Pro-européens contre eurosceptiques : le très faux clivage politique qu’Emmanuel Macron entend laisser en héritage aux Français<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron à côté de Valérie Hayer, tête de liste Renaissance pour les européennes.
Emmanuel Macron à côté de Valérie Hayer, tête de liste Renaissance pour les européennes.
©Ludovic MARIN / AFP

Stratégie électorale offensive

Alors que le président de la République devrait prononcer un deuxième discours de la Sorbonne sur l’Europe ce jeudi, ses conseillers assument une stratégie électorale, offensive en la matière.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : A la peine dans les sondages pour les élections européennes, le chef de l’Etat veut réactiver le clivage entre pro-européens et eurosceptiques. En quoi ce clivage semble à première vue intéressant, mais omet en réalité ceux qui sont euro-critiques, qui ne sont ni des européens béats ni des frexiters ? Quel est l’intérêt pour le chef de l’Etat de « réanimer » ce clivage ?

Christophe Bouillaud : De fait, on sait depuis le référendum de 1992 sur le Traité de Maastricht, et plus encore depuis celui de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, que le jugement sur l’intégration européenne constitue l’une des lignes de clivage majeure au sein de l’électorat français. Par exemple, lors de l’élection présidentielle de 2022, selon les travaux d’Anja Durovic et de Nonna Meyer, le fait de trouver que la France soit dans l’UE est une bonne chose possède un effet statistiquement dissuasif chez les électrices de voter pour le Rassemblement national ou pour Reconquête. Cet effet est lui-même distinct de la présence ou non d’ethnocentrisme chez les électrices.

Donc il est assez logique que le chef de l’Etat tente de jouer de ce levier pour attirer à lui des électeurs, ou surtout d’en dissuader d’autres de voter pour le RN, Reconquête ou LR. En effet, comme on le montre la reconduction de Bellamy à la tête de la liste et surtout ses récents discours contre la reconduction d’Ursula von der Leyen, pourtant une CDU membre du PPE, à la tête de la Commission européenne les LR entendent eux aussi jouer la carte de la défense de la souveraineté nationale. Déjà, en 2022, selon les travaux d’Emilien Houard-Vial, l’électorat de Valérie Pécresse s’illustrait par une forte adhésion à des thèses qu’on pourrait dire «néo-gaullistes » sur l’intégration européenne. Macron compte donc bien monopoliser tout le camp européiste de droite et du centre-droit, puisque l’ensemble de la droite dite républicaine a basculé du côté souverainiste.

Par ailleurs, en insistant lourdement sur son européisme, qui lui avait déjà bien réussi lors de sa réélection en 2022 dans le cadre de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, Emmanuel Macron veut aussi se prémunir de la concurrence du candidat Glucksmann, qui représente en quelque sorte l’européisme d’opposition, qui  lui aussi s’affiche comme farouchement pro-ukrainien.

Ensuite, il faut ne pas oublier que la plus grande partie de l’électorat français, au-delà des grandes positions sur l’Europe (« bonne chose », « mauvaise chose », « ni l’un ni l’autre ») se soucie avant tout de ses préoccupations quotidiennes et juge l’intégration européenne à cette aune. Ils sont aussi euro-réalistes. La sociologie de l’appui à l’intégration européenne ou de sa critique ne fait en effet largement que dupliquer celle du bonheur ou du malheur français tel que vécu par nos concitoyens. De fait, l’ensemble des partis – à l’exception des petits partis d’extrême-gauche ou d’extrême-droite – va en réalité lors de cette campagne européenne se montrer à la fois très critique de l’action actuelle ou passée de l’Union européenne et proposer sa propre voie future pour l’évolution positive de cette dernière. Même les très européistes macronistes vont proposer des évolutions liés à des critiques de l’intégration européenne qu’ils formuleront.  

Se ranger dans le camp des euro-critiques, ou euro-réalistes comme vous dites, reviendrait-il à admettre que les dysfonctionnements au sein de l’UE sont nombreux ?

En fait, tous les partis, y compris Renaissance, soulignent des dysfonctionnements de l’intégration européenne. C’est juste l’équilibre entre la partie critique et la partie d’autosatisfaction qui varie. Personne, en dehors des partis sans électeurs ou presque comme Lutte ouvrière d’un côté ou l’Union populaire républicaine ou les Patriotes de l’autre, ne veut complètement en finir avec l’Union européenne, et d’ailleurs, même ces partis se réfèrent à une autre forme de supranationalisme : l’internationale des travailleurs pour les uns, le droit onusien pour les autres.

Cela ne veut pas dire que l’on entende pas chez les grands partis des discours très radicaux sur l’un ou l’autre aspect de l’intégration européenne. Par exemple, il est clair que, comme au Royaume-Uni, avant le Brexit, on voit monter, surtout à droite et à l’extrême-droite, un discours de mise en cause de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH). Il ne s’agit certes pas de l’Union européenne, mais des limites posées dans les années 1950 dans le cadre du Conseil de l’Europe à l’autoritarisme des Etats européens. De même, on voit remonter en flèche chez les Insoumis le discours contre « l’Europe de l’austérité », qui avait plutôt été mis en sourdine en 2022 à la suite des grands plans de relance européens.

La majorité des Français sont euro-critiques. Les Français critiquent toujours autant voire plus l’UE, mais refusent de plus en plus de la quitter. Comment expliquer ce paradoxe ?

Depuis l’échec de la ligne adoptée en 2017 par le RN sur la sortie de l’Euro, et portée par Philippot, il semble acquis pour tout le monde que tout débat sur la sortie de l’Union européenne tournera au détriment de celui qui essayera d’en faire un point fort de sa stratégie politique. En effet, à cause de l’existence de l’Euro, les difficultés pratiques d’une telle sortie sont tout de suite sensibles à tous les électeurs quel que soit leur niveau de fortune. Rétablir les frontières, c’est un thème bien plus porteur qui peut séduire les électeurs, surtout pour ceux qui ne les franchissent jamais pour le travail ou pour les loisirs. Par contre, dire aux électeurs que, demain, leur compte en banque et leur épargne monétaire seront libellés dans une monnaie nouvelle, dont personne ne connait a priori la valeur, n’est pas évident. Puisque le Royaume-Uni a toujours gardée la Livre Sterling, les partisans du Brexit n’avaient pas cette difficulté à affronter face à leur opinion publique, et ils pouvaient nier les autres difficultés pratiques liées au rétablissement des frontières. En France, de plus, contrairement à l’Allemagne, le dernier Franc en date n’avait pas vraiment le statut d’une monnaie durablement forte, contrairement au Deutschemark. Les souverainistes allemands peuvent ainsi plus facilement jouer sur la nostalgie du DM comme monnaie forte et rempart contre l’inflation. J’ajouterai que cette crainte pour l’avenir de la monnaie européenne peut toucher particulièrement les personnes les plus âgées, très sensibles au sort de leur épargne et dépendant de revenus fixes. Est-ce un hasard si le RN gagne des voix chez les plus de 65 ans depuis qu’il a mis de côté la sortie de la zone Euro ?

La voix des euro-critiques peut-elle être davantage entendue après les élections européennes ?

En fait, si l’on suit mon raisonnement, 100% des élus français au Parlement européen seront critiques. Par contre, la capacité à avoir un impact sur les équilibres politiques au sein du Parlement européen sera très variable selon le résultat des différents partis. Par exemple, même si les LR ont un résultat médiocre et passent à peine la barre des 5% des voix pour avoir des élus, il est presque sûr que leur rares élus, s’inscrivant au sein du principal groupe du Parlement, le PPE, auront un impact important. Les élus Place Publique/PS, Ecologistes, Renaissance & Cie, Insoumis, rejoindront chacun un groupe parlementaire bien inséré dans les jeux politiques du Parlement. Tous ces élus porteront au sein du Parlement européen la voix des critiques françaises de l’intégration européenne.

Inversement, les probables très nombreux élus du RN resteront probablement gelés dans le groupe Identité & Démocratie. S’il continue à exister après juin 2024, il regroupera toujours les « amis de la (Sainte) Russie ». Ce groupe ID n’a de fait aucune chance de participer à une majorité parlementaire au sein du Parlement européen, même si les droites dans leur ensemble (PPE, ECR, Renew, ID) devenaient majoritaires, car aussi bien le groupe PPE que le groupe ECR situé à sa droite restent dominés par l’hostilité à l’hégémonie russe (ou plutôt ex-soviétique).

Pour ce qui est de l’effet direct au niveau de la politique française du vote du 9 juin prochain, il est probable que cela commencera alors à tanguer sérieusement. L’enjeu deviendra encore plus clair pour tout le monde : comment éviter que le RN arrive au pouvoir en 2027, voire avant ?

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