Vladimir Fédorovski : "Poutine est dans une logique de rupture définitive avec l'Occident"<!-- --> | Atlantico.fr
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À quel point Vladimir Poutine est-il dans une stratégie d’intimidation de l’Occident ?
À quel point Vladimir Poutine est-il dans une stratégie d’intimidation de l’Occident ?
©Mikhail Klimentyev / Sputnik / AFP

Annexion

La Russie va entériner ce vendredi 30 septembre l’annexion des territoires qu’elle contrôle en Ukraine lors d’une cérémonie au Kremlin où Vladimir Poutine prononcera un discours. Vladimir Fédorovski, ancien diplomate sous Gorbatchev et écrivain d’origine russe le plus édité en France, décrypte la stratégie d’intimidation de Vladimir Poutine vis-à-vis des puissances occidentales.

Vladimir Fédorovski

Vladimir Fédorovski

Écrivain d’origine russo-ukrainienne le plus édité en France (en 2022, il a publié deux best-sellers : Poutine et l'Ukraine, les faces cachées et Le Roman d'une révolution, Nicolas II-Lénine aux éditions Balland), Vladimir Fédorovski avait un père ukrainien héros de la Seconde Guerre mondiale et une mère russe. Il fut un influent diplomate sous Gorbatchev, promoteur de la perestroïka. Il a également été l'un des premiers fondateurs d'un des partis démocratiques russes, le Mouvement des réformes démocratiques.

Traduit dans le monde entier, il a également Le Roman de Saint-Pétersbourg et Le Roman de Raspoutine, deux best-sellers internationaux. 

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Atlantico : Entre l’annexion annoncée des quatre oblasts ukrainiens (Donetsk, Louhansk, Zaporijia et Kherson), le grand discours de Vladimir Poutine ce vendredi et le sabotage des gazoducs Nord Stream, à quoi faut-il s’attendre ?

Vladimir Fédorovski : Il faut s’attendre à une escalade très dangereuse et les menaces nucléaires sont à prendre au sérieux. Trois scénarios se profilent. Dans un premier scénario, beaucoup de médias mainstream occidentaux estiment que l’Ukraine va gagner la guerre et reprendre la Crimée. Mais scinder la Russie serait insupportable aux yeux des Russes et conduirait à la guerre. Dans un deuxième scénario, les Russes ne s’arrêteront pas là. Mais si les Russes vont jusqu’à Odessa, les Américains ne pourraient pas rester sans rien dire car ils ne supporteraient pas de voir la mer Noire entre les mains de la Russie. Ce sera la ligne rouge à ne pas franchir côté américain. Dans un troisième scénario, on pourrait assister à une sorte de guerre civile, avec des attentats à l’infini des deux côtés. 

Sur un plan purement militaire, l’état-major de l’armée russe veut récupérer le Donbass et négocier dans la foulée. Quant à l’annexion de Kherson et de Zaporijia, c’est intimement lié à la sécurité de la Crimée.  

Le discours de Vladimir Poutine sera assez martial. Il va mettre en scène son discours, en tentant de recréer et d’exploiter le consensus patriotique, mais ce sera très difficile. La guerre en Crimée a marqué les esprits. Il va dire que l’Occident a détruit l’URSS - ce qui n’est pas vrai - et qu’il s’attaque maintenant à la Russie. 

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À quel point Vladimir Poutine est-il dans une stratégie d’intimidation de l’Occident ? 

Vladimir Poutine est dans une logique de rupture définitive avec l’Occident. Mais cela correspond à l’évolution de l’opinion majoritaire russe. À l’époque de Gorbatchev, 90% des Russes étaient pro-occidentaux. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 10%. La population russe ne supporte plus l’abaissement moral et civilisationnel de l’Occident. Sous Pierre le Grand, le tsar domptait le peuple russe pour qu’il s’occidentalise ; j’ai bien peur que les derniers événements soient rédhibitoires et qu’on assiste à une rupture durable entre la Russie et l’Occident. 

Jusqu’où peut-on imaginer qu’il aille ? 

Il va aller jusqu’au bout. Dans le cadre d'un de mes derniers livres, j’ai rencontré celui qui, au sein de la pègre de Saint-Pétersbourg, l’a formé. Il lui disait qu’il fallait aller jusqu’au bout et ne jamais reculer. Vladimir Poutine veut créer deux blocs avec une coopération forte entre la Russie et la Chine. Les transferts de technologie entre les deux sont très importants à l’heure actuelle.

Un scénario d’un isolement à la nord-coréenne est-il crédible ? 

La Russie ne sera pas isolée. C’est un mythe qui se propage dans certaines sphères occidentales. Les réactions de l’Occident après le lancement de la guerre en Ukraine ont convaincu les Russes de se tourner définitivement vers l’Asie. Et regardez même ce qu’il se passe en Afrique : les Africains se coupent des Occidentaux et entament de fortes relations avec la Russie. 

Comment répondre sans faillir ni prendre le risque d’un dérapage généralisé ? 

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Pour répondre à Vladimir Poutine, il ne faut pas se lancer dans la propagande. Et c’est un homme qui a combattu Poutine depuis longtemps qui vous dit ça ! Le discours occidental a repris les codes de la propagande soviétique. Vouloir la tête de Vladimir Poutine sans provoquer une guerre mondiale est une folie. Le président russe ne se laissera pas faire. 

Il y a huit mois, certains Occidentaux affirmaient que les oligarques allaient reprendre le contrôle, mais où sont-ils aujourd’hui ? C’est bien Poutine qui tient les oligarques ! 

Peut-on comparer les tensions entre Occidentaux et Russes à celles qui existaient pendant la guerre froide ? 

Il est difficile de faire un parallèle entre la guerre froide et la situation actuelle. Trois différences majeures peuvent être soulignées : tout d’abord, la compétition était très forte entre les deux mais les contacts étaient maintenus. Ensuite, des accords servaient de fusibles pour prévenir la guerre, notamment sur la limitation des armes. Enfin, il y avait une vraie séparation entre la politique et la propagande. 

Aujourd’hui, les gens mentent et croient à leurs propres mensonges. Nous sommes dans une impasse. Vouloir mettre la Russie à genoux dès le début de la guerre a été une erreur fondamentale, ne laissant rien présager de bon. Depuis le début, on assiste à une escalade lente mais certaine du conflit.

L'adjoint de McNamara, secrétaire d’Etat à la Défense des États-Unis au moment de la crise de Cuba en 1962, m’a dit que s’ils avaient agi de la même manière que les dirigeants d’aujourd’hui, le monde n’existerait plus. L'adjoint de McNamara insistait sur le fait que les dirigeants de l'époque refusaient l'écrasement de l'adversaire.

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Faut-il accepter que le risque s’impose à nous et qu’aucune stratégie d’apaisement ne peut rien y changer ?

J’ai géré de telles crises pendant la guerre froide que je ne peux que vous dire “non”. Il ne faut pas baisser les bras. J’ai risqué ma vie pour la paix à certaines périodes phares sans jamais me résigner. N’oublions pas l’importance du mot “paix” ! D’ailleurs, je suis certain que l’Asie joue un rôle beaucoup plus important que les autres car les pays asiatiques ne souhaitent pas d’un conflit mondial et appellent constamment au cessez-le-feu. 

Vladimir Poutine est-il sur un siège éjectable en Russie ?

Les Occidentaux pensent que la démocratie va s’installer en Russie mais ils se trompent. L’alternative à Poutine, ce ne sont pas les plus-occidentaux, mais au contraire les nationalistes, les plus radicaux. Sur la mobilisation, Poutine n’était pas enthousiaste, mais ce sont les plus radicaux qui l’en ont convaincu. L’offensive de Kharkov a été un facteur déterminant dans la tête des nationalistes. À vrai dire, il n’y aura plus jamais de virage pro-occidental tel que l’on a connu sous Boris Eltsine.

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