Jamais une dette publique n’avait reculé aussi vite que ce que les pays d’Europe du Sud ont réussi à faire depuis 2020. Un exemple pour la France macroniste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le ratio de la dette publique au PIB en Grèce est désormais le plus bas depuis la mi-2012 (annulation de la dette).
Le ratio de la dette publique au PIB en Grèce est désormais le plus bas depuis la mi-2012 (annulation de la dette).
©Louisa GOULIAMAKI / AFP

Assainissement spectaculaire des finances publiques

Les épisodes de réduction de la dette en cours dans le sud de l’Europe pourraient-il nous inspirer ?

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Pourriez-vous nous fournir des données chiffrées sur la baisse historique de la dette publique en Europe du Sud ?

Pierre Bentata : Au-delà des chiffres, il y a une tendance. Un effort de désendettement a été fait dans les pays du Sud. Celui-ci s’est amorcé avec la crise des dettes souveraines, après la crise des subprimes, et qui s'est prolongée jusqu'à la crise du Covid qui a contraint tous les autres pays à réaugmenter leurs dépenses.

Globalement, on a une tendance à la baisse. Avec des pays qui partaient par exemple de très haut comme la Grèce qui était au-dessus de 200% et qui a perdu à peu près l'équivalent, en fonction des années, de 10 à 20 points sur les 15 dernières années. Cette baisse est quasiment aussi marquée pour l'Espagne. L'effet le plus notable, c'est la baisse au Portugal, où on est passé de 116% de dettes en pourcentage du PIB en 2019 à 98%. Cela annonce une baisse d'un peu plus de 13 points, ce qui est un effort colossal. Ceux qu'on appelait les « pigs », justement parce qu'ils étaient les plus ciblés par les marchés financiers, le coût de leur dette devenait de plus en plus important et que la notation de leur dette était de plus en plus spéculative. On constate donc un gros effort dans le Sud qui n’est pas visible dans la moyenne des pays européens.

Quelles stratégies spécifiques ont été adoptées par ces pays pour parvenir à réduire leur dette publique ? Ont-elles été axées principalement sur des mesures d'austérité, des réformes structurelles ou d'autres politiques économiques ?

Pierre Bentata : Dans un premier temps, il y a eu une augmentation du temps de travail et un report de l'âge de départ à la retraite. Un alignement des années de cotisation sur l'espérance de vie a été établi, donc plus on vit longtemps, plus la durée de cotisation et la durée obligatoire de travail augmentent. Quasiment partout on a remarqué des privatisations, un désengagement de l'État. Il y a eu des hausses d'impôts dans quasiment tous les pays. Une transformation du statut des fonctionnaires a été très souvent soulignée par un rapprochement entre le public et le privé. Ce qui est un effet conjoncturel.

Sur le fond, on a surtout des politiques structurelles qui sont fortes, qui visent à réellement diminuer la dépense de l'État, aussi bien dans les cycles de croissance que dans les cycles de déficit pour combiner ça avec une hausse des impôts. Certains pays ont augmenté la TVA, d'autres ont diminué les aides. On remarque alors que même lorsqu'on a une croissance entre 5 et 10 points de réduction de la dette sur le PIB, c’est-à-dire que ce sont des grosses baisses de dépenses qui, structurellement, sont transformées dans le pays. Par exemple, le Portugal, entre 2003 et 2005, avait un déficit de l'ordre de 6%. Cette année, on a un excédent, ce qui montre qu'il y a vraiment un effort colossal d'assainissement des finances publiques.

Alexandre Delaigue : Dans l'ensemble, il s’agit largement des politiques d'austérité et des réformes structurelles. Mais ce que nous remarquons, c'est qu'effectivement, il y a eu des mesures d'austérité. Il y a eu une réforme des retraites importante en Grèce. De plus, il y a eu un certain nombre de privatisations. Donc il y a eu des changements significatifs en matière de politique économique.

Un choc économique a été mené dans les pays en question avec très clairement des politiques d'austérité. Il y a eu aussi toute une série de mesures plutôt du côté des réformes structurelles, par lesquelles un mélange de rétablissement de la confiance des agents économiques, des prêteurs etc… De l'autre côté, il y a un certain nombre de réformes de l'économie dans son ensemble qui ont abouti à augmenter la croissance économique. Quand nous parlons de la dette, nous l'évoquions toujours par la dette par rapport au PIB. Si vous voulez réduire la dette par rapport au PIB cela revient d'un côté à réduire la dette et à augmenter le PIB. Dans le cas de la Grèce, il y a clairement une dimension de réduction du poids de la dette publique au travers des programmes d'ajustement européen. Malgré une large baisse de la charge de la dette il y a très clairement des mesures visant à augmenter l'efficacité économique. Il faut chercher cette amélioration du côté de la croissance économique en Grèce. 

Si nous restons sur le cas de la Grèce, ces stratégies étaient faisables, mais elles n'ont pu être mises en œuvre qu'à cause de circonstances politiques exceptionnelles. C'est-à-dire par une configuration dans laquelle il était possible à un gouvernement nouvellement arrivé de dire « nous n'avons absolument pas le choix parce qu'on est dans une situation impossible et nous n’avons pas le choix parce qu'on est particulièrement contraint ». Les finances publiques de la Grèce ont été mises sous tutelle parce que les aides de l'Union européenne ont consisté à dire « nous vous donnons de quoi payer votre dette, mais en même temps nous détenons votre dette ». Par exemple, en septembre 2018, il y avait 15 milliards d'échéances de dettes à payer. Pour les payer, la Grèce s’est dirigée vers l'Union européenne et les différents bailleurs de fonds de la Troïka. Et les Européens accordent le prêt et donc la Grèce avait la possibilité de payer l'ancienne échéance de dette et avoir une nouvelle dette vis-à-vis des Européens.

Comment la France se situe-t-elle en comparaison avec ces pays en termes de réduction de sa dette publique ? Existe-t-il des similitudes dans les politiques économiques mises en œuvre par ces pays ?

Pierre Bentata : Entre les pays d’Europe du Sud et la France, il n’y a pas réellement de rapport mais des petites similitudes. Notamment la réforme des retraites qui est tellement cosmétique et qui va en réalité nécessiter une autre réforme, mais en comparaison aux réformes des retraites qui ont été mises en place dans ces pays-là, ça n'a aucun rapport. Au Portugal, l'âge de la retraite est passé à 66 ans et 4 mois, ce qui n’est pas la même ampleur.  De la même manière, la France n’a pas eu de privatisation ou de désengagement de l'État dans certains secteurs, ni de hausse d'impôt importante qui se combinent à des baisses de dépenses. La France a plutôt des dépenses qui tendent à augmenter, même si elles augmentent moins vite qu'auparavant, et en même temps des impôts de niche qui augmentent. Donc ce ne sont pas les mêmes efforts qui doivent être fournis mais plutôt une trajectoire qui ressemble à ces pays du Sud avant la crise des dettes souveraines. La France fait encore partie des pays qui laissent réellement filer leurs dettes. En Europe (avec la Belgique), nous sommes parmi les pays qui, pour l'instant, n'a absolument pas pris en considération l'impact de la dette publique.

La France est très attractive avec une excellente réputation au niveau mondial. C'est un pays qui attire énormément d'investissements directs de l'étranger et qui reste une cible pour se localiser et pour vendre ses produits. Il est beaucoup plus difficile pour nous de se sentir menacé. Nous ne risquons pas d'avoir une « troïka » qui contrôle le pays et qui mène des politiques publiques d'austérité. Il faut donc se demander ce qu'on pourrait faire qui a marché ailleurs. Tous les pays ont réussi à se désendetter en réglant le problème de la démographie. Ce qui est très clair en France est que le vieillissement démographique n'est pas pris en compte. La réforme des retraites n'est pas du tout suffisante. Soit on augmente la durée de cotisation et on continue à avoir un système par répartition, soit on passe à un système par capitalisation. Dans les deux cas, nous ne pouvons pas y couper si on veut faire des économies. Par exemple, nous avons les dépenses d'éducation parmi les plus élevées au monde par élève. En revanche, nous avons des revenus par enseignant et finalement des dépenses directes d'éducation par élève qui sont plus faibles qu'ailleurs. Ce qui veut dire que ce sont les services administratifs qui ont coûté très cher. Il y a une réflexion à avoir pour essayer de comprendre comment nous pouvons simplifier le système pour que l'administration ne représente plus une part aussi importante dans la dépense. Sinon cela veut dire que chaque fois que l'État dépense de l'argent, il y a une partie qui disparaît simplement en service de réglementation, d'administration qui ne va jamais aux citoyens ou à l'utilisateur final.

Alexandre Delaigue : Le niveau de la dette publique en France est devenu extrêmement élevé. Nous ne sommes pas dans ce qu'était la situation des pays de l'Europe du Sud au moment de la crise de la zone euro, mais nous nous rapprochons un légèrement plus d'une situation comme l'Italie, qui ne réduit pas véritablement sa dette. Quand la dette ne bouge pas, l'économie ne s'améliore pas particulièrement. La France est plus dans cette situation.

Je pense qu'il y a deux choses : premièrement, dans le cas des pays d'Europe du Sud, il y avait des circonstances qui étaient très particulières et qui étaient liées à la crise de la zone euro. C'est-à-dire qu'il y avait un système bancaire qui était complètement exsangue et qui avait eu besoin d'être sauvé. La France ressemble à l'Italie, c'est-à-dire qu'on a eu d'un côté les coûts de la crise du Covid qui se sont manifestés dans les finances publiques, en plus d’une croissance économique qui reste quand même faible. Nous ne sommes pas dans une situation de crise économique et politique qui fait que nous nous rendons compte qu'il faut mener d'un seul coup des mesures d'urgence, dans laquelle nous ne sommes pas non plus. Les économies du Sud étaient des petites économies, alors que la France est une grosse économie de la zone euro. Maintenant, la France est la deuxième économie de la zone euro.

Dans une certaine mesure oui, nous pourrions envisager une réforme particulièrement brutale des retraites, dans laquelle nous réduirions d'environ 20% le montant des pensions, plus toute une série de mesures de libéralisation de l'économie. Mais politiquement c'est inconcevable. Il a vraiment fallu les circonstances politiques de la Grèce pour pouvoir mener ce genre de choses. Il faut clairement un degré de contrainte politique imposée aux pays très élevés qui n'est pas présent dans le cas de la France pour l'instant.

Quels sont désormais leurs avantages ? Ont-ils constaté des améliorations significatives dans leur crédibilité sur les marchés financiers ou dans leur capacité à investir dans des domaines clés ? Reste-t-il encore des risques sur la stabilité économique à long terme ?

Pierre Bentata : Dans ces pays, d'année en année, on a une revalorisation de leurs notes par les agences de crédit et par les agences de notation. Nous y voyons une plus grande facilité à emprunter, qui a un effet positif en termes de capacité à mobiliser de l'argent ou à émettre des obligations. Nous remarquons aussi un renforcement de l'attractivité. Ce sont deux effets qui sont positifs pour l'État en tant que tel. Mais il y a surtout une capacité des États à mettre en place des politiques dont ils s'étaient privés à cause de leur endettement. Par exemple au Portugal en 2011, au moment où la dette souveraine bat son plein en Europe, en réalité de facilité de caisse, il reste 300 millions d'euros, c'est-à-dire rien qu’il n'y a plus d'argent dans les caisses. Aujourd'hui, ils ont retrouvé une véritable capacité d'endettement. Ils l'ont d’ailleurs montré au moment de la pandémie. Le Portugal est à nouveau un État qui est capable de soutenir l'activité en temps de crise. 

Le Portugal, l’Espagne et la Grèce sont à nouveau des États qui sont capables de jouer leur rôle d'amortisseur de crise et d'avoir un rôle qui est contracyclique, ce qui revient à faire des excédents lorsqu'il y a de la croissance. En revanche, lorsqu’il commence à y avoir une récession, ils ont le pouvoir de se substituer au privé et maintenir l'activité. Or, quand vous avez une dette qui est importante, il n'est plus possible de le faire puisque l'État est toujours en déficit et n’a donc pas les moyens de relancer à un moment ou à un autre. Il n'y a pas de matelas de sécurité pour pouvoir compenser la perte d'activité. A un certain moment, l’Etat ne peut plus augmenter les impôts non plus car le consentement à l'impôt est arrivé au maximum. C’est cela qui a principalement permis le renforcement de la crédibilité, évidemment, au niveau des marchés financiers.

Il n’y a plus d'attaques spéculatives et plus de risques comme lorsque la Grèce était surendettée après les subprimes, d'avoir un effondrement carrément du système, l'impossibilité de payer les fonctionnaires et surtout une capacité de l'État à rejouer son rôle d'amortisseur et d'assurance en dernier ressort.

Alexandre Delaigue : En effet, il y a une amélioration de leur image vis-à-vis des marchés financiers. Dorénavant le gouvernement grec a la possibilité d'emprunter à des taux du niveau de son Allemagne. Donc de ce point de vue-là, il y a une forme de crédibilité mais qui est légèrement indirecte. Aujourd’hui les investisseurs savent que le reste de la zone euro ne laissera probablement pas un pays de la zone euro s'effondrer. Donc ce n'est pas tant une crédibilité par rapport à la stratégie appliquée qu'une crédibilité par rapport à l'ensemble. Les européens n'accepteront pas d'aller jusque-là. Les pays concernés savent qu'ils ne peuvent pas avoir des déficits excessifs, avoir des élus qui vont d'un seul coup avoir un comportement qui pourrait poser cette question. Ils vont finalement subir une telle contrainte européenne que cela va s'arrêter.

Nous pouvons citer l'élection de Giorgia Meloni qui, au départ, s'est fait élire sur un programme annonçant assez clairement qu’elle n’accepterait pas la contrainte européenne. Finalement elle a directement donné des gages pour dire « regardez, je vais respecter ce qui me sera imposé par l'Europe ». L’Italie a bénéficié du programme NextGen, à hauteur de 200 milliards d’euros. Obtenir ces fonds impose des réformes qui sont négociées mais dans l’ensemble acceptées par le gouvernement de Meloni.

Quels sont les impacts de la baisse de la dette publique sur le niveau de vie des citoyens ? A-t-on observé des changements dans les services publics ou dans le pouvoir d'achat des ménages ?

Pierre Bentata : L’exemple typique est à nouveau le Portugal, puisqu'il a subi une crise très forte avec une « troïka » comme en Grèce. Ensuite avec ce qu'on a appelé le miracle portugais dès 2017, où il y a d'abord eu une forte baisse du pouvoir d'achat qui a baissé de 9 points par rapport au reste de l'Europe. En 2000, il représentait 85% de la moyenne du PIB européen et en 2021, 74%. Ce gros effet sur le pouvoir d’achat est normal, puisqu’il y a l'ensemble des aides de l'État et pas suffisamment d'impôts par rapport aux capacités de l'État. Il y a donc une population qui vit dans une illusion de richesse vivant au-dessus de ses moyens. Au moment où nous avons une politique d'austérité qui se met en place et une politique de désendettement, nous avons d'abord, à court terme, un impact annonçant que la réalité rattrape l'économie, et les gens s'aperçoivent de leur véritable pouvoir d'achat.

Il y a donc une baisse du pouvoir d'achat des retraités, une baisse du pouvoir d'achat de la classe moyenne et nous avons eu plus de chômage dans le même temps, puisque les entreprises qui vivaient principalement grâce à des aides qui n'ont plus été capables de survivre. En revanche, nous nous apercevons qu'une fois que les finances sont assainies, il y a un lien très fort entre la baisse des dettes et la croissance économique car il n'y a pas d'effet d'éviction. L'État fonctionne en étant contraint de mieux utiliser son argent, en libérant de l'énergie et de la valeur pour la croissance. Aujourd’hui il y a beaucoup plus de croissance, de l'ordre de 6%. A ce moment-là nous avons une baisse du chômage et la possibilité d'avoir à nouveau un rattrapage avec une augmentation du pouvoir d'achat. Par exemple, le Portugal est en train de converger vers le pouvoir d'achat moyen qu'on a en Europe. Nous avons d'abord une cure qui est coûteuse pour la société, mais qui ensuite assainit la situation, redonne des marges de manœuvre à l'État, et permet à la population d'augmenter à nouveau son pouvoir d'achat et de bénéficier davantage de croissance.

Alexandre Delaigue : Pour répondre à cela nous pouvons revenir sur le cas de la Grèce. Ce pays n'a pas encore retrouvé le niveau de vie par habitant qu'elle avait avant la crise de 2007. Elle est encore très nettement en dessous. Cependant nous pouvons constater que, depuis quelques années, le niveau de vie s'améliore réellement et les performances économiques de la Grèce montrent une amélioration nette qui se voit dans les performances économiques et du côté du niveau de vie. De l'autre côté, si nous prenons les cinq dernières années, la Grèce fait partie de ceux dont la situation s'est le plus améliorée. Aujourd’hui le citoyen grec dirait : « depuis 5 ans, est-ce que ma situation s'est améliorée ? Oui, très clairement, et plus qu'elle ne s'est améliorée dans un pays comme la France ».

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