insuffisante préparation de la France aux conséquences de cette problématique. Quelle mesure le pays devrait prendre immédiatement pour anticiper ce problème ?    

Isabelle Thomas : Afin de pouvoir mener des actions stratégiques, résilientes et réfléchies, il est nécessaire d’avoir des données actualisées tant sur l’érosion côtière, la submersion marine, la subsidence, et quand cela s’applique, l’inondation fluviale. Les enjeux concernant le littoral intègrent un caractère très complexe. Ainsi, il s’agit souvent d’une combinaison de plusieurs phénomènes, comme en témoignent les événements récurrents sur les côtes françaises.  

Il est indispensable de comprendre et de prendre en compte les différents aléas, dont la combinaison peut mener à des catastrophes. Pourtant, les cartes de zones inondables, impliquent seulement les données d’inondation en eau libre. Il faut absolument prendre en compte dans les analyses les autres types d’aléas, pour pouvoir poser des actions ayant une réelle pertinence sur le long terme. Les ouvrages de protection (OPI) et leurs possibles bris, doivent également être intégrés dans l’équation. L’exemple de Baie-Saint-Paul au Québec, et de la catastrophe du 1er mai 2023 témoignent du besoin de prendre en compte les différentes caractéristiques des aléas sur le territoire : submersion marine, érosion côtière et inondation fluviale. La loi climat et Résilience de 2021 implique l’amélioration de la prise en compte du recul du trait de côte dans les cartes, il est ainsi important de mener des analyses multirisques.  

Il convient également, pour comprendre le risque, d’analyser les vulnérabilités sur les territoires. Une érosion et un retrait de côte de dix mètres ou de vingt mètres après une tempête, sur un territoire construit entraînera des dommages aggravés. Il est de mise d’avoir une analyse approfondie des infrastructures qui sont dans ces zones à risque.

Pour pouvoir concevoir des stratégies adaptées aux territoires, il faut donc en connaître les risques, les aléas et les vulnérabilités. À Baie-St-Paul par exemple, la fermeture de plusieurs ponts a isolé certains quartiers. Une garderie et plusieurs maisons, de même qu’ un quartier patrimonial, ont été touchés.  

Ensuite, la question qui se pose est : que fait-on avec ce territoire ? Comment travailler sur sa métamorphose, sa transformation ?  

Afin de faciliter l’acceptabilité politique et sociale, la sensibilisation de la population est un élément-clé. Nous sommes dans une ère de grands changements, il est urgent que les citoyens soient informés. Quand ils doivent faire face à d'éventuelles relocalisations par exemple, il s'agit de véritables deuils qui sont très difficiles parce que c'est une transformation majeure de leur mode de vie, de leur qualité de vie. Une sensibilisation transparente par rapport à ces enjeux, est ainsi fondamentale et elle fait partie des responsabilités de l'État et des collectivités.  

Si nous ne prenons pas les mesures qui sont nécessaires, quelles conséquences l'érosion du littoral aura sur les populations concernées ?  

Les conséquences pourraient être catastrophiques. Les pires seraient de mettre ou de laisser les populations en danger. Le plus important est ainsi d'assurer la sécurité des personnes et des biens. Les retours d’expériences (REX) sont primordiaux afin de tirer les leçons des catastrophes passées. Les REX sur la tempête Xynthia de 2010 ont permis de réaliser les enjeux sur le territoire de la côte atlantique et de prendre acte des mesures à mettre en action.  

Le Ministère de la Sécurité publique au Québec (MSP) mène, en collaboration avec mon équipe (ARIAction.com) des retours d’expériences pour tirer les leçons des événements, comprendre les enjeux, émettre des recommandations et passer à l’action. 

Ces apprentissages permettent de montrer par exemple qu'il faut avoir des stratégies d’adaptation avec différents types d'outils. Ces actions impliquent parfois des infrastructures (OPI) qui peuvent être inévitables quand les territoires sont déjà urbanisés. Il faut néanmoins favoriser les solutions basées sur la nature de même que sur la métamorphose urbaine. Ces stratégies doivent être pensées en intégrant plusieurs échelles spatiales et temporelles. Cette métamorphose urbaine implique parfois un repli ou, quand les conditions sont sécuritaires, une adaptation du cadre bâti.  

Si vous regardez par exemple des villages comme Les Boucholeurs, qui a été très touché par la tempête Xynthia en France, tout un ensemble de stratégies d’adaptation a été réalisé, impliquant le repli, l’adaptation du cadre bâti, le renforcement des digues et la re-naturalisation et la protection des marais. L’Île d’Oléron présente également plusieurs exemples de réaménagements résilients. C’est la sensibilisation de la population qui doit accompagner ces projets afin de renforcer la culture de la résilience. 

Les catastrophes sont susceptibles d’arriver si on ne prend pas acte de l'évolution actuelle du territoire et des collectivités et si on refait les mêmes erreurs. Il est fondamental de mener un grand changement des pratiques et accepter les risques. Cette transformation, si on arrive à bien la réaliser, peut se traduire en opportunité de réaménager intelligemment les territoires. Il convient de mener une recomposition spatiale intelligente qui fasse que, les citoyens peuvent continuer à voir la mer, mais peut-être la voir de plus loin, comme cela, elle n’atteindra pas les maisons. Ces projets de réaménagements résilients impliquent un courage et leadership politique pour générer un changement constructif, ce que fait actuellement la ville de Maria en Gaspésie, Québec. 

Quelles sont les mesures prises par la région Nouvelle-Aquitaine saluées par la Cour des comptes ? Les autorités doivent-elles s’en inspirer ? 

Je trouve que la région de la Nouvelle-Aquitaine est vraiment un très bel exemple de leadership et d’actions innovantes. C'est une région qui a pris acte des enjeux liés à la subversion marine et à l’érosion côtière.  

La région est très vaste, il s’agit de 970 km de trait de côte à gérer et donc de territoires avec des réalités diverses. Dès 2012, une stratégie régionale de gestion de la bande côtière a été créée pour donner un cadre aux collectivités afin de construire des stratégies locales tout en établissant des partenariats. Il est important d’avoir une réflexion à l'échelle régionale tout en tenant compte des particularités locales. Les villes de La Rochelle, Châtelaillon-Plage sont des exemples inspirants de mesures résilientes mises en œuvre suite à la tempête Xynthia. Il ne s’agit pas de faire du copier-coller des stratégies, mais d’établir des principes d’actions communs allant vers une même vision. Ces grands principes d'action peuvent ensuite se décliner en projets résilients ayant des résultats complémentaires. Le premier principe, est de développer la connaissance sur le risque et de partager cet apprentissage : renforcer la sensibilisation et la culture du risque. Ensuite, il s’agit de travailler sur la prévention avec différentes stratégies d’adaptation. Il convient de gérer de manière optimale les situations existantes, en se basant sur le territoire avec ses forces et faiblesses. Éventuellement, il est incontournable de mener une recomposition spatiale.  

Travailler aussi sur les mesures d'urgence est également crucial pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Que fait-on en cas de catastrophe ? Donc, travailler sur les alertes, l’intervention et la préparation. 

 Il est aussi utile de développer des programmes de financement, des mécanismes, des formations, assurant la mise en œuvre des projets. Oui, l’adaptation est essentielle, cela dit, il faut s’assurer d’avoir les moyens de ses ambitions et d’accompagner les municipalités et leurs citoyens dans ces changements. On peut avoir de très belles idées, mais elles peuvent rester sur le papier si les processus de mise en œuvre et financements appropriés ne sont pas adéquats. 

Le président de la région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, a le leadership et le courage de réfléchir à des stratégies intelligentes, courageuses favorisant l’adaptation.  Il faut prendre acte des bons exemples sur les territoires et les mettre en valeur. Faire la promotion de ces stratégies résilientes facilite un partage de bonnes pratiques en France ainsi qu’à l’international. Il est important pour un maire et pour sa collectivité de réaliser que certaines stratégies fonctionnent. Au Québec par exemple, certains maires ont le courage d'impulser un changement afin de s’adapter aux risques. Le partage de connaissances et de bonnes pratiques est essentiel pour renforcer la résilience des territoires français et d’ailleurs.   

Le 6 et 7 juin 2024, la Faculté de l’aménagement de Montréal sera l’hôte de l’audacieuse conférence «Villes inondables : Collaborations élu.es – chercheur.es pour la résilience de nos collectivités». Cette conférence accueillera au moins 10 maires et mairesses de France et du Québec et une trentaine de chercheurs et chercheuses.

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