Le dérèglement climatique pousse les prix de l’alimentation à la hausse et inquiète les banques centrales<!-- --> | Atlantico.fr
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Les événements climatiques provoquent des fluctuations considérables dans la production agricole, entraînant ainsi des variations importantes des prix des aliments.
Les événements climatiques provoquent des fluctuations considérables dans la production agricole, entraînant ainsi des variations importantes des prix des aliments.
©Valery HACHE / AFP

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Les événements climatiques provoquent des fluctuations considérables dans la production agricole, entraînant ainsi des variations importantes des prix des aliments.

Alexandre Lohmann

Alexandre Lohmann

Alexandre Lohmann est chef économiste dans un fonds d'investissement brésilien.

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Quels sont les principaux phénomènes climatiques extrêmes qui impactent la production agricole et comment influencent-ils les prix des aliments ?

Alexandre Delaigue : On observe deux types de phénomènes liés au changement climatique qui impactent la production agricole.

Premièrement, les phénomènes extrêmes, tels que les sécheresses sévères ou, au contraire, les fortes pluies et intempéries, peuvent entraîner des perturbations importantes dans la production locale de certaines récoltes. Ces événements climatiques provoquent des fluctuations considérables dans la production agricole, entraînant ainsi des variations importantes des prix des aliments.

Deuxièmement, il existe un phénomène à plus long terme lié aux conditions climatiques nécessaires pour la production agricole dans certaines régions. Avec le changement climatique, on observe un déplacement des zones climatiques. Des régions autrefois tempérées peuvent devenir beaucoup plus sèches et difficiles pour l'agriculture. Cela affecte des cultures spécifiques, comme le chocolat ou le café, qui dépendent de conditions climatiques précises et de latitudes spécifiques pour leur production. 

En conséquence, les régions traditionnellement productrices peuvent voir leur capacité de production diminuer ou disparaître en raison de l'évolution climatique. Ce phénomène est irréversible et contribue à la hausse des prix de certains produits, comme le chocolat, dont le prix a récemment augmenté de manière significative.

Alexandre Lohmann : Au-delà des réponses de politique monétaire, la BCE tente de favoriser l'émergence d'une finance verte afin de financer la transition. L'idée est d'augmenter la résilience de l'économie aux chocs climatiques. 

En 2022, la BCE a décidé de tenir compte du score climat des entreprises lors de ses rachats d'achats (dans le cas des rachats d'obligations d'entreprise).

La BCE a aussi décidé de relever la cible d'inflation (ou de créer un intervalle de tolérance) qui permettrait de prendre en compte la greenflation et éviter de réagir aux fluctuations de l'inflation liées au climat (à la hausse comme à la baisse).

Le réchauffement climatique va affecter l'inflation de deux manières différentes. Vous avez un impact à long terme du fait du réchauffement climatique. On comprend bien le mécanisme. L'élévation des températures peut avoir un impact sur les rendements agricoles. Et nécessairement, cela va avoir un impact inflationniste. On estime à peu près, je vous cite, une étude de la BCE qui a chiffré que d'ici 2035. Donc, d'ici à peu près une dizaine d'années, on aura une élévation des prix de la nourriture de entre 0,92 % et 3,23 % par an. Alors c'est un peu une fourchette un petit peu large. C'est normal, C'est très difficile de prévoir ce genre d'évolution et nécessairement, les intervalles de confiance sont assez grands. Un autre phénomène assez important et qui pour beaucoup est déjà en train d'être à l'œuvre, c'est que l'élévation des températures, le réchauffement climatique va a tendance à accélérer un peu le cycle. Principal cycle qui est pertinent pour notre sujet qui est la Nina et le Nino dans le Pacifique. Beaucoup de scientifiques pensent que le réchauffement climatique fait qu'on va avoir plus d'années avec la Nina ou plus d'années avec El Nino. Et si on regarde bien les dernières années, c'est un peu ce qui est en train de se passer parce qu'on a normalement la nuit à Nino, ça intervient de temps en temps tous les cinq ou six ans.

Et là, ces dernières années, on a eu trois années de La Nina, une année d'El Nino et peut-être une autre année de La Nina. A partir de la fin 2020. Et donc là, on n'est pas tellement dans une élévation forcément de long terme de le de l'inflation, mais plutôt dans une énorme volatilité. Parce que la Nina, par exemple, a tendance à faire monter le prix des céréales du fait de sécheresses en Amérique latine, El Nino a tendance à faire monter de manière importante les prix du riz, via notamment des sécheresses en Inde, comme c'est le cas. Cette année. Ce cycle a tendance à générer une énorme volatilité dans les prix et une fois que par exemple, elle se termine, vous avez une forte baisse qui vient compenser la forte hausse. Donc là, on est plus dans des montagnes russes. Et face à ce genre de phénomène, c'est difficile de savoir comment doit réagir la politique monétaire. Premièrement, en ce qui concerne les les les chocs liés à la variabilité des matières premières, il faut que la banque centrale, les banques centrales gardent un peu leur sang-froid et aient tendance à voir vraiment au-delà des variations parfois assez fortes des prix de l'alimentation et vraiment se basent peut être plus. Sur les indices d'inflation sous-jacente pour diriger leur politique monétaire.

La seconde chose, c'est que, à partir du moment où vous êtes dans un environnement où les matières premières qui sont généralement des actifs financiers également cotées avec les marchés futurs. C'est vrai qu'il faut éviter face à des chocs d'offre sur ces matières premières de suralimenter la demande financière pour ces actifs. Donc là je pense, je pense par exemple à ce qui s'est passé dans la crise du covid, c'est vrai qu'il y a peut être eu un petit peu trop on va dire, pour simplifier, l'impression monétaire qui a renforcé la demande financière pour les matières premières agricoles et donc qui a fait augmenter leurs prix. Donc voilà, il faudra faire face à la vulnérabilité des matières premières agricoles, essayer de réduire un petit peu les les les sauts un peu brusques dans l'augmentation de la masse monétaire ou dans la baisse des taux d'intérêt, selon moi. Après, vous avez beaucoup de banques centrales qui commencent à intégrer un petit peu les les objectifs climatiques dans leur dans leurs actions. C'est par exemple la Banque centrale européenne qui dès 2022 dans ces rachats d'actifs. Et rachats, quand elle faisait des rachats d'obligations d'entreprises, elle essayait de de favoriser les entreprises qui étaient un petit peu plus, on va dire un peu plus vertes avec un score climat. Et donc elle privilégiait ces entreprises par rapport aux autres dans les rachats d'actifs.

De quelle manière l'augmentation des prix alimentaires contribue-t-elle à l'inflation globale et quelles sont les implications pour les politiques monétaires des banques centrales ?

La question de l'augmentation des prix alimentaires et son impact sur l'inflation globale est complexe, car les banques centrales des pays riches ne considèrent généralement pas les prix alimentaires comme un facteur déterminant pour leurs politiques monétaires. Cette tendance repose sur plusieurs raisons.

Premièrement, dans les pays riches, les dépenses alimentaires ne représentent plus une part aussi importante du budget des ménages, contrairement à ce que l'on observe dans les pays plus pauvres. Deuxièmement, les banques centrales se concentrent principalement sur les tendances de long terme pour définir leurs politiques monétaires. Elles interviennent en jouant sur les taux d'intérêt et d'autres outils similaires. Jusqu'à présent, les prix alimentaires étaient jugés trop volatils pour influencer significativement les décisions de politique monétaire. Les fluctuations des prix alimentaires étaient souvent liées à des récoltes bonnes ou mauvaises, produisant des variations considérées comme trop "bruyantes" pour guider des actions monétaires, d'autant plus qu'elles ne concernaient qu'une petite portion du panier de consommation global. 

Cependant, cette approche pourrait être amenée à évoluer. Avec l'augmentation continue des prix alimentaires, il devient crucial de réévaluer leur impact sur l'inflation globale et, par conséquent, sur les politiques monétaires. Bien que les banques centrales des pays riches aient jusqu'à présent accordé peu d'attention à ces fluctuations, les pays pauvres, où l'alimentation représente une part plus substantielle du budget des ménages, se montrent plus sensibles à ces variations, bien que cela ne soit pas toujours un facteur déterminant dans leurs décisions monétaires. 

En conclusion, la montée des prix alimentaires et son potentiel impact sur l'inflation globale incitent à une réévaluation des approches traditionnelles des banques centrales, surtout dans le contexte des économies développées.

Comment la hausse des prix alimentaires exacerbe-t-elle les inégalités économiques et sociales, en particulier pour les populations vulnérables ? 

Il est bien établi que, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, la proportion du revenu consacrée à l'alimentation varie considérablement en fonction du revenu total. Dans les pays pauvres, jusqu'à 70 ou 80 % du revenu peut être consacré à l'achat de produits alimentaires, alors que dans les pays riches, cette proportion est généralement de l'ordre de 10 à 20 %. Cette différence signifie que les ménages des pays pauvres sont beaucoup plus vulnérables aux fluctuations des prix alimentaires.

Cependant, même dans les pays riches, il existe des disparités significatives entre les ménages les plus modestes et les ménages les plus aisés en ce qui concerne la part du revenu consacrée à l'alimentation. Pour les ménages modestes, une part plus importante de leur revenu est destinée à l'achat de produits alimentaires, ce qui les rend particulièrement sensibles à toute augmentation des prix.

Ainsi, la hausse des prix alimentaires affecte directement et de manière disproportionnée les ménages les plus modestes. Ces ménages, déjà fragilisés économiquement, voient leur pouvoir d'achat diminuer davantage, exacerbant ainsi les inégalités économiques et sociales. Les populations vulnérables, ayant moins de marge de manœuvre financière, sont les plus impactées par ces augmentations de prix, ce qui accentue les disparités au sein de la société.

Quelles stratégies les banques centrales et les gouvernements peuvent-ils adopter pour atténuer les effets du dérèglement climatique sur les prix alimentaires et la stabilité économique ?

La question des stratégies à adopter pour atténuer les effets du dérèglement climatique sur les prix alimentaires et la stabilité économique est complexe et nécessite une réflexion approfondie. Pour les banques centrales, cela soulève la question de savoir si elles doivent modifier leur approche actuelle et accorder davantage d'attention aux prix alimentaires.

Jusqu'à présent, les banques centrales des pays riches n'ont pas tenu compte des prix alimentaires pour déterminer leur politique monétaire, se concentrant plutôt sur des tendances à long terme. Cependant, si les phénomènes climatiques extrêmes deviennent plus fréquents et que la hausse des prix alimentaires s'inscrit dans une tendance durable, les banques centrales pourraient devoir considérer ces éléments comme des signaux importants pour leur politique monétaire. Dans les pays émergents et pauvres, les prix alimentaires sont déjà un facteur pris en compte de manière plus significative.

Néanmoins, l'élévation des taux d'intérêt, qui est la principale réponse des banques centrales face aux anticipations d'inflation, pourrait ne pas être la solution idéale dans un contexte où les prix alimentaires augmentent en raison de phénomènes climatiques. Une telle mesure risque d'accentuer les difficultés économiques des populations les plus vulnérables en ralentissant l'activité économique.

En parallèle, des mesures structurelles, principalement du ressort des gouvernements, pourraient être envisagées. Par exemple, la création de stocks tampons pour les denrées alimentaires, similaire à la réserve stratégique de pétrole aux États-Unis, pourrait aider à limiter les fluctuations des prix. De plus, il serait pertinent de revoir les pratiques et les politiques de prix des entreprises. Certains économistes suggèrent de recourir à des instruments plus directs, tels que la régulation des marges des entreprises ou même le gel temporaire des prix en cas de chocs importants.

Ces propositions sont encore au stade du débat et comportent leurs propres défis et inconvénients. Néanmoins, elles illustrent la nécessité de repenser les politiques économiques et monétaires pour mieux répondre aux défis posés par le dérèglement climatique et ses effets sur les prix alimentaires et la stabilité économique.

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