Qui s’intéresse au coup de tonnerre sur la médecine du genre pour mineurs après la publication d’un rapport officiel britannique accablant ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Une image d'une manifestation en faveur des droits des personnes transgenres.
Une image d'une manifestation en faveur des droits des personnes transgenres.
©Angela Weiss / AFP

Scandale sanitaire

Au Royaume-Uni, un long rapport du Dr Hilary Cass, commandé par le NHS, appelle à une "grande prudence" face à l'utilisation de traitements hormonaux et de bloqueurs de puberté pour les mineurs transgenres.

Valérie Kokoszka

Valérie Kokoszka est docteur en Philosophie et titulaire d'un Master en management des Institutions de soins et de santé.
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Atlantico : Face à la forte augmentation du nombre d'enfants qui questionnaient leur genre, un rapport a été commandité par le NHS (National Health Service). Quels sont les ressorts et finalités du rapport Cass, qui fait grand bruit au Royaume-Uni, paru le 10 avril ?

Valérie Kokoszka : Le rapport clôt une recherche débutée en 2020 qu’il faut resituer dans son contexte. Il est en effet lié au scandale de la Tavistock Clinic qui accueillait le centre de la NHS spécialisé dans la prise en charge des mineurs présentant une incongruence de genre, démantelé le 31 mars dernier suite à la parution en 2022 du rapport intermédiaire du Dr Hilary Cass, mandatée pour auditer le « Gender Identity Development Service (GIDS) ». On peut se faire une idée de l’émoi que ce rapport a suscité dans la société anglaise en se reportant à l’article « Clinical damage », paru dans le Times (29/7/2022), après la décision du gouvernement de suivre ses recommandations en faveur d’une prise en charge décentralisée et holistique des mineurs. L’article fustige un service débordé par l’accroissement exponentiel des demandes de prises en charge, en manque de personnel, de formation, captif du militantisme, « refusant de questionner la fiabilité des bloqueurs de puberté ». Il dénonce des manquements majeurs : « La Tavistock n'a pas recueilli de données sur les bloqueurs de puberté pour les moins de 16 ans, a refusé de suivre les effets de ses traitements et n'a pratiquement pas prêté attention à d'autres facteurs communs tels que l'autisme, les troubles de l'alimentation ou les antécédents de traumatismes et d'abus. Elle a naïvement confondu l'orientation sexuelle avec l'identité de genre », et a fini assiégée par des parents désemparés auxquels on avait dit qu’une absence « d’accès aux traitements hormonaux avant la puberté pourrait conduire au suicide de leur enfant ». Et de conclure : « Le rapport Cass est épouvantable (appalling) ». 

Le rapport constate une dérive globale aux facteurs multiples et la faillite d’un système qui a échoué à suivre ses propres normes en matière de diagnostic, de prise en charge et de suivi, en mettant en œuvre des protocoles non soutenus par des données probantes. La spécialisation de la Tavistock dans le traitement de l’identité de genre a conduit à ne plus voir les mineurs que sous ce prisme, pré-engageant nombre d’entre d’eux dans un « tunnel médical » en quatre étapes (évaluation diagnostique, prescription de bloqueurs de puberté puis d’hormones féminisantes/masculinisantes, suivie d’intervention chirurgicale la majorité atteinte), dont aucune n’est suffisamment étayée, laissant peu de place à la multiplicité des questionnements quant à l’identité de genre et à la multiplicité des formes que peut prendre une éventuelle transition. L’explosion du nombre de demandes n’a fait que réduire encore l’espace nécessaire à une prise en charge globale et avisée de mineurs vulnérables et en profonde détresse. 

Sur base de ces constats, le rapport Cass[1] entend remettre les pendules à l’heure de la responsabilité médicale et s’affranchir de la toxicité du débat entre les défenseurs de l’identité trans, tenants d’une approche affirmative dans un esprit de justice sociale, et ceux qui y voient une construction idéologique voire un fantasme, pour se focaliser sur ce que devrait être une approche des soins de santé rigoureuse, susceptible d’aider au mieuxenfants et adolescents (Cass Review-Final,12-13, 20). Une approche rigoureuse signifie « fondée sur des données probantes », capables d’informer, orienter et soutenir les patients, parents et cliniciens dans leurs décisions. Mais le rapport n’est pas qu’une revue des données existantes : il s’agit aussi de repenser une prise en charge individualisée et holistique de mineurs dont le profil a changé, fréquemment attirés par les personnes de même sexe, et qui présentent fréquemment d’autres troubles (troubles du spectre autistique, dépression, anxiété, traumatismes, abus psychiques et physiques, etc), en structurant des services de proximité pour faciliter un suivi précoce. Pour ce faire, le Cass Review s’appuie, dans la tradition de la NHS, sur une équipe multidisciplinaire et quatre piliers : a) revue systématique des données disponibles ; b) expérience vécue des acteurs et focus group avec les mineurs concernés ; c) Apports des professionnels et experts cliniques ; d) Sources internationales : évaluation des différentes guidelines existantes et enquête (CRF, 23). 

Quelles sont les leçons et les recommandations du Rapport Cass s’agissant de la prise en charge des jeunes et des adolescents ?

Il faudra du temps avant de tirer tous les enseignements de ce rapport gros de 400 pages, qui constitue la première méta-analyse d’une telle envergure nationale et internationale. Au Royaume-Uni, le monde médical s’accorde à dire que le vent de tempête qui souffle sur la médecine de genre doit être l’occasion d’une révision complète, plus holistique et médicalement plus sûre de la prise en charge des mineurs et des proches. Il souligne la fragilité ou l’absence de données probantes pour soutenir un ensemble de pratiques telles :

- le diagnostic de la dysphorie qui ne permet pas de prédire sa persistance dans le temps long – et semble se résoudre chez nombre d’enfants  ;

-l’utilisation des bloqueurs de puberté selon un protocole (non respecté) d’un essai clinique précoce (2011) passé en routine (2014), malgré des résultats généraux ne montrant pas de bénéfices cliniques ;

- l’usage d’hormones féminisantes/masculisantes pour lesquelles il n’y a pas de données d’amélioration claire tant sur la dysphorie que sur le taux de suicide mais dont on suspecte l’impact négatif potentiel sur la densité osseuse, la santé cardio-métabolique et la fertilité ;

- les transitions sociales et les prises en charge psychosociales ne sont pas plus probantes. (CRF, 25-33) 

Selon les données disponibles, il est ainsi quasi impossible d’avoir une idée correcte de la balance bénéfice/risque des traitements, et l’absence de données de suivi à moyen et long terme (notamment celles des quelques 9000 patients passés par le GIDS et entrés dans la médecine de genre pour adultes) ne permet pas une meilleure anticipation. 

Par ailleurs, le rapport Cass égratigne les guidelines internationales qui, à l’exception des protocoles finnois de 2020 et danois de 2022, ne suivent pas les standards appropriés pour l’émission de guidelines. Deux d’entre eux, WPATH 7 et Endocrine Society 2009 manquent de rigueur mais influencent la quasi-totalité des guidelines disponibles (CRF, 28) 

Pour réformer un accompagnement fondé sur des « bases branlantes », le rapport Cass préconise la formation des personnels notoirement déficiente, une prise en charge décentralisée (centres régionaux), multidisciplinaire et holistique, avec évaluation complète de chaque enfant, plan de soin individualisé et suivi psycho-social qu’il y ait ou non un traitement médical à engager. L’usage des bloqueurs n’est pas rejeté mais, comme en Suède et en Finlande, restreint au cadre clinique, assurant un suivi à long terme (sous réserve de consentement), de même pour les hormones féminisantes/masculinisantes désormais conditionnées à un fort rationnel médical, et préférablement après 18 ans, le tout sur évaluation d’un comité multidisciplinaire.[2] Il s’agira donc aussi de maîtriser, et ce ne sera pas simple, les prescriptions privées et de contrôler les réseaux parallèles de fourniture de traitements hormonaux.

L’objectif est à la fois d’assurer une prise en charge globale, et d’établir au fur et à mesure, en les documentant, les meilleurs soins selon les profils des individus et les données de suivi acquises. En résumé, de refondre la prise en charge pour répondre au mieux aux besoins des mineurs.

Quelle est la réception du rapport ? Le Dr Cass n’a-t-elle pas été menacée depuis ?

La publication est récente, mais à ma connaissance la plupart des acteurs, y compris les acteurs associatifs qui ont pris une place majeure dans l’accompagnement des jeunes et de leurs familles, reconnaissent la nécessité de faire bouger les lignes et tentent d’anticiper la suite. La NHS a annoncé vouloir poursuivre les réformes déjà entamées et continuer ses consultations publiques.

Le rapport, nuancé, a évidemment déplu à tous ceux qui avaient une opinion définitive, et aux militants transactivistes les plus radicaux qui en contestent non seulement les conclusions mais aussi le point de départ vu comme une remédicalisation de l’identité de genre là où le droit, dans la foulée de la subjectivation radicale des droits subjectifs, reconnaît de plus en plus souvent un droit à l’autodétermination des individus. Cette situation place les acteurs dans des configurations paradoxales, mais il est normal que le monde médical s’assure de sa cohérence à ses normes propres quand il s’agit de traitements médicaux, engageant des mineurs de surcroît.

Enfin, il y a peu, le Dr Cass, pédiatre éminente, clinicienne, ex- Présidente du Royal College of Paediatrics and Child Health, très impliquée dans l’éducation à la santé, la sécurité des patients et les soins palliatifs pour enfants, a effectivement été victime d’insultes et de menaces physiques issues de milieux trans radicaux qui n’entendent manifestement pas délivrer la santé et la prise en charge d’enfants multi-vulnérables, de la virulence des partis pris idéologiques.

Valérie Kokoszka
Docteur en Philosophie
Master en management des Institutions de soins et de santé

[1] Cass Review-Final (CRF) disponible à l’adresse https://cass.independent-review.uk,

[2] Ce protocole devra également remplir les exigences relatives à l’éthique de la recherche.

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