Macron/Xi Jinping : en route pour un nouveau poker menteur<!-- --> | Atlantico.fr
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Xi Jinping a accepté cette invitation de la France parce que la Chine a besoin de Paris pour garantir les conditions d’échanges économiques.
Xi Jinping a accepté cette invitation de la France parce que la Chine a besoin de Paris pour garantir les conditions d’échanges économiques.
©JASON LEE / POOL / AFP

Atlantico Business

Xi Jinping a accepté cette invitation de la France parce que la Chine a besoin de Paris pour garantir les conditions d’échanges économiques. Emmanuel Macron a organisé le programme parce que la France a besoin de Pékin pour prouver aux Européens son influence internationale.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Sur deux jours, aujourd'hui à Paris et demain dans les Pyrénées, cette visite d’État risque fort de tourner à une nouvelle partie de poker menteur. Le président chinois a besoin d’un lien particulier avec un membre de l'Union européenne, mais pour de mauvaises raisons, puisqu'il cherche à semer la discorde au sein de l'Union. Le président français, lui, a besoin du président chinois pour réussir à convaincre les Russes de stopper leur "opération spéciale" en Ukraine et affirmer son leadership de l'Union européenne.

Drôle de duel qui va se jouer discrètement alors que les deux chefs d’État se tiennent par une série d’intérêts croisés, et qui vont faire semblant de croiser leurs intérêts alors qu’ils sont parfaitement conscients qu’ils sont contradictoires.

Drôle de duel qui va se jouer sur trois plans.

Le premier plan de dialogue va se jouer sur le terrain commercial. Les enjeux sont considérables à la mesure des déséquilibres qui ne cessent pas de se creuser.

- D’un côté, la Chine qui a un besoin de retrouver une croissance à deux chiffres parce qu’elle est en panne depuis le Covid. Ses 4,5 % de croissance font rêver les Européens mais pour Pékin, c’est catastrophique, parce que ça ne permet pas d’intégrer l'immensité de sa population. Sur 1,4 milliards d’êtres humains, moins de 20% réussissent à vivre à peu près normalement dans les grandes métropoles mais la grande majorité vit dans des conditions misérables et douloureuses dans les campagnes et particulièrement depuis le covid dont la mauvaise gestion a été très mal supportée. Pékin a donc urgemment besoin de réactiver son modèle traditionnel de croissance qui a fait de ce pays l'unique du monde. La Chine a besoin de retrouver des marchés d’exportation.

De l'autre côté, la France, qui a beaucoup importé de produits chinois, a comme d'autres besoin de relocaliser son industrialisation, de verdir ses activités et surtout de réduire les déséquilibres commerciaux. C’est pour la France le plus important déficit bilatéral. En 2022, il était de 53 milliards, en 2023 il était encore de 46 milliards. Nous importons massivement du matériel informatique, des téléphones, du textile (en baisse assez rapide), des voitures et pas seulement des voitures électriques… En contrepartie, nos exportations restent fragiles, des produits de luxe, de l'agroalimentaire et des pièces aéronautiques. Mais globalement c’est maigre ce qui n’empêche pas Pékin de menacer ces secteurs de droits de douane dissuasifs quand ils rentrent sur le marché chinois.

La menace existe, elle s’adresse à tous les pays de l'Union européenne et notamment aux Allemands qui sont mieux implantés que nous en Chine... ce qui explique la timidité de Berlin dans son rapport avec Pékin... d’où la mésentente de Bruxelles pour mettre en place un dispositif de riposte aux importations chinoises.

Nous ne sommes pas égaux en Europe pour affronter les Chinois, d’où l'ambition d'Emmanuel Macron de se battre pour plus d’union, de cohérence et de solidarité. Même problème face aux investissements chinois en Europe. La Chine a accumulé d’immenses excédents liés à ses excédents commerciaux, qui ne sont pas consommés sur place et qui peuvent être investis ailleurs. Les Chinois sont donc prêts à acheter beaucoup d’actifs en Europe et à installer beaucoup d’usines.

A priori, beaucoup vont se féliciter de ce rôle joué par les Chinois... sauf que la réciprocité n’existe pas, et chaque euro d’origine chinoise, investi en Europe est un levier de croissance en Europe donc d’emplois, mais c’est aussi un levier de pouvoir et d’influence, et au passage un moyen de semer la zizanie entre les pays de l'Union qui se battent pour accueillir l'investissement.

Enfin, toujours sur le plan économique, Emmanuel Macron a bien compris que rien ne sera possible au niveau international si Pékin continue de subventionner massivement les produits et les équipements chinois. C’est notamment vrai dans l’automobile électrique, un secteur où la Chine va devenir le premier producteur du monde.

La question est donc très importante. Depuis l’entrée de la Chine dans l'OMC, les déséquilibres n'ont pas fait que s’aggraver. Les Chinois ne disent pas la vérité sur ce qu’ils font, et sur les chiffres de leur économie. Les Chinois ne respectent pas les accords de réciprocité, ni le droit élémentaire des affaires, ni les droits d’auteur, ni même les droits de propriété des licences et brevets... etc., etc. Les Occidentaux et notamment les Européens et plus particulièrement les Français ont été depuis les années 2000 d’une naïveté coupable. Xi Jinping est arrivé à Paris avec l'ambition de renouer des liens avec la France mais a-t-il apporté les preuves de bonne foi, c’est toute la question. Côté français, on affirme la volonté du changement mais on sait aussi qu'il y a moins d’un mois le président chinois déroulait le tapis rouge au chancelier allemand...

Le deuxième dossier que la France veut traiter avec le président chinois concerne la guerre en Ukraine. Xi Jinping ne s’est jamais gêné pour protéger une position très pro-russe sur la guerre en Ukraine. Vladimir Poutine d’ailleurs ne s’est pas gêné pour mettre en évidence cette amitié entre Moscou et Pékin. D’autant que Pékin apporte à Moscou une grande partie des ressources financières en acceptant de payer le gaz et le pétrole. D’autant que Pékin fournit quantité de pièces détachées et de logiciels, des drones aussi... bref du matériel militaire qui représente un soutien massif à la Russie. Quelle est la stratégie de Pékin dans cette affaire, nul ne le sait. Le rapprochement est très nouveau parce que les États n’ont de points communs que l’autoritarisme de leurs régimes. L'objectif d’Emmanuel Macron est de convaincre les Chinois de stopper cette collaboration avec Moscou, en pensant qu’elle ne mène à rien. Et on s’interroge finalement pour savoir quel est l'intérêt de Xi Jinping dans cette stratégie, sinon seulement espérer la déstabilisation des Occidentaux dans cette affaire. Les Chinois sont quand même passés maîtres dans l’art de monter les pays européens les uns contre les autres. Ils ne désespèrent peut-être pas d’utiliser la Russie pour accroître la pression. C’est du moins ce qui se passe.

Le troisième est beaucoup plus tabou sur le plan politique, puisqu’il s’agit de dénoncer l'absence de loyauté des Chinois dans les rapports commerciaux et au-delà il s’agit de dénoncer les Chinois pour non-respect des droits élémentaires des hommes et des femmes ; les libertés individuelles qui sont au cœur du fonctionnement des démocraties libérales de l'Occident. Ces atteintes aux libertés individuelles expliquent aussi les difficultés du pays à développer un modèle économique plus efficace. La création de richesse ou la croissance a besoin de liberté, de concurrence et de respect des droits de propriété. Des libertés de communiquer, de penser et même de manifester. Peu probable qu’Emmanuel Macron n'abordera qu’à la marge la question des libertés en Chine. Ce n'est pas le sujet... la partie de poker menteur s'arrêtera avant de sortir les cartes qui fâchent. Vraiment. Les cartes de la liberté pour les Chinois ne sont pas d’actualité. Les priorités sont ailleurs.

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