Piratages, espionnages, réseaux dormants : quel est vraiment le degré d’hostilité masqué de la Chine en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les drapeaux français et chinois flottent devant la porte de Tiananmen pour accueillir le président français Emmanuel Macron lors de sa visite à Pékin, le 9 janvier 2018
Les drapeaux français et chinois flottent devant la porte de Tiananmen pour accueillir le président français Emmanuel Macron lors de sa visite à Pékin, le 9 janvier 2018
©LUDOVIC MARIN / AFP

Réseaux chinois

Depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, le ministère de la Sécurité de l'Etat (MSE ou Guoanbu en chinois) joue un rôle majeur en matière d'espionnage au niveau mondial au profit de Pékin.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : La France ferait l'objet d'un espionnage relativement intense de la part de la Chine. Piratages, espionnages, réseaux dormants … quel est vraiment le degré d’hostilité masqué de la Chine en France ?

Guillaume Lagane : Il y a eu un rapport de l'IRSEM, un centre de recherche du ministère des armées, sur la propagande chinoise et russe. S'agissant de la propagande chinoise vis-à-vis des pays occidentaux, je ne suis pas certain qu'il y ait un ciblage particulier de la France par la Chine. Je pense que la Chine vise en général les pays occidentaux, la France étant incluse dans cette cible générale.

Il y a trois objectifs sous-jacents à cela. Tout d'abord, il y a une volonté de contrôler la communauté chinoise. Il est connu que Pékin fait de l’entrisme dans travers les diasporas chinoises dans le monde, officiellement pour combattre le crime, mais en réalité pour exercer un contrôle sur ces communautés et éviter qu'une quelconque opposition s'y fasse jour, critiquant l'emprise du parti communiste chinois (PCC). 

Ensuite, il y a un espionnage traditionnel entre États, avec une dimension économique et industrielle significative du côté chinois. Pendant longtemps, la Chine a favorisé son développement en copiant des secrets industriels occidentaux. 

Enfin, il y a une tentative, similaire à celle de la Russie mais à une échelle moindre, de diviser les sociétés occidentales et de miner leur confiance en elles-mêmes. Cette stratégie s'inscrit dans la lignée des enseignements de Sun Tzu, où affaiblir l'ennemi psychologiquement est considéré comme une victoire avant même le début du conflit.

Il est probable qu'il y ait des manœuvres subversives visant la population et la société françaises. Cependant, la stratégie chinoise vise surtout à séduire les élites françaises. Par exemple, la commémoration du 60e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques en 1964 vise à associer Emmanuel Macron à Charles de Gaulle et à présenter la France comme un État non aligné sur les États-Unis. Contrairement à la Russie, qui dispose de relais politiques évidents en France, avec le RN, Reconquête ou LFI dans une moindre mesure, la Chine n'a pas de relais similaires en France depuis la disparition des groupuscules maoïstes. 

Quel est la nature du lien qui lie les Chinois vivant en France à leur pays d’origine ? Qui étaient tous ces ressortissants aperçus en train d’agiter un drapeau chinois après l'arrivée du président chinois Xi Jinping à Tarbes mardi 7 mai ?

Outre les Chinois mobilisés pendant le premier conflit mondial et ceux qui firent des études en France (Chou En Lai, futur dirigeant du PCC), l'immigration chinoise en France se divise en deux grandes vagues. La première, dans les années 1970, a été motivée par des raisons politiques, avec l'arrivée de personnes (boat people) fuyant le régime communiste après la chute du régime vietnamien. 
La seconde vague, à partir des années 1990, était davantage motivée par des considérations économiques, avec une immigration en provenance du sud de la Chine (100 à 200 000 proviendraient de la seule province de Wenzhou) dans le contexte de la mondialisation libérale. La deuxième vague est encore culturellement et familialement liée à la Chine, et c'est cette communauté qui est visée par la politique du PCC.

Il est vrai que certaines associations chinoises en France peuvent être sous l'influence du Parti communiste chinois. Cependant, cette communauté reste discrète et peu présente dans le débat national, ce qui limite son influence. Comparativement aux Russes, qui sont souvent plus habiles dans leurs manœuvres, la propagande chinoise conserve des traits de propagande d'État bureaucratique et manque de subtilité. Lors du salon du livre de Paris en 2024, les livres de Xi Jinping, de luxueuses éditions de ses innombrables discours, étaient à l'honneur dans le pavillon chinois mais impossible de les acheter...

Outre-Atlantique, les autorités américaines vont jusqu’à accuser des agents chinois de venir aux États-Unis pour faire pression sur des Américains d’origine chinoise en agitant la menace pesant sur leurs familles restées en Chine...

Les Chinois considèrent que les liens de sang, donc l'appartenance à l'ethnie Han, l'emportent sur le lien de nationalité. Pour eux, une personne d'origine chinoise qui a acquis une nationalité étrangère reste sous l'influence de la Chine. Cela pose effectivement des problèmes.

Le reportage d'« Envoyé spécial », diffusé le jeudi 2 mai sur France 2 révèle l'existence en région parisienne d’une antenne qui harcèle et force le rapatriement de ressortissants chinois. Peut-on faire un lien avec les pressions exercées aux États-Unis ? 

Pour moi, il s'agit de deux phases d'une même action. Dans un cas, l'objectif est de contrôler la population chinoise pour éviter la propagation de l'opposition au Parti communiste. Dans l'autre, il y a des tentatives pour recruter ces personnes comme espions et exercer des pressions sur elles afin d'obtenir des secrets.

Ailleurs en Europe, la Chine n’hésite pas à montrer les muscles de manière plus ouverte. C’est notamment le cas avec la Lituanie depuis que celle-ci a permis à Taïwan d'ouvrir une représentation officielle dans sa capitale Vilnius sous son propre nom en novembre 2021. Que s’est-il passé ? Comment expliquer une telle pression contre cet État balte ?

La Lituanie est dirigée par une coalition de droite, et son ministre des Affaires étrangères, M. Landbergis, fils d'un des pères de l'indépendance lituanienne en 1991, a décidé de soutenir l'Occident. En application de cette politique, il a autorisé Taïwan à ouvrir une représentation à Vilnius. Bien que cette représentation n'ait pas le statut d'ambassade, sa simple existence a été très mal perçue par Pékin. La Chine, attachée à la politique de la Chine unique, a sanctionné la Lituanie par diverses mesures diplomatiques et économiques pour punir sa décision.

La tendance actuelle est que Taïwan, qui était reconnu par une vingtaine de pays il y a une dizaine d'années, ne l'est plus que par environ douze États. Après l'arrivée au pouvoir du parti indépendantiste à Taïwan, la Chine a exercé des pressions pour que certains petits États qui reconnaissaient Taïwan changent de camp. Ainsi, plusieurs pays d'Amérique centrale et d'Océanie ont décidé de ne plus reconnaître Taipei au profit de Pékin. Taïwan maintient toutefois des relations de plus en plus cordiales avec de nombreux États occidentaux, mais aucun n'a fait le choix courageux de la Lituanie, et par conséquent, aucun n'a subi de sanctions de la part de la Chine.

La Chine est-elle forte avec les faibles et faible avec les forts ?

La Chine a une vision réaliste des relations internationales. Historiquement, en tant qu'État communiste depuis 1949, elle est proche des régimes politiques similaires, comme la Corée du Nord. Elle se méfie du monde libéral et capitaliste. Dans les années 1970, elle appliquait la théorie des trois mondes, qui classait les deux grands, à savoir les États-Unis et l’URSS, le monde développé et le tiers-monde. La Chine se présentait alors comme un État du tiers-monde en lutte contre les grands régimes impérialistes, principalement les États-Unis et l'Occident.

Plus récemment, la Chine a intégré des références plus traditionnelles de la culture chinoise, notamment dans la tribune du Figaro où Xi Jinping faisait référence à Confucius. Cependant, derrière ces références se cache l'idée qu'il existe un ordre à respecter, transcendant les États, où la Chine occupe une position centrale, d'où son surnom d’ « empire du milieu ». On peut faire un parallèle entre la philosophie traditionnelle chinoise (les trois écoles du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme) qui prône l'obéissance à l'empereur et l'actuelle diplomatie de Pékin, qui cherche à organiser un système stable autour de la puissance chinoise. Ainsi, la Chine n'hésite pas à exercer des pressions sur les États qui ne reconnaissent pas son autorité, comme les pays bordant la mer de Chine du Sud, notamment les Philippines, en utilisant des patrouilles maritimes et des pressions diplomatiques pour faire respecter ses revendications territoriales.

Comment se comporter face à Pékin ? Faut-il hausser le ton comme face à Moscou ?

Compte tenu de l'héritage à la fois communiste et confucéen de la Chine, elle respecte avant tout l'autorité, la stabilité et la force. Dans ce sens, on peut faire un parallèle avec Moscou. Face à la Russie, on observe une résurrection de l'Alliance Atlantique et de l'OTAN, montrant que les pays européens, bien qu'aspirant à une autonomie stratégique, restent dépendants de la force des Etats-Unis pour peser face à Moscou.

De même, face à la Chine, il existe un défi similaire. Bien qu’il ne soit pas immédiatement militaire pour les Européens (Taïwan est loin...), ceux-ci sont confrontés à des pressions économiques et politiques de la part de la Chine. Il est donc essentiel pour l'Union européenne de faire face à la puissance chinoise de manière efficace. L'UE est le bon format pour discuter : 450 millions d'habitants face au 1,4 milliard de Chinois, troisième PIB mondial face au second rang que détient la Chine. La France a la population du Hunan, la 7ieme province chinoise par la taille (sur 34). Notre PIB, 2% du total mondial, est loin de celui de la Chine (16%).
Il faudrait donc se demander si au lieu de recevoir les autorités chinoises à Paris, Rome ou Berlin, il ne serait pas plus pertinent de discuter avec elles à Bruxelles. C'est là que se décide la politique commerciale, compétence exclusive de l'Union, qui est notre vrai levier face à Pékin. Emmanuel Macron a commencé à raisonner ainsi en conviant Ursula von der Leyen à Paris mais il faudrait sans doute aller plus loin.

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