Les confinements Covid semblent avoir eu un impact majeur sur la santé mentale des jeunes mais pourquoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’étude de la Drees dévoile des chiffres inquiétants pour la jeunesse concernant l’impact des confinements sur la santé mentale.
L’étude de la Drees dévoile des chiffres inquiétants pour la jeunesse concernant l’impact des confinements sur la santé mentale.
©PATRICK HERTZOG / AFP

Inquiétant

L’étude de la Drees dévoile des chiffres inquiétants pour la jeunesse concernant l’impact des confinements sur la santé mentale.

François Baumann

François Baumann

François Baumann est médecin généraliste, fondateur de la Société de Formation Thérapeutique du médecin Généraliste (SFTG). Intéressé par toutes les dimensions des Sciences Humaines et Sociales qui participent à une meilleure santé des hommes, il a publié de nombreux ouvrages sur ces thèmes. Il est également enseignant à l'Université Paris V et membre du comité Scientifique International de l'UNESCO (département de Bioéthique).

Il est auteur de Burn Out : quand le travail rend malade, L'après burn-out et Le Bore-out, quand l'ennui au travail rend malade aux éditions Josette Lyon. 

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Xavier Briffault

Xavier Briffault

Chargé de recherche au CNRS (INSHSSection 35).
Habilité à diriger des recherches (HDR).

Membre du conseil de laboratoire du CERMES3.
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Commission Spécialisée Prévention, Education et Promotion de la Santé.
Expert auprès de la HAS, de l’Agence de la Biomédecine, de la MILDT, de l’ANR, d’Universcience.

Chargé de cours à l’Université Paris V Paris Descartes, à l’Université Paris VIII Vincennes-Saint Denis. 

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Atlantico : La Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) vient de publier une nouvelle étude sur les hospitalisations en lien avec un geste auto-infligé, une tentative de suicide ou une automutilation. Réalisée à partir des données du système national de données de santé (SNDS), l’étude présente l’évolution des taux d’hospitalisation par âge et par sexe entre 2007 et 2022, dans les services de médecine et chirurgie (MCO) et dans ceux de psychiatrie. Depuis 2021, les taux d'hospitalisation en MCO et en psychiatrie ont connu une forte hausse chez les femmes de 10 à 24 ans. Quel constat peut-il être tiré de cette nouvelle étude sur la santé mentale des jeunes pendant les confinements avec le recul ?

François Baumann : L’étude de la Drees dévoile des chiffres inquiétants pour la jeunesse concernant l’impact des confinements sur la santé mentale. Les jeunes confrontés à ces troubles s’automutilent, sont atteints par des troubles mentaux ou souffrent de dépression.   

Pour comprendre ce genre de passage à l'acte, il faut se remettre à l'époque du confinement. Cette situation a été très difficile, particulièrement pour les jeunes. Le fait d’être privé de liberté, d'être terriblement inquiet, de penser que la mort est soudain une réalité a pu jouer et a eu des conséquences auprès des jeunes. Il y a eu une prise de conscience que la mort existe avec la pandémie et le confinement. Il a donc fallu prendre des mesures et respecter un certain nombre de règles contraignantes que l’on ne respectaient pas avant. Cela a pu entrer en ligne de compte et perturber les adolescents.

Xavier Briffault : Les chiffres de cette nouvelle étude confirment les tendances sur l’impact du Covid sur la santé mentale mais ces données sont en réalité encore plus inquiétantes. Le phénomène se poursuit. Il y a eu une augmentation des hospitalisations pour des lésions auto-infligées. Il peut y avoir des auto-agressions qui ne sont pas des tentatives de se tuer, mais qui sont des tentatives de se faire mal ou qui témoignent des incapacités à gérer des raptus anxieux ou des crises émotionnelles. Cela concerne essentiellement les jeunes femmes. La répartition suicide versus tentative de suicide a toujours été genrée. Il y a toujours eu une proportion plus importante chez les jeunes femmes à faire des tentatives et chez les hommes plus âgés à se tuer. Au regard des données de la Drees, il y a une augmentation massive de ce phénomène chez les jeunes. Ces hospitalisations sont plus fréquentes dans les communes défavorisées. Cela est aussi connu pour les questions de santé mentale. Il y a donc un gradient social très important et il est dit plus tard dans l'étude de la Drees que ce gradient social est très probablement sous-estimé. Ce phénomène a probablement été accru par la crise Covid parce que les confinements ont touché prioritairement et ont eu plus de conséquences chez les personnes qui étaient déjà socialement défavorisées pour des raisons de logement. La surpopulation à l'intérieur des logements a pu entraîner des violences intrafamiliales qui ont touché les femmes et les jeunes femmes. L’impact financier a été plus important. La possibilité d'avoir une exposition à la nature, à un jardin a été beaucoup plus faible chez des personnes qui ont des moyens moins importants. 

L’étude de la Drees révèle une prédominance des intoxications médicamenteuses volontaires, un moyen de tentative de suicide ou en tout cas d'auto agression chez les jeunes femmes. Il y a aussi une augmentation de la consommation de psychotropes chez les jeunes. J’ai moi-même constaté ce phénomène avec Sébastien Ponnou, Frédérique Chave et Sylviane Giampino dans notre ouvrage “Le silence des symptômes” (éditions Champ Social). Nous avons notamment étudié le Trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité de l'enfant (TDAH) et le recours aux antidépresseurs, aux anxiolytiques est en hausse. Cela peut expliquer une partie de l'augmentation des intoxications volontaires. La disponibilité immédiate de moyens de se tuer est un facteur favorisant du passage à l'acte. 

L’étude révèle aussi des variations très importantes sur le plan régional. Le Nord et l'Ouest de la France, notamment la Bretagne, sont surreprésentés dans les gestes auto-agressifs. Les racines sont le gradient social, de mauvais systèmes de soins, des problématiques liées à l’alcoolisation. Le stress généré pendant la crise Covid qui ont touché préférentiellement les personnes défavorisées. Les cartes de répartition régionales n'ont rien de nouveau. Il y a en revanche des augmentations très fortes avec 6.600 femmes hospitalisées en 2012 pour des auto-mutilations mais 10.000 en 2022, ce qui représentait 24 % de plus par rapport à 2021. La tendance à la baisse des patients hospitalisés en psychiatrie est liée à la baisse du nombre de lits notamment. Il y a aussi des taux très importants. 3 patients pour 100.000 parmi les garçons de dix à quatorze ans. 116 pour 100 000 pour les femmes de 15 à 19 ans. L'écart est donc très impressionnant. Les jeunes femmes sont une population à risque pour les gestes auto-infligés mais cette augmentation est extrêmement importante. Il n’est pas possible de tirer la conclusion de ces chiffres sur le fait que les jeunes garçons seraient moins touchés ou auraient été moins touchés par les problématiques de confinement car les modalités d'expression de la souffrance psychique ne sont pas les mêmes. Classiquement, il y a plus de passages à l'acte hétéro-agressifs chez les hommes, chez les garçons et aussi une tendance à l’alcoolisation. Socialement, il y a une augmentation générale de la violence et en particulier des violences graves chez les individus de sexe masculin. Cela s’est déclenché lors de la période du confinement. L'augmentation brutale en 2020 des hospitalisations concerne effectivement les moins de 24 ans et beaucoup en psychiatrie.

Les confinements ont entraîné des effets stresseurs majeurs. Les discours de politiques publiques envers les jeunes ont été néfastes également. Pendant toute une période, les jeunes ont été accusés d'être des vecteurs de transmission, d'être irresponsables, de tuer leurs grands-parents alors même que cette population n'était que très très peu concernée par le Covid en termes d'impact de santé. Cela a stigmatisé la population des jeunes qui se sont sentis méprisés, insultés, humiliés par ces politiques et par ces discours. Les jeunes ont été enfermés. L’impact sur eux a été beaucoup plus important. La socialité chez les jeunes est encore plus nécessaire que chez les adultes. C’est un moment de la vie où elle se construit et où elle est extrêmement critique. Les jeunes femmes se sont trouvées enfermées avec leur famille dans des lieux d'habitation où il y avait trop de monde au sein des logements. Cela a généré des facteurs de stress et de la violence. Cela explique en partie l'évolution chez les jeunes femmes. Ce phénomène a touché l'ensemble de la population mais probablement plus encore les jeunes.

Cette crise Covid et les modalités de réaction de politiques publiques étaient absolument impensables. Le fait d’enfermer 65 millions de personnes n’était pas pensable. Cela a généré une sorte d'anomie, au sens durkheimien du terme, c'est-à-dire une dysrégulation, une disruption des modalités de régulation sociale commune et de la stabilité du fonctionnement social. Dans ses bases les plus supposément solides, le fonctionnement social a été ébranlé. Cela génère une insécurité qui persiste et qui va persister. 

Des études très intéressantes de l'équipe de Charles-Edouard Notredame, qui sont des spécialistes du suicide, ont été menées sur les étudiants sur le syndrome de stress post-traumatique. Leurs travaux démontrent que les jeunes ont vécu la période de la pandémie et du confinement comme une période de traumatisme. Ils ont été exposés à un risque de mort pour soi ou pour les autres. La privation sociale chez les jeunes est quelque chose qui est extrêmement iatrogène et qui a eu des effets extrêmement dévastateurs.  

Au niveau sociétal, quelles pouvaient être les explications des chiffres de la Drees et de ce mal-être chez les jeunes lors du confinement ? Est-ce lié au poids psychologique chez les jeunes suite au confinement ? Quelles sont les racines et comment expliquer cette réalité ?

Xavier Briffault : Pour beaucoup de jeunes, leur trajectoire de vie et de formation a été gravement impactée. Certains ne se remettront jamais de cela. Ils n'auront pas du tout le niveau d'études qu'ils auraient dû avoir. Ils ont abandonné leurs études, ils se sont retrouvés en échec scolaire. Il y a eu aussi une exposition chez les jeunes à ce spectacle consternant d'adultes globalement incapables de faire face à la situation et en état de stress majeur qui se sont mis tous à raconter une chose et son inverse dans les médias. L'idée, chez les jeunes et les enfants, que les adultes sont compétents pour gérer les problèmes a aussi été ébranlée. Il y a donc eu une perte de la qualité de la transmission intergénérationnelle. Les jeunes sont davantage en insécurité aujourd'hui qu'avant par rapport à la capacité de leurs aînés, de leurs parents, mais aussi des scientifiques et des enseignants et des politiques à être capables de faire face à des problèmes graves. Enormément de facteurs se cumulent pour engendrer des problèmes de santé mentale. La répartition hommes femmes est liée aux violences intrafamiliales accrues qui ont plus touchées les femmes. Les jeunes femmes ont été mises en surcharge mentale lors de la crise sanitaire. Elles ont dû prendre en charge la souffrance psychologique dans leurs familles. 

Il y a aussi des phénomènes autour des modifications des rapports de genre dont l'importance sociétale ne cesse de s'accroître depuis plusieurs années. Cela fait peser un stress important et dérégule les modalités courantes de relation homme femme en général et chez les jeunes. Il y a beaucoup d'agressivité venant des jeunes hommes avec aussi beaucoup de peur chez eux. Il devient plus compliqué de se construire en tant que personne dans ce cadre. 

Les problématiques climatiques sont aussi très anxiogènes pour les jeunes. Il y a des populations éco anxieuses ou qui sont très concernées par la problématique climatique. Ces personnes sont authentiquement dévastées, anxieuses et dépressives. Elles estiment qu’elles n’auront jamais d’enfant ou qu’ils ne travailleront pas.  

Les problématiques géopolitiques actuelles avec le retour de la guerre apportent aussi du stress et de l’anxiété chez les jeunes. Tout ceci fait un cocktail très anxiogène, très insécurisant. A une époque où on se construit, où on n'a pas forcément tous les outils pour gérer la complexité du monde, cela peut générer des problèmes et entraîner un état anxio-dépressif avec éventuellement des passages à l'acte auto-agressifs de type raptus agressif ou des tentatives de se tuer.

François Baumann :  La pression, sur le plan psychologique, lors du confinement a joué un rôle. Il y a aussi eu une prise de conscience de la fragilité de l'être humain. Les adolescents ont pris conscience qu’ils n’étaient pas invincibles. Le confinement a été une période de réflexion sur ces enjeux. Cela a entraîné des conséquences sur le plan mental. Le confinement et ce contexte ont renforcé l’état dépressif, notamment chez les jeunes. 

Les adolescents ont été confrontés à une solitude forcée. Ils ne pouvaient plus sortir librement. Ils ne pouvaient pas voir leurs amis. Le confinement a eu de nombreuses répercussions chez les jeunes. 

Les chiffres communiqués par la Drees démontrent que les jeunes femmes ont été très impactées par le confinement. Le rapport révèle une forte progression des taux d’hospitalisation pour geste auto-infligé chez les patientes âgées de 10 à 24 ans, avec un pic autour de l’âge de 15 ans. En psychiatrie, le taux d’hospitalisations pour geste auto-infligé de la patientèle féminine âgée de 10 à 19 ans double entre 2012 et 2020 puis double de nouveau entre 2020 et 2022. Comment expliquer que les jeunes femmes aient été si durement impactées par le confinement par rapport aux garçons ?

François Baumann :  Il y a effectivement des différences entre les garçons et les filles, notamment au niveau des pathologies. Mais il y a une fragilité qui est plus importante chez les filles. Elle se traduit d'une façon différente chez les garçons. 

Les conséquences de ce type de pathologie ou de gestes auto-infligés vont être médicales, sociales et impacter l’environnement socio-professionnel. Avec le confinement et ses conséquences, des répercussions brutales ont touché les garçons et les adolescentes. Ils n'avaient pas forcément envie de voir cela et d’être confrontés à cela. Cette situation les a amené à réfléchir. Cela a donc eu des conséquences et cette situation a entraîné des troubles de type dépressif. Des gens déprimés ne s'exprimaient plus. Pour certains cas, cela était très révélateur du mal-être de la personne concernée. Les données de la Drees permettent, avec le recul, de faire un bilan a posteriori du confinement et de ses conséquences sur la population, notamment chez les jeunes. 

Au niveau de ma pratique personnelle, certains de mes patients ont été touchés par la solitude qui a été renforcée par l'absence de liberté de mouvement. La peur a eu aussi un fort impact. La prise de conscience de la vulnérabilité de l’être humain, que nous ne sommes pas immortels, est dur à supporter, d’autant plus lorsque l’on est jeune.

Selon les conclusions de cette étude de la Drees, la santé mentale des garçons et des jeunes hommes semble s’être moins dégradée que celle des filles et des jeunes femmes ? Les garçons ont-ils eu tendance à basculer dans la violence ? Comment expliquer ce phénomène ? 

François Baumann :  Les différentes expressions du mal être psychique selon les sexes sont cliniquement reconnues. Les adolescents, entre les garçons et les filles, n’ont pas eu exactement les mêmes réactions face à la souffrance et face à la douleur psychique ou physique lors du confinement, comme le démontrent les chiffes de la Drees.

En quoi est-ce que ce type d'étude peut nous permettre de mieux déceler et de révéler les causes réelles des états dépressifs ou du mal être, notamment chez les jeunes, lors de la pandémie ? Cela pourrait-il permettre de mieux accompagner les jeunes confrontés au mal-être, qui sont dans des états dépressifs ou avec des tendances suicidaires ou à l’auto-mutilation ? 

François Baumann : Le fait de verbaliser cet état de mal-être chez les adolescents va aider certains d’entre eux. Le poids des années et le recul par rapport à la pandémie et au confinement peut aussi permettre d’avoir une réflexion constructive. Le fait que la page du Covid ait pu être tournée, que la pandémie ait pris fin et l’arrêt des confinements ont permis de rassurer une partie des jeunes. Mais il est fondamental de renforcer l’écoute et d’accompagner au maximum ces adolescents en difficultés.

Xavier Briffault : La pandémie a eu au moins un intérêt positif, elle a permis de révéler au grand jour ces phénomènes sur la santé mentale. Cette crise a démontré que la santé mentale avait été totalement négligée dans les choix de politiques publiques. Cela a permis de mettre en place énormément d'outils de suivi. Grâce aux études et aux travaux de recherche, il y a beaucoup plus de capacités d'observer, dans des temps beaucoup plus courts, les évolutions des problématiques de santé mentale et les tendances suicidaires. Les outils de surveillance sont plus performants. Il est désormais possible de mettre en relation cette réalité avec les évolutions des facteurs de stress sociétaux, cela permet d’avoir plus d'éléments pour comprendre les causes. Des travaux cliniques et des données qualitatives plus approfondies permettront de déceler toujours plus de causes liées à ces difficultés et à l’impact de la pandémie et des confinements. De nombreux sociologues et cliniciens travaillent dans ce domaine. Ces problèmes ont été beaucoup perçus et analysés sous l’angle neuroscientifique et psychiatrique. Mais il est aussi très important de comprendre que les évolutions sociales, les choix politiques et les stresseurs majeurs environnementaux ont des effets, y compris psychiatriques, sur les individus. Il est important de retrouver une lecture sociologique des problèmes, ce qui a été complètement abandonné pendant la pandémie. Les sociologues au sein du conseil scientifique ont été très peu entendus lors de la crise sanitaire. Le discours était entièrement centré sur le virus. Cela a complètement négligé l'impact des modifications sociologiques, politiques, environnementales, des stresseurs contextuels sur la santé mentale des individus. 

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