« Monsanto Papers » : une analyse ravageuse d'Alexandre Baumann<!-- --> | Atlantico.fr
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Le logo Monsanto sur le site de fabrication et le centre d'opérations de l'entreprise près d'Anvers.
Le logo Monsanto sur le site de fabrication et le centre d'opérations de l'entreprise près d'Anvers.
©JOHN THYS / AFP

Désinformation médiatique

Alexandre Baumann vient de publier "Monsanto Papers Désinformation médiatique" aux éditions de L'Harmattan. L'auteur a notamment décrypté le traitement médiatique de cette affaire et révèle les fragilités de nos démocraties.

André Heitz

André Heitz

André Heitz est ingénieur agronome et fonctionnaire international du système des Nations Unies à la retraite. Il a servi l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) et l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI). Dans son dernier poste, il a été le directeur du Bureau de coordination de l’OMPI à Bruxelles.

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Les « Monsanto Papers » sont censés démontrer l'extraordinaire cynisme et le non moins extraordinaire pouvoir de nuisance de l'entreprise d'agrochimie et de biotechnologie Monsanto Company – ce qui reste de l'ancien géant de la chimie lourde et fine Monsanto après sa fusion en 1999 avec Pharmacia et Upjohn, et a été racheté par Bayer en 2016. 

Tous les moyens auraient été bons pour défendre son produit (prétendument) phare, le glyphosate, pourtant dans le domaine public depuis 2000 ; dissimuler sa dangerosité (alléguée) ; déconsidérer le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) qui l'a classé « cancérogène probable » en mars 2015 ; démolir et faire rétracter des études critiques envers le glyphosate, et dénigrer leurs auteurs ; suborner les agences d'évaluation pour en obtenir le renouvellement de l'autorisation ; déployer une stratégie de lobbying et d'influence débridée ; etc. Il n'y a guère que le meurtre qui n'a pas été évoqué... 

Les « Monsanto Papers » – un cri de ralliement forgé à l'image des « Panama Papers » – ont fait les choux gras du Monde et de quelques autres médias à la ligne éditoriale contestant les bases de nos sociétés ; d'autres médias ont succombé avec délice au panurgisme. Ils ont fait gonfler des égos journalistiques surdimensionnés de la taille montgolfière à la taille zeppelin, ou de la bulle de chewing gum au ballon de baudruche chez des plumitifs moins chevronnés. 

Dans ce monde du journalisme d'influence, ils se sont pris, qui pour Zorro, qui pour Hercule Poirot, Sherlock Holmes ou encore Fantômette. Mais la réalité est bien plus prosaïque. 

Les « Monsanto Papers » sont essentiellement des documents obtenus par un cabinet d'avocats prédateurs états-unien dans le cadre de procédures dirigées contre Monsanto sur la base de l'allégation que le glyphosate a causé un lymphome non-hodgkinien chez leurs clients ou, plus prosaïquement, que Monsanto a failli à son obligation d'informer sur la dangerosité du produit. 

La procédure de discovery est extraordinairement inquisitrice : elle peut être complétée par des demandes de fourniture de documents en vertu du Freedom of Information Act. Le cabinet Baum Hedlund Aristei & Goldman (maintenant Wisner Baum) a publié les documents « déclassifiés » par la justice et déployé une stratégie de communication grand public. Objectif : influencer les juges et les jurys en présentant Monsanto comme un horrible Monsatan. Le maître d'œuvre, au moins autoproclamé, a été Timothy Litzenburg, qui sera condamné en septembre 2020 à deux ans de prison pour extorsion et complot en vue de commettre une extorsion (oh, juste 200 millions de dollars...) à l'encontre d'un fournisseur de Monsanto. Nos procureurs des tribunaux médiatiques n'en ont guère fait l'écho... 

La stratégie a été relayée et amplifiée aux États-Unis d'Amérique par U.S. Right to Know, une officine officiellement sans but lucratif ; elle s'est donné pour mission de promouvoir la vérité et la transparence au service de la santé publique mais sert en réalité les intérêts de la filière de l'agriculture biologique (qui bien sûr, la finance généreusement). À la manœuvre, pendant longtemps, Carey Gillam, une ancienne journaliste débarquée de Reuters, qui attribue sa disgrâce à des pressions d'un... Monsanto mécontent de ses articles critiques sur les biotechnologies et les OGM. 

Et des États-Unis, les éléments des réquisitoires anti-Monsanto sont passés en Europe – au Royaume-Uni par the Guardian, où Carey Gillam a son rond de serviette, et en France grâce au Monde de Stéphane Foucart et Stéphane Horel. 

En quatrième de couverture de son « Monsanto Papers – Désinformation médiatique » (204 pages, L'Harmattan), Alexandre Bauman écrit : 

« Comme la plupart des Français, je pensais, il y a peu, que les "Monsanto Papers" avaient révélé une affaire de corruption. Monsanto aurait réussi à manipuler les scientifiques et les agences pour garder le glyphosate autorisé, alors qu’on savait qu’il était cancérigène.

J’y croyais, comme tout le monde… puis, j’ai douté et je les ai lus. [...] » 

Et bien sûr il a travaillé ! 

On peut l'imaginer bénédictin : lire, ficher, et extraire et classer la substantifique moëlle de quelque 600 articles de la presse francophone ; mettre en regard les éléments pertinents des pièces originales mises en ligne outre-Atlantique (comportant quelquefois des centaines de pages)... 

Et on peut l'imaginer aussi Guillaume de Baskerville, du « Nom de la Rose », déduisant une nouvelle réalité de cette confrontation de l'interprétation aux faits. 

Ce qui a été mis en évidence – preuves irréfutables à l'appui ou application du simple bon sens ou quelques fois du doute raisonnable – est un enchaînement de malversations aboutissant dans notre espace linguistique à ce qu'il a appelé une « désinformation médiatique ». 

« Désinformation » et non « mésinformation », le premier terme impliquant une volonté d'induire en erreur, le deuxième non. En voici un exemple. 

Tout a commencé dans le Monde du 16 mars 2017 (date sur la toile), dans « Les experts européens blanchissent le glyphosate » (notez le verbe, qui ne met pas le produit et la décision sous un jour favorable). Il est notamment allégué que : 

« […] la justice américaine rendait publics des documents internes de la société Monsanto, montrant que la firme a bénéficié de connivences au sein de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) des Etats-Unis, où elle cherche à éviter un classement comme cancérogène du glyphosate. » 

La justice américaine ? Non ! Le cabinet d'avocats... Les documents internes dont il s'agit sont un simple courriel entre collègues, au ton en partie badin, qui rapporte une démarche de Jess Rowland de l'EPA, et non une manœuvre de Monsanto

« Jess a également appelé pour demander le nom d'une personne à contacter à l'ATSDR [Agence pour les substances toxiques et le registre des maladies]. Je lui ai transmis l'e-mail de Jesslyn. Il m'a dit qu'il n'y avait pas de coordination et qu'il voulait en établir une en disant : "Si je peux tuer cela [If I can kill this], je devrais obtenir une médaille". Cependant, ne vous faites pas trop d'illusions, je doute que l'EPA et Jess puissent mettre fin à cette affaire ; mais il est bon de savoir qu'ils vont maintenant faire l'effort de se coordonner en raison de notre pression et de leur souci commun que l'ATSDR soit cohérente dans ses conclusions avec l'EPA» 

Plusieurs médias se sont engouffrés dans un exercice autrefois appelé « téléphone... ». Ainsi, dans « Faut-il avoir peur... de l'atrazine», l'Actualité (magazine canadien) écrivait le 30 mars 2017 : 

« Monsanto a aussi manœuvré pour qu’un haut fonctionnaire de l’EPA annule une étude sur le potentiel cancérigène du glyphosate. » 

Le Monde de Stéphane Foucart a également été de la partie. Ainsi, le 13 août 2018, il écrivait dans : « Les "Monsanto Papers", à la base de la controverse sur le glyphosate» :

« […] Celui-ci suggérait qu'il "mériterait une médaille" s'il parvenait à "dézinguer" l'expertise prévue par une autre agence fédérale américaine. » 

Alexandre Baumann ne s'est pas attardé sur le ton de la plaisanterie de Jess Rowland, manifestement sortie d'un contexte dont nous ne connaissons pas les détails. Il note : 

« Néanmoins, "kill this" peut vouloir dire résoudre le problème de la non-coordination, et c'est ce que laisse clairement entendre le contexte [...] » 

En résumé : un courriel interne entre collègues... une allégation de corruption et de complot. 

Il a aussi un épilogue : 

« L'interprétation de ce passage proposé par la presse a été durement rejetée par le juge californien lors du procès de D. Johnson contre Monsanto. Voici la séquence qui mérite qu'on la présente en entier [c'est nous qui traduisons] :

M. MILLER : […] Nous savons que le 28 avril, M. Rowland appelle Monsanto et dit, "Je mérite une médaille pour avoir empêché d'autres scientifiques du gouvernement fédéral qui ont une vraie formation dans ce domaine de produire un rapport". » 

La suite est à lire dans l'ouvrage. Mais nous dirons que l'avocat Miller s'est fait sérieusement rabrouer. Et nous voyons ici, à nouveau, le genre de dérives auxquelles les « Monsanto Papers » ont donné lieu. 

Alexandre Baumann a réalisé un travail considérable. 

Sa conclusion sur le Monde et ses deux auteurs principaux (74 articles, soit plus de 14 % de l'ensemble du corpus francophone, et trois éditoriaux) mérite réflexion : le journal est à l'origine de la quasi-totalité des éléments désinformatifs. Et le problème porte aussi sur d'autres sujets, notamment le glyphosate, en tant que tel, et les néonicotinoïdes.

Son ouvrage serait une œuvre de salubrité publique s'il était diffusé à sa juste mesure et valorisé.

« Ce que nous mettons en évidence est terrifiant : à quel point nos démocraties sont-elles fragiles ? », écrit-il encore en quatrième de couverture. La réponse est dans la question.

Alexandre Baumann a publié "Monsanto Papers Désinformation médiatique" aux éditions L'Harmattan 

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