Les médecins font-ils une erreur en refusant de diffuser le seul traitement anti-Alzheimer ayant fait preuve d’efficacité (même limitée) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’intérêt de ce type de traitement par rapport à tout ce qui est envisagé par ailleurs est de s’attaquer à ce qui est considéré comme l’essence du processus neurodégénératif lié à la maladie d’Alzheimer, le peptide amyloïde.
L’intérêt de ce type de traitement par rapport à tout ce qui est envisagé par ailleurs est de s’attaquer à ce qui est considéré comme l’essence du processus neurodégénératif lié à la maladie d’Alzheimer, le peptide amyloïde.
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Diagnostic

Il y a neuf mois, les Etats-Unis ont lancé le premier médicament ralentissant la progression de la maladie d'Alzheimer : le Leqembi.

André Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est professeur de neurosciences à l'université d'Aix-Marseille.

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Atlantico : Il y a neuf mois, les Etats-Unis ont lancé le premier médicament ralentissant la progression de la maladie d'Alzheimer : le Leqembi. Compte tenu de son efficacité, les médecins ont-ils raison de ne pas vouloir l'utiliser ? 

André Nieoullon : En fait, il s’agit du second médicament potentiel susceptible de ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer, le premier de la série étant représenté par l’Adulhelm (aducanumab) développé par les laboratoires EISAI et BIOGEN approuvé en 2021 aux Etats-Unis mais pas en Europe ; une seconde molécule, le donanemab, produite par les laboratoires LILLY n’ayant pas reçu d’agrément du fait d’effets secondaires trop importants. Le Leqembi (lecanemab) auquel vous faites référence, développé par EISAI toujours en partenariat avec BIOGEN, est présenté à ce jour comme un réel espoir d’agir enfin sur la maladie d’Alzheimer, tout au moins dans ses formes légères, mais, comme vous le soulignez, il existe une vraie réticence aux Etats-Unis de la part des praticiens à prescrire ce médicament, du fait de doutes sur ce que l’on nomme la « balance bénéfice-risque » pour les patients, l’administration de cet agent ne se traduisant que par une amélioration jugée minime des fonctions cognitives alors même que le traitement présente de vrais risques en terme d’effets secondaires représentés par un risque élevé d’œdème cérébral et de microhémorragies cérébrales conduisant notamment à mettre en place un protocole strict de suivi par imagerie cérébrale au fur et à mesure que le traitement est administré aux patients.

Pour mémoire, cette série de molécules, toutes de la même famille, est représentée par des anticorps monoclonaux dirigés contre le peptide amyloïde, avec l’idée que l’immuno-neutralisation de cette protéine contribuerait à ralentir l’évolution du processus neurodégénératif. De fait, au plan physiopathologique l’hypothèse la plus souvent évoquée concerne la relation qui est faite entre l’accumulation du peptide amyloïde au sein de ce que l’on désigne par les « plaques séniles » et le développement des déficits cognitifs. Ainsi, il existe une relation entre la densité de ces plaques séniles et donc l’accumulation du peptide amyloïde sous une forme dite « insoluble » et l’avancée de la maladie d’Alzheimer. Ceci justifie d’ailleurs l’énorme effort de recherche consacré à la maladie. A titre d’illustration, sur les 118 agents testés en 2021 dans 208 essais cliniques, les objectifs étaient majoritairement de ralentir le déclin cognitif et de prolonger l’autonomie des patients, en ciblant très majoritairement la protéine amyloïde. Malencontreusement, jusque-là tous les résultats sont négatifs. La stratégie de « vaccination » utilisant les anticorps monoclonaux s’inscrit dans cette perspective de neuroprotection potentielle, en considérant que l’immuno-neutralisation du peptide pourrait objectivement contribuer à ralentir la progression de la maladie. 

De fait, le résultat principal de l’administration de ces traitements est bien de diminuer considérablement le nombre de plaques séniles, en rapport avec l’immuno-neutralisation du peptide amyloïde. Mais l’étude de phase 3 qui a permis aux Etats-Unis d’approuver le traitement ne se traduit que par un bénéfice jugé trop léger par la plupart des praticiens au regard des risques encourus par les patients, ce qui explique les réticences à prescrire ce traitement potentiel, en dépit des résultats du laboratoire qui affiche un ralentissement des déficits cognitifs sur 18 mois de plus de 27%. Mais, en y regardant de plus près, les scores cognitifs de départ des patients traités étaient vraiment très légers (3,2 sur une échelle de 0 à 18) et dix-huit mois plus tard ils étaient estimés à 4,4 alors que ceux des patients témoins non traités étaient de 4,8, ce qui relativise l’impact du traitement. 

Quels sont, selon vous, les principaux points à considérer lorsqu'on évalue les risques et les avantages de Leqembi par rapport à d'autres options de traitement pour la maladie d'Alzheimer ?

L’intérêt de ce type de traitement par rapport à tout ce qui est envisagé par ailleurs est de s’attaquer à ce qui est considéré comme l’essence du processus neurodégénératif lié à la maladie d’Alzheimer, le peptide amyloïde. Toutefois cette vision de la maladie s’avère quelque peu réductrice, voire simpliste. En effet, les processus pathologiques ne se limitent pas à des modifications de la protéine amyloïde rendue insoluble, d’autres protéines, notamment ce que l’on nomme la protéine tau, étant susceptible de jouer un rôle plus important dans le processus neurodégénératif. D’autre part, la relation entre accumulation du peptide amyloïde et développement de la maladie n’est pas si simple, à tel point que certains auteurs s’interrogent encore pour savoir si l’accumulation du peptide est une cause ou une conséquence de la maladie, auquel cas l’hypothèse de travail devrait être revue. Mais ce qui préoccupe manifestement en priorité les praticiens est le risque associé au traitement en rapport avec un bénéfice réel qui reste pour beaucoup à établir formellement dans les activités quotidiennes des patients.

Comment les discussions sur le coût de Leqembi et son remboursement par les compagnies d'assurance affectent-elles les prises de décision concernant ce traitement des patients ?

Bien que cet aspect puisse être considéré comme secondaire eu égard à la détresse des patients face à la maladie, il n’en reste pas moins que le coût du traitement reste un facteur que les autorités prennent en compte. Pour ce qui concerne le Leqembi, il est estimé à environ 1000 euros par injection, sur la base d’une injection toutes les 2 semaines, soit plus de 25 000 euros par an. Ceci n’est pas neutre mais, si les effets thérapeutiques sont là, alors il est vraisemblable que les efforts seront faits en conséquence ; et dans ce cas il est vraisemblable aussi que les Etats engageront des négociations avec les firmes pharmaceutiques afin de trouver des compromis…

Aujourd'hui, quelles autres options sont-elles proposées aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ? Peut-on tout de même considérer le Leqembi comme un espoir ? 

A ce stade, toutes les pistes thérapeutiques susceptibles de conduire à un traitement innovant doivent être considérées et le développement du Leqembi s’inscrit dans cette perspective. Pour mémoire, il n’existe aujourd’hui aucun traitement de la maladie d’Alzheimer, que ce soit au plan symptomatique ou étiologique. Les médicaments anticholinestérasiques visant à préserver la transmission cholinergique cérébrale n’ont pas donné les effets symptomatiques escomptés, à tel point qu’ils sont aujourd’hui ré-remboursés. Dans ce contexte, s’attaquer aux processus pathologiques qui conduisent à la mort neuronale s’avère justifié au plan de la stratégie de recherche et le fait de pouvoir agir sur le peptide amyloïde est une satisfaction. La question qui se pose cependant est de savoir si cette cible moléculaire est la bonne au regard de nos connaissances actuelles sur les processus pathologiques de la maladie d’Alzheimer…

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